« J’ai échappé à une exécution parce que j’étais qualifié d’espion dans certains milieux »
PLUS LOIN AVEC RENE BASSENE

Enfant, l’auteur a été châtié pour avoir s’être pris pour l’Abbé au cours d’une partie de cache-cache. La correction démesurée l’intrigue et il se jure de découvrir le mystère qui entoure ce personnage. En 1993, le séminariste l’aperçut à la paroisse Saint-Benoît, en 2005 pour les besoins de son mémoire en journalisme : « Casamance : de l’exil au retour ; les conditions de vie des réfugiés et déplacés », la misère des populations victimes du conflit le révolte et le pousse à effectuer les démarches pour rencontrer l’Abbé à la Maison des œuvres catholiques de Ziguinchor. Face à Diamacoune Senghor, un après-midi du 13 mai 2005, son rêve se réalise. Ses deux questions virent à une grande interview d’où naît le livre confessions, un portrait.
Pourquoi un livre spécialement sur l’Abbé Diamacoune Senghor ? Quand je rencontrais l’Abbé Diamacoune Senghor pour la première fois, je n’avais pas en tête la rédaction d’un livre. J’ai évoqué les raisons dans le livre, c’est assez long comme histoire, mais après avoir réécouté mes enregistrements je me suis rendu compte que ces propos révélaient les deux engagements contradictoires, mais qui à ses yeux étaient indissociables, c’est-à-dire son engagement religieux comme prêtre catholique, qui le portait vers la paix ; mais aussi la justice ici-bas et son engagement politique, comme producteur d’un discours nationaliste, qui l’avait amené à se retrouver porte-parole d’une rébellion armée. Et donc, j’ai décidé d’écrire cet ouvrage dans lequel j’ai tenté de révéler la complexité et les déchirements du personnage, afin d’aider à mieux comprendre certaines incohérences de son parcours.
Etait-il facile de faire la collecte ? Non, ce n’était pas du tout facile, c’était un véritable travail de fourmi. En Casamance trouver quelqu’un qui accepte de témoigner sur le conflit n’est pas chose aisée, car il y a toujours cette sorte de méfiance et de suspicion qui persiste dans la tête des gens. Je dois avouer, même si je ne donne pas de détails, que j’ai échappé à une exécution parce que j’étais qualifié d’espion dans certains milieux. Mais, je ne pouvais pas arrêter, c’était comme une sorte de passion qui m’avait à la limite coupée de ma famille, de ma femme et des amis. J’ai parcouru la Casamance tout entière, j’ai effectué des voyages en Gambie et Guinée Bissau dans le cadre de ma collecte et du recoupement de mes informations.
Pour vous, qu’est-ce qui explique les fractions du Mfdc ? Les raisons sont nombreuses. Le manque d’unité est comme une sorte de péché originel pour Le mouvement. En réalité, le MFDC n’a jamais obtenu une unité totale, et ce, depuis sa création. A partir de 1985, il a commencé à vivre des dissensions internes qui ont abouti à la création de cantonnements sur la base des origines géographiques des différents chefs : Le camp de Léopold Sagna avec essentiellement des combattants issus de Bandial et du Bayotte -essing dans le sud est du département de Ziguinchor ; celui de Sidy Badji commandé par Kamougué à Diakayes dans le département de Bignona, composé d’éléments issus du Fogny et du Blouf ; et celui de Ousmane Koubalosso Sambou à kassole à côté du département d’Oussouye avec des éléments originaires pour la plupart du Kassa. Mais malgré tout, le mouvement se « portait » bien.
La division fatale qui a abouti à la naissance de factions ennemies au sein de la rébellion de façon générale provient des manœuvres des précédents régimes qui se sont succédé à la tête du pays. Elle a connu son pic sous le régime de maître Wade qui, dans sa stratégie de diviser pour mieux régner, si on peu la qualifier ainsi, a réussi a « disséquer le maquis jusqu’à les amener à se pourchasser et à sauvagement s’entretuer. C’est véritablement ce qu’il a réussi et bien réussi : diviser le MDFC au niveau de toutes ses composantes : aile militaire, civile et politique interne et externe.
Le mouvement est l’un des rares dans ce monde pour ne pas dire l’unique, à avoir trois chefs d’État-major généraux totalement indépendants les uns des autres. Ceci bloque et freine le processus de paix parce que le Mfdc ne parle pas d’une seule voix. Outre le fractionnement, l’autre élément qui fait perdurer le conflit se trouve dans le fait que certains vivent de cette douloureuse crise. Des gens sont devenus prospères grâce à « l’industrie de guerre en Casamance ».
Que pensez-vous de l’internationalisation du conflit avec l’implication de Sant Egidio ? C’est une très bonne chose, cette communauté a été choisie par certains chefs du mouvement. Ce ne sont pas les autorités sénégalaises qui l’ont désigné comme médiateur, si vous me permettez cette réflexion. Elle est en train de donner le meilleur d’elle-même auprès de certaines factions. Mais elle ne semble pas faire l’unanimité au niveau de tout le mouvement. Je ne néglige pas l’important travail qu’elle est en train d’abattre, mais attendons de voir jusqu’où elle ira.
Quel rôle doivent jouer les voisins dans cette crise ? Un rôle d’assistance et de sapeurs pompiers. Ce sont des voisins, du point de vue limites territoriales, mais ce sont également des frères qui ne doivent pas rester les bras croisés face à l’ « incendie » qui est en train de consumer la « case » de leur voisin et frère, le Sénégal. C’est pourquoi je me félicite de l’implication personnelle du président Yaya Jammeh aux côtés des autorités sénégalaises, dans les négociations ayant abouti à la libération des militaires détenus en otage par Salif Sadio.