«LA BAISSE DES BILLETS D’AVION DECIDEE PAR LE PRESIDENT MACKY SALL EST REVOLUTIONNAIRE»
IBRA BIRANE WANE, SPECIALISTE DU TRANSPORT AERIEN
La promesse de baisse des billets d’avion faite par le chef de l’Etat à Ziguinchor a fait réagir Ibra Birane Wane. diplômé en droit aérien et maritime, en économie et gestion du transport aérien, directeur général d’Aviation and Co, Représentant Général de Corsair en Afrique, Consultant international de l’iata et de l’Union européenne et Maître de conférence en droit aérien. Acteur dans le transport aérien depuis vingt-huit ans, M.Wane trouve que cette baisse décidée par le Président Macky Sall est simplement révolutionnaire.
Le président de la République a annoncé récemment la baisse des taxes sur les billets d’avion pour réduire les coûts de ces billets. Est-ce que cela est possible ? Et de quelles taxes s’agit-il ?
La décision prise par le président de la République est révolutionnaire et unique dans les annales du transport aérien. Elle relève d’une audace et d’un volontarisme salutaires. Il s’agit de tout mettre en oeuvre pour augmenter le trafic de passagers à destination du Sénégal. Pour ma part, je ne suis pas surpris car c’est le deuxième jalon important que le Président pose dans le sens de développer le transport aérien et le tourisme vers le Sénégal. Donc il est tout simplement en cohérence. Il faut cependant bien poser le sujet. Le Président ne fixe pas le prix du billet d’avion, lequel se compose de deux éléments principaux : le tarif aérien et les taxes et redevances. Le tarif aérien est fixé par la compagnie. Ce tarif se subdivise en «tarif hors taxes» et en «surcharge carburant». La recette totale de ce tarif appartient à la compagnie, donc elle ne peut en principe faire l’objet d’aucune action de la part des pouvoirs publics. Pour les taxes et les redevances, la redevance est un prélèvement perçu dans le but de couvrir les coûts d’une fourniture de service ; la taxe est un prélèvement conçu pour percevoir des recettes destinées aux pouvoirs publics. La taxe est forcément d’émanation législative car il s’agit d’un impôt. Les recettes des taxes ne sont d’ailleurs pas forcément affectées au secteur de l’aviation, le législateur est libre de sa décision dans ce domaine. Nous avons pour exemple la «taxe de solidarité» dite «Chirac», conçue par le Président français d’alors et qui ponctionne 40 euros aux passagers de la classe affaires au départ de France pour alimenter un fonds d’aide aux pays en développement. Le président de la République peut agir sur la partie taxes et redevances en les faisant supprimer par voie législative ou par voie réglementaire. Mais il s’agit bien de taxes et redevances collectées par les compagnies aériennes auprès des clients au moment de la vente de billets d’avion et destinées à être reversées par les compagnies aériennes aux organismes désignés par les pouvoirs publics. Il s’agit d’alléger les dépenses des usagers du transport aérien en général. C’est ça le sens de la décision du président de la République. Elle est très généreuse car elle contribue à augmenter le pouvoir d’achat de nos clients et donc à favoriser le développement du trafic et du tourisme.
Et la «surcharge carburant», qu’est-ce que c’est ?
La «surcharge carburant» est un élément du tarif fixé par les compagnies. D’ailleurs, elle varie d’une compagnie à une autre, d’une classe de voyage à une autre etd’une destination à une autre, exactement comme le tarif luimême ! Elle n’est pas décidée par une autorité pour être collectée auprès du passager et reversée à un organisme quelconque. Sans entrer dans des explications complexes, il faut retenir que c’est une technique qui a été conçue par les compagnies aériennes au moment de la hausse continue du prix du carburant pour essayer de couvrir une partie de cette dépense qui représente près de 40 % de leurs coûts opérationnels. Il s’agissait d’isoler du tarif la somme qui pouvait être affectée aux dépenses exorbitantes liées au carburant. La communauté des agences de voyages avait d’ailleurs protesté contre cet «isolement» d’une partie du tarif, accusant les compagnies de mettre en place un procédé astucieux destiné juste à réduire considérablement le montant des commissions des agences, qui ne se calculerait plus que sur une très faible assiette représentant le tarif hors taxes. Exemple : une compagnie déclare que son tarif HT sur Dakar-Paris-Dakar est de 40 000 FCfa mais que sa surcharge carburant est de 160 000 FCfa, ce qui fait un tarif total de 200 000 FCfa HT ; mais les agences de voyage qui ont vendu ce tarif ne seront commissionnées que sur 40 000 FCfa ! Il faudra ensuite ajouter la totalité des taxes pour avoir le tarif Ttc Global. Il faut quand même reconnaître qu’un tarif global de 200 000 F Hors taxes sur la relation Paris-Dakar par exemple est tout à fait raisonnable (peu importe qu’il soit comptablement composé de 40 000 F de Tarif et 160 000 F de surcharge carburant).
Ces mesures peuvent-elles obliger les compagnies aériennes qui desservent le Sénégal à baisser le prix de vente de leurs billets d’avion ?
Ces mesures ne visent pas à «obliger » les transporteurs. C’est unedécision d’autorité, exceptionnelle, dont les résultats sont immédiatement mesurables, dès lors que la mise en oeuvre est effective. Le Président supprime une composante du prix qui ne dépend pas des transporteurs, de manière à faire bénéficier le consommateur final d’une réduction du tarif global. L’enjeu c’est plutôt de veiller à ce que les transporteurs ne remplacent pas cette «ponction présidentielle» par une légère augmentation de leurs tarifs de sorte que l’opération ne bénéficie pas aux voyageurs !
Quelle est la traduction sur le terrain de ces mesures qui veulent faire baisser le prix du billet d’avion ?
Concrètement c’est très simple : le Sénégal est aujourd’hui le pays le plus taxé de l’Uemoa et même de toute la Cedeao. Si la décision du Président est appliquée, le Sénégal sera le pays le moins taxé de la Zone Uemoa. C’est tout simplement inédit, et c’est pour cela que je parle de révolution ! En ce qui concerne la Cedeao, seul le Cap Vert continuera à tenir le haut de la marche devant le Sénégal. Au Cap Vert, il n’y a presque pas de taxes et le tourisme y connaît aujourd’hui une croissance exponentielle (les chiffres de BOA VISTA en janvier dernier sont impressionnants, c’est la plus forte augmentation au plan mondial). Ceci explique en partie cela. Exemple concret : sur un vol direct donné entre Dakar et Paris, pour un billet aller-retour en classe économique vendu au Sénégal, le montant total des taxes collectées est de 72 800 F du côté Sénégalais et de 33 700 du côté Français. Donc pour le passager de la classe économique, il y a 72 800 F de taxes qui dépendent de l’Etat Sénégalais et seulement 33 700 F de taxes qui dépendent de l’Etat Français ! Si le Président décide de ne maintenir que la taxe dite Rdia pour le financement de l’Aibd, il ramènera le niveau des taxes sénégalaises presque à celui des taxes françaises et en dessous du niveau des taxes de tous les pays de l’Uemoa ! C’est extrêmement positif pour le tourisme et le transport aérien. Il n’est pas besoin de faire d’autres calculs et d’autres débats.
Toutes ces mesures vont-elles permettre d’avoir l’effet escompté, c’est-à-dire la programmation de beaucoup de vols pour la destination Sénégal en vue d’avoir un afflux de touristes ?
L’augmentation de la programmation des vols vers le Sénégal dépend plus directement de la conjugaison de trois autres facteurs : l’attractivité du pays et de ses aéroports, les études économiques des compagnies et la politique aéronautique mise en oeuvre.
Quels sont les leviers sur lesquels l’Etat peut vraiment s’appuyer pour réduire le billet d’avion en vue de rendre moins chère la destination Sénégal et augmenter le trafic ?
L’Etat pourrait s’appuyer sur plusieurs leviers qui relèvent pour l’essentiel, je le répète, de la politique aéronautique qu’il met en oeuvre. Je vous parlais au début de notre entretien du deuxième jalon que venait de poser le Président Macky Sall? Le premier jalon, il l’a posé dès le mois de juillet 2012 lorsqu’en me recevant à Paris, il m’a signifié l’autorisation qu’il accordait à la compagnie Corsair International que je représente en Afrique d’exploiter la ligne Paris-Dakar en droits réguliers. Il avait alors assorti son accord d’une condition très claire : «Ma décision ne vise qu’un seul objectif : la baisse significative du prix des billets d’avion en direction de nos compatriotes de la diaspora, des touristes, des chefs des petites et moyennes entreprises et des familles. Si votre compagnie s’engage sur ce point, je vous autorise immédiatement à opérer au Sénégal autant que vous le souhaiterez, tant que vous ferez baisser les prix». J’avais répondu que nous baisserions les tarifs et augmenterions le trafic de l’aéroport de Dakar. Et effectivement, notre exploitation a rapidement permis une baisse généralisée de l’ensemble des prix de -33 % et une augmentation de +54 % du nombre des billets vendus en 2013. Le Président nous a reçus deux fois par an depuis lors pour s’enquérir lui-même, au détail près, de la réalisation des objectifs visés (comme le faisait également son Premier ministre sur base trimestrielle). C’est vous dire combien cela lui tenait à coeur! Et je peux vous assurer qu’il a, preuvesà l’appui, toujours marqué sa très grande satisfaction à l’instar de toutes les populations concernées.Corsair a donné le la et l’ensemble des compagnies ont suivi le mouvement ! Aujourd’hui qu’elle affiche un tarif improbable de seulement 300 000 FTTC, sur la relation Dakar - Paris - Dakar, la plupart des autres compagnies se sentent encouragées à baisser également leurs tarifs et cela crée une baisse généralisée au profit des populations concernées. Pour s’en convaincre, il suffit juste de retirer l’élément précurseur et instigateur de la baisse pour que les prix remontent et reviennent à leur situation antérieure, selon la simple loi de l’offre et de la demande.
C’est mécanique et nous en avons l’expérience. Il convient de rendre hommage à toutes les compagnies, notamment les plus historiques, qui participent à ce mouvement de baisse et qui toutes augmentent leur trafic et donc celui de l’aéroport de Dakar ! C’est donc l’option politique qui peut orienter les tendances du
marché dans le sens voulu. C’était là la démarche du président de la République lorsqu’il a compté sur une compagnie expérimentée en la matière comme Corsair pour mettre en oeuvre sa politique volontariste de baisse des prix et d’augmentation du trafic. Ce premier jalon, c’est une politique aéronautique incitative : le chef de l’Etat donne une orientation et les autorisations subséquentes. Mais la décision du président de La République, pour salutaire qu’elle soit, ne peut être considérée comme la seule solution pour développer le trafic et le tourisme. Il appartient aux acteurs économiques de jouer le jeu et de tenir leurs engagements. Nous devons avoir de vrais professionnels, animés d’une détermination sans faille pour poser les actes à même de rétablir et de consolider l’attractivité du Sénégal. Il s’agit de comprendre que la politique voulue par le Président et le Gouvernement, c’est d’augmenter le nombre de voyageurs (touristes ou autres) vers le Sénégal. Il faut donc agir en conséquence pour motiver les acteurs concernés à faire le choix du Sénégal. En Côte d’Ivoire tout près, par exemple, le Directeur général de l’Aéroport d’Abidjan a mis en oeuvre une stratégie proactive d’approche directe et de négociation bilatérale avec les compagnies aériennes internationales pour les attirer vers son aéroport. Ce faisant, il s’inscrit dans une démarche qui tire sa légitimité d’une volonté politique assumée. Il y a lieu de faire un benchmark pour comprendre comment certains ont pu obtenir des succès probants et apprendre d’eux. Une façon de poser le troisième jalon !