«IL FAUT AVOIR D’AUTRES ALTERNATIVES DE PRODUCTION»
ALY NDIAYE, INGENIEUR AGRONOME SENEGALAIS BASE AU BRESIL
Programme à caractère scientifique et technique, le Projet production agricole intégrée durable et soutenable (Pais) vise à contribuer à l’amélioration de la productivité agricole au Sénégal. Ainsi, depuis sa création en 2005 au Brésil, ce projet - initié par un ingénieur agronome sénégalais du
nom de Aly Ndiaye - encourage la culture bio afin d’insérer les petits producteurs dans ce marché qui est en train de bien se développer au niveau mondial. Expérimentant le Pais au Sénégal, depuis bientôt une année, Aly Ndiaye le décortique dans cet entretien.
Qui est Aly Ndiaye ?
Je suis ingénieur agronome formé à l’Université fédérale et rurale de Rio de Janeiro en Brésil, où je réside depuis 20 ans. Je suis sorti du Sénégal en 1993 pour aller étudier l’agronomie au Brésil. Auparavant, j’étais à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, à la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg). J’ai choisi le Brésil parce que c’est une région qui a un peu des caractéristiques similaires avec le Sénégal et l’Afrique en général. Et c’est un pays très développé en matière d’agriculture. Il faut savoir que j’ai fait mes études sur l’agriculture biologique durable, parce qu’on a commencé à questionner le modèle agricole. C’est pour cela d’ailleurs dans certains pays d’Europe et même au Brésil, où la discussion a débuté, on demande que les aliments des nourrissons soient faits sur la base du bio. Parce qu’on ne peut pas parler de santé et contaminer nos enfants à bas âge. Dans le monde, la consommation des produits biologiques a commencé à croître. Alors, c’est une opportunité pour qu’on mette nos petits producteurs dans ce modèle où on utilise ce qu’on a localement pour produire. On a les techniques, les engrais verts, l’intégration de la production animale-végétale, les reboisements intégrés dans un modèle de production.
C’est donc de là qu’est partie l’idée de créer Pais…
Tout à fait. C’est ce qui nous a fait créer au Brésil le Pais (Production agricole intégrée durable et soutenable). Dans un espace d’un hectare, on produit du maraîcher, de la volaille, des fruits et on y développe de la pisciculture. Le tout dans un même espace. Au Brésil, on a déjà développé 15 000
unités de Pais dans 26 Etats, depuis 2005.
Comment avez-vous développé le projet au Sénégal ?
Quand on a pensé amener le projet au Sénégal, on a eu l’appui de certains partenaires pour rapatrier ce qu’on a de bon dans notre pays. Alors, j’ai commencé à cogiter sur la question de l’énergie. Au Brésil, il y a le programme 'lumière pour tous' qui permet d’avoir de l’énergie partout en permanence.
Ici, on n’a pas ça. Alors, j’ai pensé qu’il fallait qu’on utilise le solaire, puisque j’avais d’ailleurs découvert une pompe qui jusqu’à 100m pompait de l’eau et stockait en hauteur dans une caisse de 5000 litres de capacité. Donc, j’ai vu qu’il pouvait faire partie du projet. Avec l’appui du gouvernement sénégalais et de la coopération brésilienne, on a réussi à avoir un projet de 11 fermes agricoles. Une première ferme pilote a déjà débuté ses activités à Mbodiène et les 10 autres verront le jour au milieu de cette année. Et les résultats enregistrés à Mbodiène sont vraiment satisfaisants.
Depuis quand développez-vous ce projet au Sénégal et qu’est-ce que notre pays y gagne réellement ?
Je suis installé au Brésil, mais cela fait un an qu’on a monté ce projet au Sénégal. Il y a eu une assistance technique avec des institutions comme l’Anida, Caritas et l’Ulds avec qui nous avons des relations et qui vont accompagner les producteurs sénégalais à multiplier le projet depuis la semence jusqu’à la commercialisation. Des gens sont également allés au Brésil pour subir une formation en agriculture biologique. C’est un projet important pour le Sénégal, car on peut cultiver toute l’année. On ne demande pas de retirer l’arachide et le mil, non ! Il faut les cultiver durant l’hivernage, mais il faut continuer à développer d’autres cultures durant toute l’année. Un petit producteur ne peut pas faire une seule activité. Il faut tout intégrer pour permettre à ce dernier de combler certains vides. De ce fait, s’il ne gagne pas beaucoup avec la salade par exemple, il pourra se rattraper avec les poissons ou encore les tomates ainsi de suite. En sus, il faut penser à l’alimentation, car on ne mange pas seulement du mil et de l’arachide. Notre objectif, c’est de construire le marché local, développer une organisation sociale et une bonne gestion de l’économie locale.
A combien estimez-vous le coût de ce projet et est-ce en partenariat avec Etat ?
Ce projet coûte à peu près 20 000 dollars soit 10 millions de francs Cfa. Ce qui n’est rien. Les matériels sont fabriqués localement, seule la pompe coûte un peu cher. Le plus important, c’est de profiter des ressources qui sont dans la région. Pour ce qui est de la configuration du projet, on a deux formes au niveau du Brésil. Il y a les petits producteurs que le gouvernement appuie à travers des fonds perdus. Par contre, il y a des gens qui ont enregistré des résultats probants dans le projet, ce sont des entrepreneurs qui entrent dans le projet et qui m'invitent pour monter le projet avec eux pour leur business. Et au Sénégal, c’est une coopération entre le gouvernement sénégalais et le gouvernement brésilien. Des critères ont d’ailleurs été définis pour bénéficier du projet. On privilégie les petits producteurs qui habitent dans leur champ. Les produits biologiques sont beaucoup plus chers et les gens ont commencé à aller dans les unités pour les acheter. J’ai d’ailleurs une ferme au Brésil où on ne cultive que bio.
M. Ndiaye, les produits bio coûtent très cher comme vous le dites, pensez-vous qu’ils puissent se vendre convenablement dans notre pays avec la faiblesse du pouvoir d’achat des Sénégalais ?
La politique qu’on est en train de développer, c’est d’appuyer les petits producteurs pour leur alimentation diversifiée et saine mais aussi à entrer dans un business. Car il y a des gens qui ont la possibilité d’acheter ces produits. Mais sur la question du prix au niveau mondial, il y a une discussion. Parce que, quand on augmente la production biologique, le prix a tendance à se stabiliser. Car il y a peu de productions et une très forte demande, c’est les lois du marché. Mais quand on a par exemple 1000 unités de production, ce qui coûtait 1000 francs Cfa va revenir à 600 ou 500 francs Cfa. Ce qui nous intéresse, c’est d’insérer ces petits producteurs dans ce marché qui est en train d’augmenter.
Combien d’emplois génèrent les unités que vous avez montées?
Chaque unité profite au moins à 15 personnes.
Vous êtes spécialiste de l’amélioration de la production agricole, que faudrait-il faire pour rendre l’agriculture sénégalaise beaucoup plus performante et compétitive ?
Je pense qu’il faut revoir notre modèle de production. L’arachide et le mil seulement, pour quatre mois dans l’année, ne peuvent pas constituer une base solide d’une agriculture qui se veut durable. Depuis que je suis petit, c’est le même procédé. Alors, je pense qu’il faut commencer à aborder l’agriculture
comme une science et lui donner un peu plus de poids politique. Il faut faire de l’agriculture, durant toute l’année, car tous les pays que je connais et qui se sont développés, grâce à l’agriculture, n’ont pas une agriculture basée sur quatre mois. Ce n’est pas possible. Le Sénégal a d’ailleurs la chance d’avoir des techniciens ici et dans la diaspora qui sont capables de contribuer au développement de notre agriculture. Le Pais en est un parfait exemple. Aussi, il faut créer des structures de développement local, stimuler la production locale, en considérant climatiquement les régions, les capacités productives des régions en termes de diversité et faire une agriculture durant douze mois. J’ai vu beaucoup de producteurs au Sénégal qui ont arrêté parce que la base de l’énergie qu’ils utilisent pour produire, c’est le gasoil dont le prix ne cesse d’augmenter. Donc, il faut avoir d’autres alternatives de production. Je pense à l’énergie solaire ou éolienne qui pourrait améliorer vraiment notre production. Il faut diversifier les cultures et favoriser la transformation des produits. L’huile d’arachide est extrêmement chère au Brésil, donc même si on ne transforme pas ces produits à grande échelle, on peut le faire localement et ça donne le temps aux producteurs de respirer durant l’année, car le produit ne va pas se détériorer rapidement. Il faut savoir que faire de l’agriculture, ce n’est pas seulement planter des arbres, c’est une science qui a besoin d’une gestion, d’une discussion, d’un partenariat, d’une organisation des producteurs. Et pourtant, avec le climat que nous avons, nous aurions pu bourrer la France de nos produits. Malheureusement, c’est le contraire qui est constaté.