«SI C’ETAIT MOI QUI DECIDAIS, ABDOULAYE NIANG NE SERAIT PLUS A SA PLACE»
JEAN PAUL DIAS, LEADER DU BLOC DES CENTRISTES GAINDE (BCG) SUR LE SUPPOSE TRAFIC DE DROGUE A LA POLICE
Le Directeur général de la Police nationale (Dngp) épinglé par le rapport de l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (Ocrtis) ne laisse pas indifférent le premier secrétaire du Bloc des centristes Gaïndé (Bcg). A en croire Jean Paul Dias, toutes les personnes impliquées dans cette affaire qui a éclaboussé la police devaient être démises de leurs fonctions. « Si c’était moi qui décidais, Abdoulaye Niang ne serait plus à sa place», a-t-il souligné. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, hier, M. Dias s’est prononcé, entre autres, sur le procès de Hissène Habré, la réforme des institutions et les Locales de 2014.
La police nationale est, aujourd’hui, éclaboussée par une affaire de drogue au plus haut sommet. Devrait-on attendre les enquêtes comme le dit le ministre de l’Intérieur pour couper des têtes ?
Personnellement, je pense qu’il n’y a pas de fumée sans feu. C’est le cas de le dire puisqu’il s’agissait de brûler des saisies. Je pense qu’aujourd’hui la situation est telle que le Directeur général de la police nationale qui est accusé par quelqu’un de la maison, à mon avis, il n’a plus à rester à sa place. Si c’était moi qui décidais, il ne serait plus à sa place. Parce que quand j’entends le ministre de l’Intérieur nous dire qu’il attend une enquête ou il attend la justice, ça, c’est noyer le poisson. Je crois qu’il y a des indices qui sont assez graves qui, apparemment, sont concordants et qui sont tels que, à mon avis, on ne devrait pas adopter cette position là. Je crois qu’il y a un plus de fermeté à avoir dans cette affaire. Et ce ne sont pas les policiers qui pourraient enquêter sur des policiers. Je pense que l’esprit de corps mènera forcément à des résultats biaisés. Je pense qu’il y a des choses assez compromettantes et qui, à mon avis, devraient commander que l’on prenne des sanctions immédiatement. De même, la manière dont le commissaire Cheikhouna Keïta a été écarté, je crois que le commissaire Abdoulaye Niang devrait être écarté sans délai, immédiatement. Sinon il y a de la faiblesse. Je pense que c’est quelque chose de très grave parce qu’il s’agit de drogue. De l’autre côté, on devrait avoir une lecture par derrière. C’est la preuve que ceux qui s’activent dans le trafic de drogue international sont tellement puissants qu’ils peuvent beaucoup de choses pour ne pas dire qu’ils peuvent tout. C’est ça le questionnement que moi je pose. Ils sont très puissants. Donc, la lutte contre la drogue risque d’être éminemment difficile dans l’avenir. Mais ma conviction, c’est qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Il y a quelque chose dans cette affaire et qu’il fallait immédiatement dégager tous ceux qui sont compromis d’une manière ou d’une autre. Et on devrait voir l’avenir autrement. De toutes les façons, cette idée qui consiste à dire que le Directeur général de la police nationale devrait être le plus ancien ou l’un des plus anciens des policiers, ça ne tient pas. Il y a d’ailleurs, je sais, des policiers de très grandes valeurs qui peuvent occuper cette fonction là. J’aurais été le ministre de l’Intérieur, les sanctions seraient tombées immédiatement. J’aurais rien attendu du tout (…) Je crains que cette affaire ternisse l’image du Sénégal au plan de la lutte contre la drogue.
Au-delà du Procureur de la République, l’Assemblée nationale devrait-elle se saisir du dossier pour tirer ce fait inédit au clair ?
Non ! Ce n’est pas le rôle de l’Assemblée. Ce sont des fonctionnaires. Il y a des présomptions très graves. Je pense qu’au minimum, ces gens devraient être dégagés de ces fonctions là. Je n’ai pas dit de les renvoyer de la police, de les arrêter mais dégager de ces fonctions là immédiatement. On ne peut pas être directeur général de la Sûreté et avoir sur soi un soupçon de cette nature. ça me paraît trop grave. Ou alors c’est de la vaste diffamation auquel cas il faut carrément porter plainte. Il ne faut pas passer par des commissions, il ne faut pas envoyer des sommations aux journaux, il faut immédiatement porter plainte. En ce moment-là, ce serait une autre chose. Je n’ai pas toutes les informations mais sur ce que je sais c’est très grave. Et il faut dégager ces gens là immédiatement. Si ces gens là ne sont pas dégagés qu’on ne vienne pas demain se plaindre.
Le procès de l’ex-président tchadien s’accélère. Pensez-vous que ces droits seront respectés et qu’il y aura un procès équitable ?
C’est une affaire qui me gêne. Le premier avocat connu de Hissène Habré, ici au Sénégal, c’était Me Madické Niang, s’il s’en souvient, il vous dira que je lui ai téléphoné, tout au début où personne ne s’agitait autour de ça, pour lui dire que je l’encourageais, et je manifestais ma sympathie à l’ancien chef d’Etat tchadien. Maintenant, les choses ont évolué, elles sont devenues ce qu’elles sont devenues. Je le regrette. Je vous dis, les Etats doivent faire attention, ne doivent pas se laisser impressionner, influencer par ces gens là (Ndlr : la société civile et les Ong) qui n’ont aucune légitimité pour agir. On a poussé à la roue et ce qui est arrivé est arrivé. Tout l’argent qui est dépensé et qui va être dépensé, j’aurais préféré qu’on le récolte, qu’on cible les victimes et les héritiers, que l’on ramasse tout cet argent, qu’on fasse une sorte de rencontre ‘vérité réconciliation’, etc. Parce que le Tchad a besoin de réconciliation et je rêve du jour où le Tchad sera réconcilié avec lui-même. Je pense qu’il fallait mieux qu’on se réunisse, au Sénégal, qu’on rassemble tout cet argent et indemnise directement les uns et les autres qui pourront se dire les vérités qu’ils veulent en présence de la communauté internationale et du Sénégal. Voilà ce qu’il fallait faire. Ces gens là qu’est-ce qu’ils gagneront ? Supposons que Habré soit condamné à 50 ans de prison comme Charles Taylor. ça rime à quoi ça! A rien du tout ! Et nous, nous sommes quand même le Sénégal, je suis chrétien, je suis pour le pardon. Alors on me sort cette théorie de l’impunité, c’est du n’importe quoi. Vous croyez que cet homme moralement n’a pas souffert toutes ces années ? Donc ce qui est fait, malheureusement, est fait. Indemnisons les victimes avec tout cet argent là et faisons un système vérité réconciliation, qu’ils se disent les vérités, qu’ils se pardonnent. Je vous rappelle que ce qui s’est passé en Afrique du Sud avec Nelson Mandela, ce n’est pas sorti de l’intelligence de Mandela. Cette vérité-réconciliation n’est pas sortie de l’intelligence de Mandela, ce sont les Blancs qui l’ont poussé à le faire. Pourquoi ? Parce que c’est ça qui a été fait en Amérique latine, notamment. Toutes ces situations là ont existé en Amérique latine. On n’a pas mis des gens en prison, mais quand on est arrivé dans le cas de l’Afrique du Sud, pourquoi n’a-t-on pas mis les gens en prison ? C’est là que les Blancs, au niveau international, ont mis dans la tête de Mandela. Il l’a fait et tout le monde s’en est réjoui. Moi, je suis pour que la paix, la tranquillité et la sérénité reviennent. Qu’on ramasse tout cet argent, une commission se charge d’indemniser les victimes et que le Président Habré continue sa vie tranquillement au Sénégal. C’est ça ma position et je ne suis pas le seul au Sénégal à avoir cette idée-là. Je ne conçois pas que quelqu’un vienne se refugier chez vous et que vous lui livriez comme ça. Je ne suis pas d’accord.
Ousmane Tanor Dieng plaide pour une liste commune de «Benno bokk yakaar» aux prochaines Locales. Vous en dites quoi?
Ecoutez, je n'ai pas de commentaire particulier à faire sur la déclaration d'un leader de ce niveau. C'est son choix, c'est son vœu. Personnellement, je pense que c'est quelque chose qui peut être encouragé. Dans la mesure où ça permettrait de stabiliser la large Coalition autour du président de la République. Ceci dit, je voudrais vous rappeler que la position du Bcg, comme la mienne, a toujours été qu'on renvoie les élections, au moins d'un an. Aujourd'hui, l'idée revient, et personne ne dit que Dias l'avait dit. Mais, il faut renvoyer les élections. Pourquoi ? Parce que toute la zizanie qu'il y a là, tous les petits conflits qu'il y a à l'intérieur de «Benno bokk yakaar», qu'il y a entre la Coalition et d'autres, c'est dû à ces élections-là qui ne sont pas des élections de pouvoir. Donc, ça n'a pas d'influence directe sur le pouvoir. Je maintiens cette proposition. Je crois qu'il faut renvoyer ces élections pour créer une atmosphère de sérénité. Je rappelle que le Pds avait renvoyé des élections de 2 ans. Donc, ils sont mal placés pour dire qu'ils vont s'y opposer. L'Assemblée nationale a le pouvoir de renvoyer des élections. Mais, que la Coalition «Benno bokk yakaar» aille aux élections, groupée, ça peut être une bonne chose.
Mais, d'aucuns estiment que le régime veut reporter les Locales, parce qu'il a en tête un plan de redécoupage administratif...
Non. Moi, je ne suis pas au courant de ça. Personnellement, je ne suis pas d'accord avec un quelconque découpage administratif. Je pense que pour apaiser l'espace politique, il faut reporter ces élections. De toutes les façons, si on veut adopter des réformes, que les maires soient élus au suffrage universel direct, etc. on pourrait profiter de l'occasion pour intégrer le bulletin unique. C'est le moment de tester ces choses-là qui, de toute façon, nous interpellent. Je crois qu'il faut prendre le temps d'organiser tout ça. Je ne vois pas pourquoi il y aurait un redécoupage administratif. Personnellement, je ne suis pas d'accord. Par contre, ce qu'on pourrait faire, c'est revenir sur les bêtises d'Abdoulaye Wade. Par exemple, le fait qu'il ait fait de Kédougou une région. Pour ça, il faudrait du courage politique.
Quel regard portez-vous sur la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) ?
J'ai le plus profond respect pour le président Amadou Mahtar Mbow D'ailleurs, dès que vous rentrez dans mon salon, c'est sa photo que vous voyez. Elle est là depuis des années. Mais, je ne suis pas d'accord pour que ceux qui ne sont pas en politique puissent dire aux politiques ce qu'ils doivent faire. Ce n'est pas le travail des Ong. Ce n'est pas le travail de la société civile. Ce n'est pas le travail de cette Commission. Il aurait fallu, d'abord, commencer par rencontrer ceux qui sont acteurs en politique. Sur chaque problème, leur demander leur point de vue. Et d'ailleurs, j'aurais souhaité que les avis soient formulés par écrit. Qu'ensuite, il y ait des débats qui permettent de compléter les positions. Qu'à partir de là, cette Commission fasse une synthèse et dise : «Voici des positions». Par exemple, faut-il un Sénat ou pas ? Faut-il maintenir ou pas X régions au Sénégal ? Faut-il un mandat présidentiel de 5 ou de 7 ans ? Faut-il un régime parlementaire ou pas ? La décision qui serait prise, serait irrévocable. Moi, je suis pour deux mandats pour le président. Un premier mandat présidentiel de 7 ans et un deuxième de 5 ans. Faire deux mandats de 5 ans, pour moi, ça n'a pas d'efficacité. Pourquoi avons-nous tous ces partis politiques-là ? Il faut des règles plus draconiennes pour créer un parti politique. Il faut des règles plus draconiennes pour conserver un parti politique. Renvoyer les élections locales, nous donnerait le temps de discuter plus calmement de ces problèmes-là. La Cnri n'a pas à décider pour ceux qui sont actifs en politique. Elle n'a pas à décider de ce qu'il faut faire. Le président de cette Commission n'est plus un acteur politique, le Vice-président, non plus. Le reste, ce sont des retraités de l'université, de par-ci, de par-là. La société civile n'a pas à nous dicter les règles à travers lesquelles on doit agir en politique. Nous ne sommes pas d'accord avec la démarche utilisée. Mais, nous donnerons notre point de vue.
Des retrouvailles de la famille libérale sont de plus en plus agitées. Quel commentaire en faites-vous, si l'on sait que vous aviez dit, il y a de cela quelques années, qu'on ne peut envisager de retrouvailles, sans Jean-Paul Dias, arguant que vous étiez l'aîné de la famille ?
C'était une déclaration sentimentale. J'ai toujours dit que le Pds était la femme que j'ai aimée, mais que je n'ai pas pu épouser. Et personnellement, je ne lui veux aucun mal. Je crois que je fais partie de ceux qui ont écrit les plus belles pages de ce parti-là. Mais, à partir du moment où je n'ai pas été cité, ça veut dire que je ne suis pas concerné. Et en tout état de cause, pour ce qui me concerne, il est hors de question de faire quoi que ce soit avec Abdoulaye Wade ou autour d'Abdoulaye Wade. C'est totalement exclu. Abdoulaye Wade a été dégagé, il doit dégager. Maintenant, je n'insulterai jamais l'avenir. Parce que je ne sais pas de quoi demain sera fait. Mais, personnellement, j'ai l'intention de quitter la politique dans les 7, 8 ans à venir. Je crois que les vrais libéraux sont les gens qui sont pour la liberté, pour la démocratie. Quand j'ai eu mes problèmes, je ne les ai pas vus. Pour moi, ce ne sont pas des libéraux. Ce sont des gens qui s'activent dans l'entreprise privée. Je fais partie des vrais libéraux, et j'en suis fier. J'ai adhéré librement à cette idéologie, et je reste attaché à cette idéologie. Mais, je ne m'associerai pas avec certaines personnes, sans compter qu'il y a des gens dont je ne serrerai plus jamais la main. Je ne serai jamais dans un même groupe avec eux.
Vous faites allusion à qui ?
Ce n'est pas la peine de les citer, ils se connaissent.
Mais, vous semblez avoir un problème personnel avec Me Wade ?
Je n'ai pas de problème personnel avec Wade, éternellement. Mais, tout le monde a vu le mal que Wade m'a fait et qu'il a fait à ma famille. Je ne le lui pardonnerai jamais. ça, c'est très clair.