«LA POLITIQUE QUE JE NE SAURAIS FAIRE…»
COUMA GAWLO SECK, ARTISTE, AUTEUR, COMPOSITEUR
Grande figure de la musique sénégalaise, Coumba Gawlo Seck, qui vient de fêter son quart de siècle de carrière, en lançant récemment un nouveau album intitulé «Sen Gawlo Eksyna» sur le marché, s’est livrée au «Pop». Dans cet entretien, la grande diva à la voix d’or évoque bien des questions liées à la musique, à la politique, au social… Elle s’offusque, en outre, de la manière dont on distribue de l’argent dans les soirées anniversaires au Grand Théâtre, à Sorano, etc.
Vous venez de fêter un quart de siècle de carrière, quel bilan pouvez-vous en tirer ?
Beaucoup de satisfaction et pour plusieurs raisons. D’abord, parce que le public a répondu présent aux trois dates majeures qui étaient programmées. Ensuite, parce que les Sénégalais, sans exception et tout âge confondu, m’ont soutenu dans la célébration de ce quart de siècle. Ils m’ont encore une fois témoigné de leur affection, de leur solidarité. Et enfin, parce que le show musical que je m’étais promise de présenter était à la hauteur. C’est un résultat satisfaisant et j’en suis très fière.
Qu’est-ce que vous avez déploré dans la célébration de ce quart de siècle ?
Je suis généralement très satisfaite de ce qui s’est passé tout au long du programme. Que ça soit au Grand Théâtre où j’ai vraiment eu tout type de public. Que ça soit le public très populaire, le public très jeune, que cela soit d’un autre niveau. Mais que ça soit aussi tous les ambassadeurs, ces membres du corps diplomatique qui étaient venus personnellement assister à cet événement, ce qui m’a beaucoup honorée. Donc, je ne peux vraiment que me réjouir du résultat. Et, je rends grâce à Dieu. Vous n’êtes pas sans savoir qu’on n’est jamais satisfait, surtout quand on est perfectionniste. Moi, je suis née perfectionniste, d’ailleurs certains de mes amis me le reprochent, parfois parmi lesquels le journaliste écrivain Pape Samba Kane qui me dit toujours : "Respire un peu tu es trop perfectionniste". Parce que, moi, j’aime le rêve. Donc, quand on est moulée ainsi, on n’est jamais satisfaite. Aussi, je rends grâce à Dieu, à l’équipe qui a bien travaillé, ainsi qu’aux musiciens.
Par contre, si j’ai quelque chose à déplorer, c’est le retard qu’il y a eu sur le démarrage du spectacle. Ça, m’a fait très mal. Parce que je suis une professionnelle, j’ai le devoir d’être une professionnelle en tout. Et quand on est professionnel, la première règle de ce métier est de démarrer les shows à l’heure. Il y a une heure minimale à laquelle il faut démarrer le show. Mais, comme me le dit parfois, une grande majorité de mon staff : "Il faut faire selon les réalités d’un pays". Et les réalités, c’est que les gens sortent tard au Sénégal. J’avoue que personnellement, cela m’a beaucoup stressée et ça ne m’a pas plu de démarrer ce show du Grand Théâtre à 23 heures. Pour moi, à cette heure, c’était trop tard. Parce que ce n’est pas une soirée dansante. On fait venir des gens, des personnalités, pour moi le show devait démarrer à 21 heures 30 au plus tard. Bon, c’est les aléas d’une société, il faut faire avec. Et, heureusement, que je n’avais pas ce même stress lors du dîner de Gala à Alkimia, c’était relax.
Est-ce que votre carrière a suivi la trajectoire que vous vouliez lui donner ?
Je suis quelqu’un qui aime chanter, qui aime faire des choses et qui a envie d’en faire plus. Mais je pense que ma carrière a suivi une très bonne trajectoire. Des fois, on veut réaliser des choses, ça ne se fait pas parce que c’est le destin, soit c’est autre chose. Voilà, on ne peut pas tout satisfaire dans la vie, il n’y a que Dieu qui peut tout satisfaire. Nous sommes des êtres imparfaits, il faut avoir cette foi. Mais, à mon humble avis, ma carrière a fait un grand pas. Je suis très satisfaite d’en arriver là où je suis aujourd’hui. J’ai un ami journaliste qui est aussi très proche de moi, qui me conseille, il me dit souvent : "Dans une carrière, le plus important n’est pas ce qu’on n’a pas fait, le plus important, c’est la constance, la régularité. Et le fait d’être constant c’est déjà très bien et vous avez cette chance d’avoir cette constance". Je m’en réjouis et j’en rends grâce à Dieu. Je pense que cette constance dans la durée est très importante et j’ai cette chance. Je m’en réjouis car c’est grâce aux fans.
A propos de constance, on ne vous sent plus sur la scène internationale comme du temps de «Pata-Pata». Vous êtes plus sur le marché local. Est-ce un choix ou ce sont les contingences du marché international qui vous l’imposent ?
Vous savez, quand on la chance que j’ai d’être une artiste de dimension internationale, beaucoup plus ouverte, qui voyage, qui fait des tournées, qui fréquente les grands plateaux des grandes chaînes du monde, on ne se plaint pas. Lundi dernier, j’ai été l’invitée de Tv5 Monde. Dernièrement, j’étais sur M6… Cela veut dire que c’est déjà bien. Il ne faut pas non plus oublier son public local, le ghetto comme on l’appelle. J’ai toujours envie d’être proche de mon public sénégalais. Parce que tout est parti du Sénégal, c’est la base. Il est très important pour moi de faire ce qu’on appelle du maintien. Maintenir son public local par des dates quand vous êtes au Sénégal en jouant dans un club. Cela n’empêche pas cependant d’aller faire d’autres dates ailleurs. Car, nous avons des dates au niveau international. Là, je viens de Ndjamena au Tchad. Nous avons aussi la tournée italienne qui démarre avant le Ramadan. Et après le Ramadan, nous serons au Canada. Il y a une date pour Paris dans la célébration du quart, prévu le 10 octobre 2015. Nous sommes toujours présents à l’international et je m’en réjouis, car on représente bien notre pays. Les artistes sont les porte-drapeaux de nos différents pays. Moi, mon rêve a toujours été de faire le tour du monde pour prêter ma voix, chanter pour les sans-voix, pour dire des messages non seulement qui donnent du baume au cœur, mais qui rendent forts les hommes et les femmes.
Maintenant, parlez-nous un peu de votre nouvel album tradi-moderne ?
C’est un album retour aux sources «Sen Gawlo Eksyna». C’était une longue demande de mes fans, de mon public. Et comme je suis une artiste qui accepte le désir de ses fans, je cède à leur demande. D’ailleurs, ce côté traditionnel me permet de sortir, de montrer mes tripes gawlo, griottes, d’afficher mes origines, d’aller dans ses sensibilités, ses sonorités, avec la présence du xalam, des balafons, de la kora… Et surtout, les chœurs qui chantent de manière traditionnelle avec le titre «Jeri Dior Ndélla». Et au-delà de ça, cet album rend hommage à des héros de l’histoire. Par exemple, «Jeri Dior Ndélla» raconte l’histoire d’un de nos héros que les enfants, les jeunes ne connaissaient pas. Il est important de connaître aujourd’hui l’histoire de son pays. Car c’est en connaissant cette histoire qu’on peut connaître son identité. Et quand on connaît son identité, on sait où on va, on sait qui on est et on sait comment parler, comment s’asseoir. Il y a aussi «Ndaw narré», «Ndouwouri» qui rend hommage à mes parents Peuls à travers Aïssata Tall Sall, une référence pour les femmes.
En tant qu’intellectuelle ce système de gaspillage lors des soirées anniversaires au Grand Théâtre, à Sorano, la manière dont on distribue l’argent ne vous choque-t-il pas ?
Cela me fait mal des fois de fâcher certaines personnes. Car je n’aime pas attrister des gens. Ce qui amène cette situation, c’est que les gens s’attendent généralement à ce que, quand je finis une chanson, je donne mon micro pour que les gens se mettent à parler, leurs délégations parlent et ensuite donnent de l’argent. Moi, j’ai dit : je ne peux pas me permettre ça, je suis désolée. Je suis bien gentille, je veux bien chanter tel ou tel, car je suis une gawlo, digne héritière de la famille des griots et gawlo, donc des historiens, mais, je suis sortie de mon terrain de gawlo, je suis griotte moderne, sur une scène moderne. Donc, je dois faire selon les réalités modernes et les réalités de mon métier. Récemment, au Grand Théâtre, il y a une maman chanteuse et tant d’autres qui se sont sentis vexés, jusqu’à même bouder la salle, parce que tout simplement je leur ai dit que nous ne sommes pas dans un «ngenté» (baptême). Mais, pour moi, ce n’est pas méchant et c’était même sur un ton d’humour.
Le Sénégal est un pays culturellement riche, assez ouvert, on est très fier de certaines de nos valeurs qui sont bonnes, selon le cadre, et qui ne le sont pas, selon d’autres cadres. Parce que, quand on a de l’argent, tel a donné tant, ça fait partie de nos valeurs. Mais c’est de bonnes et belles valeurs quand on est chez soi, dans sa grande cour ou sous sa bâche et qu’on marie sa fille ou qu’on baptise son enfant. Maintenant, quand on est une artiste moderne (elle répète), qu’on veut vendre sa musique sur l’échiquier international et qu’on veut faire une scène moderne, ça peut gêner, à la limite même c’est choquant. Il est bon que ça soit les artistes qui le comprennent. Parce que le public ou la personne qui vous montre autant de générosité ne peut pas le comprendre. Mais je pense que le métier a des règles et des lois que nous nous devons de respecter, il y a une limite à tout. Ce que je sais et que je retiens, je fais un métier, la musique qui n’est pas de l’à-peu-près, ni du tâtonnement.
Je n'en suis plus à un stade où je suis pressée d’aller sur une scène pour que l’on voit ma belle robe. Je peux ne pas aller sur une scène si je trouve que la scène que l’on me propose ne me satisfait ou n’est pas en phase avec le métier que je fais, ou bien mon sentiment d’artiste sera frustré. J’y vais par conviction, mais pas juste pour le paraître.
Peut-on dire que réellement les artistes vivent les mêmes difficultés que bon nombre de Sénégalais ?
Ah oui ! Les artistes sont de vrais Sénégalais au contraire. C’est vrai qu’il y a le superflu, les artifices, le rêve qu’on vend. Mais on ne peut pas se permettre, quand on est artiste, de venir pleurer devant le public qui a plus de problèmes que toi. Mais les artistes sont des êtres humains avec des souffrances, des douleurs, avec des problèmes de conjoncture, ça arrive à tout le monde. Vous savez, quand on est un être humain, nous avons des hauts et des bas, la vie c’est comme ça. Parfois, vous êtes riche, des fois vous vous réveillez sans aucun sou ou vous n’avez pas les moyens à la hauteur de vos ambitions. Cela peut être aussi une sorte de pauvreté, même si c’est difficile à croire. On vit les mêmes difficultés, l’école des enfants à payer, l’eau, l’électricité, la dépense quotidienne, sans compter les gens qui comptent sur vous, c’est un poids lourd. Maintenant à qui on donne de l’argent sur scène ? Ce n’est pas 7 jours 7, c’est une fois dans l’année et on pense que, voilà, elle a fait une traite annuelle. Non, il n’a pas fait sa traite annuelle ! Car, quand il va sortir de cette salle, tout les membres du «gangoor» (entourage), il faut leur donner leur part, donner aux parents, aux amis, au staff, mais aussi payer toutes les charges. Je suis sûre que quand l’artiste se retrouve seul, il va se retrouver avec des dettes. L’apparence est souvent trompeuse, la musique en Afrique, de surcroît le Sénégal, ne paye pas, on chante pour la gloire.
On dit que vous êtes très introduite au niveau des Palais africains, comment tissez-vous ces relations, qu’avez-vous à y gagner ?
Je ne saurai l’expliquer. Mais je pense que c’est à force de travailler, car j’ai la chance de tourner beaucoup en Afrique depuis des années. A force d’aller dans un pays, on y habite. Je me sens habitante et citoyenne de chaque pays d’Afrique où je vais. Il y en a beaucoup où soit j’ai un terrain, une maison ou un passeport diplomatique. Parce que j’y mène des actions pour les femmes, les enfants, l’éducation, j’ai envie de voir l’Afrique briller, l’injustice disparaître. J’ai envie de voir la femme ne jouant plus en victime, mais être optimisme, garder le sourire, se dire que je peux y arriver. Le Président Yaya Jammeh me dit souvent j’ai envie que tu sois une citoyenne gambienne (elle pouffe ).
Qu’en est-il de votre pays, le Sénégal ?
Ah mon pays le Sénégal m’a tout donné. Je ne cesse de le dire, c’est moi qui dois aux Sénégalais. J’ai la chance d’être née ici, d’avoir démarré ma carrière ici à l’âge de 7 ans. A 14 ans, j’ai gagné un concours de chant. A 18 ans, j’ai sorti mon premier album. Et depuis, les Sénégalais ont suivi ma carrière. Finalement, l’impression que j’ai, sans risque de me tromper, c’est que je suis dans le cœur de tous les Sénégalais. Je suis en quelque sorte la fille de chaque maman, de chaque papa, c’est un honneur. Même au niveau des partis politiques, je n’ai pas de sens interdit. Mes manifestations le prouvent, les gens viennent de tous les partis pour me soutenir. Et le discours qu’ils (les partis) tiennent m’honore. Parce que quand quelqu’un vous met à une barre, c’est très difficile pour vous de descendre de cette barre. Pour la simple et bonne raison que vous n’avez pas droit à l’erreur, vous devez d’être clean, ce n’est pas un fardeau, mais une lourde responsabilité. Car des gens vous disent que vous êtes une référence. Pour cela, je dois beaucoup aux Sénégalais, j’ai envie de leur dire encore à travers vos colonnes «Dieureuf».
Quels sont vos rapports avec l’ex-président, Abdoulaye Wade que vous avez tant chanté ?
Abdoulaye Wade, c’est mon ami, c’est mon père. Je l’ai connu avant qu’il ne soit chef d’Etat. Quand vous connaissez quelqu’un à l’âge de 14 ans, il ne peut qu’être votre père. Au moment où le monde le fuyait, quand il était dans l’opposition, j’étais toujours fourrée chez lui au Point E. Wade est en moi, j’ai une vraie affection pour lui et c’est réciproque.
Et avec l’actuel Président Macky Sall…
C’est aussi un excellent ami. C’est quelqu’un qui n’est jamais sourd à mes sollicitations. Dans la vie, il y a plusieurs types de rapports que l’on peut avoir avec des personnes. J’ai eu cette chance extraordinaire d’avoir grandi sous le magistère de plusieurs chefs d’Etat. Le seul regret que j’ai, c’est que je n’ai pas connu Senghor. Ce poète, j’aurais aimé le connaître. Si Senghor était encore-là, j’aurais été sa muse (elle éclate de rire…), car il a toujours défendu les femmes noires.
Vous vous battez toujours pour les valeurs culturelles, que vous s’inspire la transhumance politique ?
Moi je trouve que c’est très banal de venir dire la transhumance est un feeling. Vous savez, j’aurai bien aimé faire la politique un jour. Mais la politique que je ne saurais faire, c’est de la politique qui poignarde dans le dos, la politique qui ment, la politique qui trahit, la politique qui baisse le regard. Parce que tout simplement on fait mal et on ne peut pas lever le regard, ni la tête. La politique passe par les coups bas pour faire du mal, ça je ne saurai le faire. Dans la vie, il faut avoir une éthique. Quand on est avec quelqu’un et qu’on est en phase, qu’on est vrai dans ses convictions, il faut rester jusqu’au bout. Maintenant, la politique est ce qu’elle est, vous ne pouvez pas changer ce qu’est la politique. Chacun est assez responsable pour se juger, se regarder dans sa glace et se dire que je suis fier ou pas fier de moi. Parce que mon acte est noble ou pas. Mais ce que je sais moi, Coumba Gawlo, il y a des choses que je n’arriverai jamais à faire. Quand j’ai été compagnon avec quelqu’un, même si ensemble on se sépare, parce qu’on n’est plus d’accord, il ne faut jamais dénigrer, vilipender. Il faut rester noble, digne. Car nous partageons des valeurs, des ambitions communes, je garderai ma dignité, et je resterai honorable. Dénigrer quelqu’un avec qui on était, hier, dont on est séparé par la force des choses, n’est ni noble pour cette personne ni pour celui qui le dit.
Vous défendez la cause des enfants, l’éducation est en crise, qui doit lâcher du lest l'Etat ou syndicats ?
C’est très dommage et cela m’attriste beaucoup. Le développement d’un peuple passe par l’éducation, un peuple non éduqué ne sera pas développé. Parce qu’il n’y aura pas de grands intellectuels, pas de grands hommes politiques, ni de grands journalistes, encore moins de brillantes femmes indépendantes. Je trouve que c’est très dommage d’en arriver à ce stade. Il est important, voire urgent de trouver rapidement une solution, tant du côté des enseignants que celui de l’Etat. Que chacun fasse un compromis pour une solution rapide. Car un peuple sans éducation est un peuple qui va à la ruine, droit vers le mur et je ne le souhaite pas pour cette génération à venir.
Vous avez tant chanté l’amour, mais «kuy feug», il n’y a toujours pas un homme qui frappe à votre porte ?
(Eclats de rires…). Je vais dire aux responsables du «Populaire» qu’ils me trouvent un journaliste…