«ON A L’IMPRESSION QUE LE GOUVERNEMENT VEUT UNE PRESSE FAIBLE, PRECAIRE, SANS MOYENS»
MADIAMBAL DIAGNE, ADMINISTRATEUR DU GROUPE AVENIR COMMUNICATION ET PRESIDENT DU CDEPS
Si le président du Conseil des éditeurs et diffuseurs de presse du Sénégal (Cdeps) salue l’apurement des dettes fiscales de la presse, il espère mieux du gouvernement pour l’émergence d’une presse prospère, pilier d’une démocratie forte. Madiambal Diagne estime qu’en plus d’une fiscalité spécifique, les entreprises de presse doivent bénéficier d’une politique publique avec, notamment, l’adoption d’un modèle économique viable. Dans cet entretien exclusif avec SenePlus, l’administrateur du groupe Avenir communication, éditeur du journal Le Quotidien, révèle que le Cdeps a fait des propositions dans ce sens. Et que maintenant, la balle est dans le camp de l’Etat.
Vous avez récemment licencié quatre journalistes du Quotidien dont le directeur de publication. Qu’est-ce qui justifie une telle mesure, contestée par vos employés ?
Nous sommes dans une situation économique difficile. Nous n’avons pas de recettes qui peuvent supporter nos charges. Nous sommes obligés de nous réajuster. Je refuse, par exemple, de garder des employés et de leur devoir des salaires. Il y a des entreprises qui trainent des années d’arriérés de salaires. Je refuse cette situation. Quand une activité économique marche, je la maintiens. Quand une activité ne marche pas, je me réajuste. La loi me donne la possibilité, quand il y a des situations comme ça, de procéder à des licenciements économiques.
On vous a reproché de n’avoir pas respecté la procédure en matière de licenciement pour motif économique. Que répondez-vous ?
J’ai rigoureusement respecté la procédure. J’ai convoqué une assemblée générale pour informer l’ensemble du personnel. J’ai saisi le collège des délégués du personnel. Nous avons fait le constat qu’il n’y avait pas d'alternatives à cette procédure de licenciement pour motif économique. Nous avons saisi l’inspection du travail et nous l’avons rencontrée deux fois, avec le collège des délégués du personnel. Nous avons obtenu l’autorisation de faire des licenciements pour dégraisser la masse salariale. C’est une procédure normale, régulière, que prévoit le code du travail et les institutions sociales dans notre pays, que nous avons suivie. Entre licencier économiquement et fermer l’entreprise, mon choix est vite fait : je préfère faire partir une partie du personnel. Le jour où j’aurai la capacité de réembaucher, je vais réembaucher.
Certaines entreprises licencient, ferment boutique ou trainent des arriérés de salaires et des ardoises fiscales. Pourquoi la presse va si mal ?
Il faut comprendre que nous sommes dans une situation de morosité économique dans le secteur des médias. La presse a atteint sa capacité d’endettement. Est-ce qu’on va continuer à creuser les déficits éternellement sans être assurés de pouvoir les régler ? Moi, je fais ce que je peux. Aujourd’hui, je n’ai pas les moyens de fonctionner comme le font certains, je m’en limite à mes possibilités.
L’Etat a mis en place l’aide à la presse, a décidé à deux reprises d’effacer les dettes fiscales des entreprises de presse. La solution ne passe-t-elle pas par l’adoption d’un modèle économique viable ?
Vous avez parfaitement raison. C’est justement ce qu’on a toujours demandé depuis que nous avons mis en place le Cdeps, en 2006. Nous avons toujours dit qu’il faut une politique publique dans le secteur des médias, sur la distribution, sur la publicité, sur l’entreprise de presse, sur le financement des médias. Nous avons fait des propositions au gouvernement. Il ne nous revient pas de faire les lois, de prendre des décrets, pour appliquer une telle politique. Parfois, on a l’impression qu’on a en face de nous des interlocuteurs qui veulent une presse faible, précaire. Nous avons pris des consultants qui nous ont fait des propositions précises qui sont sur la table du gouvernement. Et nous avons même proposé des modes de financement de ce que nous demandons. Nous ne demandons même pas l’argent public.
D’aucuns estiment que la presse n’a pas à bénéficier d’une exception fiscale. Que leur répondez-vous ?
Je considère que dans une démocratie, il n’y a pas un secteur plus important que la presse. Comment voulez-vous qu’un secteur aussi important ne puisse pas discuter de ses problèmes avec l’Etat ? Tous les secteurs d’activités le font. Quand le secteur du tourisme a commencé à battre de l’aile, les professionnels du tourisme sont allés voir l’Etat pour demander des mesures d’allégement fiscal. Cette fiscalité du tourisme a été revue avec la baisse de la Tva. Pour encourager l’investissement dans le domaine de l’agriculture, l’Etat a mis dans le nouveau Code général des impôts une baisse notoire des taxes sur les produits et matériels agricoles. C’est un choix du gouvernement. Nous, on est un secteur d’activités qui a des problèmes, on nous refuse d’aller voir l’Etat pour discuter de ces problèmes-là et sauver nos entreprises, pour sauver l’activité économique, pour sauver la profession de journalisme dans ce pays, pour sauver les médias. C’est nous faire un mauvais procès que de nous empêcher de le faire.
Macky Sall a promis l’effacement de la dette fiscale. Quelle est la pertinence d’une telle mesure, qui a été prise il y a deux ans, sous Abdoulaye Wade, sans que la presse ne s’en porte mieux ?
Quand on est allé voir Abdoulaye Wade, on lui a expliqué la situation des médias, il a compris qu’il fallait prendre des mesures avant que les entreprises de presse ne ferment. Il a pris la mesure pour effacer la dette fiscale. La dette fiscale s’est reconstituée. Quand Macky Sall a été élu, nous sommes allés le voir pour lui dire que voilà ce que votre prédécesseur avait fait, si vous ne le faites pas les entreprises vont fermer. Avant qu’on aille le voir, il y a eu des entreprises qui avaient reçu des mises en demeure et des menaces de saisie de leur matériel. Pouvez-vous imaginer un instant que la Rts, le Soleil, le groupe Walf, le groupe Sud, Futurs médias, D-Médias puissent voir leur matériel saisi par les impôts dans le cadre du recouvrement forcé de la dette fiscale. Que deviendra le Sénégal dans ces conditions-là ? Donc, le gouvernement était tenu de le faire.
Cette mesure a aussi été beaucoup critiquée parce qu’elle a surtout profité aux entreprises publiques et aux grands groupes privés.
Cela va de soit que les entreprises de presse publiques sont les plus grandes débitrices. Quand on a fait la situation de la dette fiscale avec le président de la République, c’est lui-même qui avait sorti ces chiffres : il avait dit que la dette fiscale était 7 milliards 500 millions de francs Cfa. Sur ce montant, il y a 4 milliards 700 millions dus par la Rts, 800 millions par le Soleil, 786 millions par Futurs médias, 750 millions par Wal fadjri. Et le président de la République avait ajouté que ce ne sont pas toutes les entreprises qui sont concernées, qu’il y a des entreprises qui font l’effort de payer.
Il fallait donc une mesure plus équitable.
Ce qui serait équitable, c’est de faire une fiscalité adaptée. Nous tous, savons que les entreprises qui s’évertuaient à aller payer les impôts n’en avaient pas les possibilités. Mais elles voulaient peut-être éviter qu’on les mette dans le lot des entreprises qui ne payent pas l’impôt ou bien qu’on vienne les saisir facilement. Parfois des gens ont pris sur eux des choses qui leur ont beaucoup coûté pour garder leur liberté, leur indépendance. Il est plus facile d’aller s’acoquiner avec un pouvoir et de vivre tranquillement et d’avoir des centaines de millions, comme d’aucuns ont eu à le faire… C’est un choix et il a un prix.
Au-delà de l’effacement de leurs dettes fiscales, les patrons de presse réclament une fiscalité adaptée. Quelle a été la réponse de l’Etat ?
Nous avons toujours dit que la fiscalité que l’on applique à la presse est inadaptée. On ne peut pas, dans un secteur aussi précaire, aussi sinistré, continuer à nous appliquer la fiscalité que l’on applique aux autres. Et on a demandé que l’on mette en place une fiscalité adaptée au secteur de la presse. Ça se fait dans d’autres pays et même au Sénégal ça se fait dans certains secteurs d’activités. Dans l’espace Uemoa, chaque pays a la possibilité de choisir douze secteurs d’activités qui peuvent bénéficier de facilités fiscales. Pourquoi au Sénégal on a préféré choisir autre chose que la presse ? Peut-être c’est parce que la presse n’a pas insisté pour ça ou bien les gens n’ont pas compris l’intérêt d’avoir une presse libre et crédible dans ce pays. C’est ce que nous avons demandé, nous n’avons pas demandé autre chose. Et le gouvernement l’a si bien compris qu’il a accepté ce que nous avons toujours demandé : l’application d’une fiscalité adaptée. Nous avons un groupe de travail avec l’administration fiscale pour proposer un système fiscale qu’on trouvera plus adapté au secteur de la presse. Ce groupe de travail est en train de faire ses conclusions, lesquelles seront déposées sur la table du gouvernement et on ose espérer que ça sera intégré dans le nouveau Code des impôts.