«2014 EST L’ANNEE OU UNE CIRCULAIRE MINISTERIELLE A AUTORISÉ LA VIOLATION DE LOI SUR LA PARITE»
FATOU KINÉ CAMARA, PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION DES JURISTES SÉNÉGALAISES
Faisant le bilan de l’année 2014, la présidente de l’Association juristes sénégalaises (Ajs) a déploré l’ineffectivité de la parité sur la répartition des postes au niveau des bureaux des conseils municipaux et départementaux à l’issu des élections locales du 29 juin dernier. Toutefois, Fatou Kiné Camara espère qu’en 2015, avec une campagne de sensibilisation et de formation, les coupables de violences faites aux femmes et aux enfants, reconnus comme tel par la justice subiront l’intégralité de la peine prévue par la loi sans possibilité de liberté conditionnelle ni de remise de peine. Histoire de dire: "Stop, plus jamais ça !"
2014 est bouclé. Que retenir en termes de nouvelles conquêtes ou acquis pour les femmes ?
2012 a été l’année où les élections législatives, avec l’application, pour la première fois, de la loi sur la parité, ont permis d’élire 64 femmes à l’Assemblée nationale. Soit 43% de femmes, ce qui a placé le Sénégal à la 5ème place mondiale en termes de représentation des femmes dans les Parlements nationaux. 2013 a été l’année où un plaidoyer de plusieurs décennies a enfin donné ses fruits: la loi sur la nationalité a été modifiée pour enfin poser la pleine égalité des hommes et des femmes en matière de transmission de la nationalité sénégalaise à leurs conjoints/conjointes et à leurs enfants. 2014 est l’année où une circulaire ministérielle a, en totale violation de la hiérarchie des normes et de l’Etat de droit, donné instruction de ne pas faire respecter le Décret d’application de la loi sur la parité. En conséquence, les bureaux des conseils municipaux et départementaux ont, dans leur écrasante majorité, exclu les femmes à la suite des élections locales du juin dernier. La parité, mécanisme d’inclusion et de participation égale des femmes et des hommes aux instances de prise de décision, source de développement durable, de paix et de sécurité a ainsi connu un brutal coup d’arrêt.
Les violences faites aux femmes sont toujours d’actualité, mais les peines infligées aux auteurs reconnus de tels actes ne sont pas assez dissuasives. Qu’est-ce qu’il faut faire maintenant pour décourager les tentatives ?
Il faut une large campagne médiatique et des formations à tous les niveaux et sur tout le territoire, organisées par les autorités étatiques, pour dire: "Stop, plus jamais ça !", l’Etat du Sénégal n’accepte pas les violences faites aux femmes et aux enfants. Tout contrevenant sera traduit devant la justice et, s’il est reconnu coupable, subira l’intégralité de la peine prévue par la loi sans possibilité de liberté conditionnelle ni de remise de peine.
A Votre avis, que doit-on faire pour que les juges appliquent aux auteurs de ces violences, notamment des viols, la peine maximale ?
Il faut systématiquement inclure les violences basées sur le genre dans leur programme de formation, y compris la formation continue. La personne qui n’a pas été violée ne peut pas savoir combien c’est une arme de destruction totale (de la personne). Ce n’est pas pour rien que, pratiqué à large échelle dans les zones de conflit, le viol est qualifié par les Cours pénales ad hoc et internationale comme un crime contre l’humanité et, lorsqu’un groupe est particulièrement ciblé, comme un génocide. Le viol est un crime, il est un acte fondé sur la négation de l’humanité de l’autre. Il détruit profondément et durablement la victime, si elle ne bénéficie pas d’un suivi psychologique et d’un fort soutien de sa famille, de sa communauté et de la société dans son ensemble.
Ou en êtes-vous avec le relèvement de l’âge du mariage de 16 à 18 ans et la légalisation de l’avortement ?
Les organisations de défense des droits de la personne humaine, à commencer par l’Ajs, continuent de mener le plaidoyer, avec le souhait ardent qu’il portera ses fruits en cette année 2015. Le plaidoyer est pour un Etat du Sénégal qui respecte la Constitution qui le fonde, y compris les Conventions sur les droits des femmes et des enfants qu’il a légalement signées et ratifiées. Concernant le relèvement de l’âge du mariage de 16 à 18 ans pour les filles, ce sont ces Conventions qui disposent que l’enfant est toute personne qui n’a pas atteint l’âge de dix-huit (18) ans, que les mariages et les fiançailles d’enfants sont interdits et de nul effet (ndlr-avant cet âge) et que l’âge légal du mariage pour la fille est de dix-huit ans (Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant). C’est l’article 14 du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo) qui énonce clairement le droit des femmes et des filles à l’avortement médicalisé en cas de viol, d’inceste, d’agression sexuelle ou lorsque la grossesse met en danger la santé mentale ou physique de la femme ou sa vie ou celle du fœtus. Le respect de la Constitution et des engagements du Sénégal en matière de droits humains ne doit pas faire l’objet d’enjeux politiciens, ni être pris à la légère. C’est notre développement et notre sécurité interne (alimentaire, sanitaire, physique) et externe qui en dépendent.
La loi punissant l’excision n’est pas toujours appliquée. Que faut t-il faire à votre avis ?
Continuer la campagne actuelle menée par le ministère de la Femme, de l’Enfance et de la Famille, en partenariat avec différentes structures des Nations Unies, Ong et associations de protection des droits de l’enfant, y compris l’Association des juristes sénégalaises (Ajs), pour vulgariser la loi et sensibiliser les populations aux atteintes graves à la santé de la fille et de la femme que constitue l’excision.