«C’EST UNE GABEGIE, IL Y A EU DES AFFECTATIONS DESORDONNEES, DU NEPOTISME, DES SERVICES DE CAMARADERIE ET IL FAUT ARRETER TOUT ÇA»
ALIOU MARA, DIRECTEUR GENERAL DE L’AGENCE DE GESTION DU PATRIMOINE BATI DE L’ETAT
La mauvaise gestion du patrimoine bâtie de l’Etat durant la période des libéraux, Aliou Mara a pu la mesurer, depuis qu’il a pris les commandes de l’Agence de gestion du patrimoine Bâti de l’Etat, au lendemain de la seconde alternance. Après les informations publiées par «Le Populaire» dans sa livraison du mercredi dernier, où votre quotidien préféré faisait cas de la gabegie dans la gestion libérale du patrimoine bâti, M. Mara a bien voulu nous accorder cette interview, dans laquelle, il revient en détail, sur les différents aspects de cette mal gouvernance notoire.
Directeur, quelle situation prévaut aujourd’hui dans le patrimoine bâti de l’Etat ?
La sortie du chef de l’Etat fait suite à l’audience qu’il m’a accordée. Et durant ladite audience, je lui ai fait l’état des lieux physique et l’état des lieux financier du patrimoine bâti de l’Etat. L’état des lieux physique, c’est-à-dire combien de bâtiments administratifs à usage de bureaux ou à usage de logements sont gérés par le patrimoine bâti. Et aussi, quels sont les bâtiments qui ont été mis en bail, mis à la disposition de privés. Il fallait aussi que je lui parle des bâtiments conventionnés. C’est-à-dire les bâtiments loués par l’Etat à usage de bureaux ou de logements. C’est là où il y a de réels problèmes.
Quel genre de problème ?
Aujourd’hui, les bâtiments conventionnés coûtent à l’Etat une somme de 14,9 milliards de francs Cfa par an. Ce qui est encore plus grave, c’est qu’on a remarqué qu’avec le paiement de ces 14 milliards, il y avait des bâtiments qui sont loués mais inoccupés. Et nous payons. Ensuite, il y a des bâtiments qui sont irrégulièrement occupés. C’est-à-dire que des gens l’occupent, l’Etat paye le loyer, alors qu’ils n’ont plus le droit d'occuper le logement. Soit, ce sont des personnalités de l’ancien régime à qui on avait donné des maisons, des logements du patrimoine bâti, parce qu’ils étaient directeurs ou ministres, soit des gens qui sont à la retraite depuis longtemps. Mais le problème c’est que l’Etat ne sait pas ce qu’il a et ce qu’il n’a pas. Et le patrimoine bâti n’est pas informatisé. On ne connait pas le territoire du patrimoine bâti. Aujourd’hui, nous, nous sommes en train de circonscrire ce territoire en mettant en place notre chantier d’informatisation qui est en cours. Et bientôt, d’ici à la fin du mois, on va démarrer un recensement couplé à une enquête du patrimoine bâti conventionné qui sera faite par la gendarmerie nationale. Il faut que nous ayons une situation exhaustive des occupations du parc conventionnée.
N’est-ce pas cette situation qui avait provoqué le courroux du chef de l’Etat ?
Oui, parce qu’on s’est rendu compte qu’en 2006 on payait en convention 1,183 milliard de francs. Et de 1,183 milliard de francs Cfa en 2006, on est monté à 14,9 milliards de francs Cfa en 2012. Un bond exponentiel. C’est une gabegie. Il y a eu des affectations désordonnées, du népotisme, des services de camaraderie. Et il faut arrêter tout ça.
Et comment comptez-vous arrêter tout cela ?
J’ai décidé que maintenant, les affectations ne seront plus régies par une personne, mais par un groupe de personnes. Donc, j’ai mis en place une commission qui se réunit deux fois par semaine pour faire des propositions d’affectation en fonction des demandes que nous recevons. Et cette commission est composée d’un membre de toutes les directions de l’Agence.
Donc, vous êtes prêts aujourd’hui à assainir, dès maintenant, en résiliant certains contrats ?
Ah oui, il y a, au niveau de la direction de l’exploitation, un bureau qui s’appelle «Bureau de libération et résiliation» qui s’occupe de cela. Donc, pour tous les bâtiments administratifs aujourd’hui occupés, on a fourni des fiches d‘enquête aux occupants. Cela va nous permettre de savoir qui sont les occupants réguliers et irréguliers. Et ensuite, nous prendrons les décisions qu’il faut.
Des poursuites seront alors engagées pour remboursement et autres…
C’est clair. On a une direction juridique. Quand il a été mis en place l’agence j’ai demandé à mettre en place l’organigramme que j’ai proposé au conseil de surveillance. Il y a 1580 bâtiments conventionnés. La gendarmerie va sillonner ces 1580 bâtiments. Ce qu’il faut signaler, c’est que ces 1580, 85% se trouvent à Dakar. Les 15% se trouvent dans les régions. Donc, il faut que la gendarmerie regarde cela. On lui donnera la liste. Il y aura une fiche d’enquête que les occupants doivent remplir. Pour savoir si c’est des occupants réguliers ou irréguliers. Et à la suite de cela, beaucoup de conventions seront résiliées.
L’on dit que l’ancien régime a fait beaucoup de laissez-aller dans ce domaine et que certains occupent même toujours leur logement. Est-ce vrai ?
Oui. Par exemple l’ancien ministre conseiller du Président Abdoulaye Wade, Habib Mbaye, occupe un logement conventionné où l’Etat paye par mois 1 500 000 francs Cfa. Et dans le décret qui organise l’attribution de logements du patrimoine bâti de l’Etat, il est dit que la fonction pour laquelle on vous avait attribué un logement, si vous ne l’avez plus, vous ne devez même pas attendre que le patrimoine bâti vous déloge. Et lui, depuis mars 2012 qu’il a quitté ses fonctions, il est là-bas. Donc nous, nous allons intenter des actions en justice pour cela. Car ce sont des préjudices de 1 500 000 francs Cfa par mois. Pour ces genres de cas nous allons intenter des actions en Justice. Et c’est pour cela que nous avons mis en place une cellule juridique.
Il est dit que durant la période libérale on affectait des maisons à ceux qui n’en avaient pas le droit. Cela est-il avéré ?
Oui il y en a. Il y a des parents de Abdoulaye Wade qui sont dans des maisons conventionnées. Il y a des gens qui logeaient peut-être même leurs copines, je ne sais pas. En tout cas, on a remarqué qu’il y a beaucoup de bâtiments qui sont occupés par des non ayant-droit. Mais pour le moment, on ne peut pas vous dire de manière exhaustive c’est combien. C’est pourquoi on a recouru aux services de la gendarmerie pour faire le recensement.
Le chef de l’Etat, lui, veut même l’abandon des conventions. Est-ce possible ?
On veut abandonner les bâtiments conventionnés. Certains fonctionnaires de l’Etat qui ont droit à des logements de fonction. Ce qui est normal. D’autres ont droit à des logements par nécessité de service. Mais pour ces derniers, ce n’est pas une obligation. Quand il y a un logement disponible dans le parc, on peut vous l’affecter pour que cela vous facilite votre travail. Mais le grand problème aujourd’hui, c’est que ce sont ces logements par utilité de service qui posent problème. Parce que non seulement il n’y a pas de disponible dans le parc, mais la direction du patrimoine bâti allait louer pour ces gens-là. Ce qui n’est pas normal. Mais on va arrêter tout cela. Maintenant, l’Etat ne va donner des logements que sur son propre parc. On ne va pas louer des maisons pour y faire habiter des fonctionnaires. ça on ne le fera plus. Les fonctionnaires ont leur indemnité de logement, ils doivent chercher des logements comme tous les Sénégalais.
Aujourd’hui, si le coût du loyer a flambé, surtout à Dakar, c’est à cause du patrimoine bâti. Et le patrimoine bâti doit jouer un rôle de régulateur. Aujourd’hui, je peux dire que 90% des logements conventionnés par le patrimoine bâti sont des logements surfacturés. Tout logement qui est loué à 800 000 francs Cfa, sachez que c’est un logement qui peut coûter 400 000 francs Cfa ou 500 000 francs Cfa. Les gens disent que c’est l’Etat, et l’Etat a bon dos. Et l’Etat doit sortir de ce cercle de location de bâtiments et laisser les agences immobilières jouer leur jeu. Mais tant que l’Etat est dedans, il constituera un paramètre qui va faire flamber les coûts. Car quand vous louez votre maison à l’Etat à 800 000 f alors que vous l’auriez donnée à un Sénégalais lambda à 300 000 francs Cfa, Si votre voisin d’à côté voudra lui aussi louer sa maison, quand il verra que vous louez à 800 000 francs Cfa, il se dira que lui aussi il peut le faire. Et quelqu’un d’autre aussi. C’est cela qui fait grimper le coût du loyer à Dakar. Donc, c’est l’Etat qui doit jouer le rôle de régulateur. Si l’Etat doit louer, il doit louer comme tout le monde, ou sortir de ce territoire et le laisser aux agences immobilières.
Privilégiez-vous donc la solution de l’indemnité de logement comme le Président de la République ?
Oui des indemnités. Et le président de la République ce qu’il a dit même c’est augmenter les indemnités. On va essayer de voir ce qui est possible en termes d’augmentation des indemnités.
Dernièrement, le cas Alioune Badara Cissé avait aussi été évoqué. Pouvez-vous nous éclairer là-dessus? Occupe-t-il toujours la villa qui lui avait été affectée ?
Oui c’est vrai, monsieur Cissé occupe toujours la maison qui lui est attribuée. Normalement, il doit quitter cette maison. Mais monsieur Cissé est dans une position transitoire, d’un moment à l’autre il peut revenir. D’ailleurs, même on dit qu’il a rencontré le chef de l’Etat et il y a de fortes chances qu’il revienne. Donc on s’est dit que c’est dans une phase transitoire ça ne sert à rien de se précipiter. D’autant plus que ce n’est pas un bâtiment où l’Etat paye. C’est un bâtiment qui appartient à l’Etat. Donc, cela ne nous coûte rien.
Vous voulez maintenant assainir et faire des économies ?
Oui. Non seulement il faut mettre de l’ordre, mais cet ordre va nous permettre d’économiser beaucoup de milliards. Lors de notre rencontre avec le chef de l’Etat, nous avions dit que nous comptions, d’ici à 2015, réduire de moitié les conventions. C’est-à-dire aujourd’hui nous payons 14 milliards de francs Cfa, nous voulons réduire les conventions à 7.5 milliards. Au finish, les conventions devraient être une exception. C’est-à-dire, l’Etat ne devrait même plus conventionner. C’est le contraire qui devait se passer. Le patrimoine bâti devait plutôt louer des bâtiments de l’Etat et verser des recettes.
Cela suppose que l’Etat ait un parc assez important.
Oui l’Etat a un parc bien fourni, qu’il faut réhabiliter. Nous avons mis en place un programme de réhabilitation. Et les gens qui étaient dans les bâtiments conventionnés on va les transférer maintenant, vers les bâtiments de l’Etat où on ne paie rien. Mais pour cela il faut d’abord réhabiliter. C’est pourquoi dans la loi des finances nous avons demandé à ce que le budget de réhabilitation soit revu à la hausse pour mieux dérouler notre plan stratégique. On va aussi construire des bâtiments. Au building administratif les gens sont à l’étroit. Aujourd’hui la nécessité d’un second building administratif est à l’ordre du jour.
Ce projet a-t-il sérieusement avancé ?
On a un projet et le projet est avancé parce qu’on a le site. Et on est en train de chercher des partenaires pour nous accompagner dans le projet. Le site c’est à Mermoz. Entre Mermoz et Fann résidence. Il faut que le site ne soit pas trop éloigné de la ville, mais aussi il faut qu’il soit en dehors de la ville pour décongestionner.
Votre dernier mot ?
Je dis à ceux qui occupent irrégulièrement le patrimoine bâti et les logements conventionnés, ce n’est pas de gaité de cœur qu’on va les déloger. Parce que nous parlons de «Yoonu yokkuté», nous devons mener le Sénégal vers la voie du développement, et le développement ne peut pas se faire dans le désordre. Il faut qu’on mette de l’ordre. Pas seulement dans le patrimoine bâti de l’Etat, mais dans tous les services. Les bâtiments doivent être occupés par des ayant-droit. Aujourd’hui il y a des fonctionnaires de l’Etat qui ont droit à des logements et qui n’en ont pas, alors que d’autres qui étaient là, et qui sont à la retraite, continuent d’occuper les bâtiments. Nous allons mettre de l’ordre et que justice soit rendue.