À KÉDOUGOU LES FEMMES ACCOUCHENT SOUS DES LAMPES TORCHES
MACODÉ FALL, SG DE L’UNION RÉGIONALE SUTSAS
Macodé Fall, secrétaire général de l’union syndicale du Sutsas de Kédougou, revient sur les maux qui minent le secteur de la santé et le violent accident qui avait emporté l’équipe cadre. Le syndicaliste et non moins infirmier-chef de poste de Népen demande à l’Etat d’indemniser les familles des accidentés et annonce une plainte contre la compagnie minière AfriGold.
Vous venez d’être porté à la tête de l’union régionale du Sutsas de Kédougou. Pouvez-vous décliner ce que vous comptez faire durant votre mandat ?
On ne va pas réinventer la roue, on va juste continuer la lutte et le travail qui étaient en train d’être menés par nos camarades qui ont été mutés pour servir ailleurs. Pour ne pas laisser la structure en léthargie, on a jugé opportun de faire le nécessaire pour occuper les postes vacants provisoirement, en attendant le renouvellement du bureau qui aura lieu en décembre.
On espère faire tout ce qui est en notre possible pour poursuivre le travail trouvé sur place et prendre en charge les préoccupations de nos camardes. Déjà, l’heure est à la massification. On est en train de travailler pour permettre au personnel sanitaire des trois départements Kédougou, Salémata et Saraya d’adhérer en masse au Sutsas. Qu’ils se l’approprient. L’heure est grave et tout le monde doit s’y mettre pour faire bouger les choses.
Dans quelles circonstances s’est produit le choc du 21 mars dernier dont 4 membres de l’équipe cadre et le chauffeur de Fhi360 ont été victimes ? Qu’est-ce qui a été fait par le personnel sanitaire ?
Nous tenons à présenter nos condoléances aux familles des victimes. Les victimes étaient en déplacement pour des stratégies avancées sur le tronçon Saraya-Sayinsoutou. L’accident a été d’une très rare violence et nous ne souhaitons plus ça. Le personnel sanitaire est toujours abattu.
Puisque ça a été dur. Des démarches ont été faites pour décrocher un avion afin de rapatrier les corps vers les familles respectives et nous remercions le directeur de Cabinet du ministre de la Santé et de l’Action sociale, qui n’a ménagé aucun effort pour nous faciliter la disponibilité de l’avion et le personnel sanitaire qui s’est mobilisé comme un seul homme pour assister les camarades.
Néanmoins, nous demandons à ce que les familles des accidentés soient indemnisées puisqu’ils étaient au service de l’Etat et ils ont rendu l’âme en service.
Parmi les victimes, il y a des personnes qui ont laissé des enfants de moins de 5 ans derrière eux. Par respect à leur mémoire, on ne peut pas être indifférent à leur famille. Déjà à notre niveau, on va adresser une plainte à la société AfriGold et la famille fera de même pour que cette action ne soit pas impunie. D’ici peu, les gens verront, car nous ne comptons pas restés les bras croisés.
La morgue de Kédougou ne fonctionne pas dans de meilleures conditions. Comment avez-vous pu gérer les corps de vos collègues accidentés pour éviter leur détérioration ?
C’est honteux pour une région comme Kédougou. La morgue n’y existe que de nom puisqu’elle ne fonctionne pas. C’est déplorable. Pour la conservation des corps de nos collègues, il a fallu que nous nous cotisions pour acheter de la glace et renforcer la fraîcheur. Il s’en est fallu de peu pour que ces corps se putréfient. En plus, les agents de santé travaillent dans des conditions piteuses, exécrables sans aucune motivation.
Quels sont les écueils auxquels vous êtes confrontés dans l’exercice de vos fonctions à Kédougou ?
On est dans des structures où on n’a pas d’électricité encore moins de l’eau. Parfois, on est même obligé d’accoucher les femmes en utilisant des lampes torches. Un centre de santé flambant neuf comme celui de Saraya ne fonctionne pas parce qu’il n’a ni électricité ni eau.
C’est inconcevable et la situation au centre de santé de Kédougou est pareille voire pire : des locaux sont exigus et insuffisants, idem pour le personnel sanitaire, la logistique roulante est insuffisante et veillotte.
D’ailleurs, on a des motos qui sont inappropriées au terrain accidenté de Kédougou. Le district sanitaire de Kédougou n’a pas de véhicule de stratégie. On n’a qu’un seul véhicule de liaison qui est entre les mains du médecin-chef du district.
La situation du personnel est chaotique. Il y a des contractuels, des volontaires qui, depuis des années, n’arrivent pas à être régularisés. Or, on a reçu la visite du ministre de la Santé et de l’Action sociale qui nous avait promis monts et merveilles lors de son passage. Mais jusque-là c’est le statu quo. C’est seulement des agents d’hygiène qui nous ont été affectés. Il s’y ajoute que même pour les mutations, on éprouve des difficultés.
Depuis des années, les camarades font des demandes qui restent lettre morte. C’est comme si Kédougou ne fait pas partie du Sénégal. Le plus ahurissant, c’est qu’on perd même nos dossiers de mutation par négligence. Les avancements, on n’en parle pas. On ne connaît pas d’avancement chez nous. Les gens restent des années sans avancement et ça retarde les agents de santé qui veulent avancer.
A Salémata, la situation est dramatique. Ce qui est là-bas n’est pas un centre de santé, mais un poste de santé amélioré petit à petit. Jusqu’à présent, il n’y a pas de suivi au niveau de cette structure sanitaire. En plus de l’insuffisance du personnel, les agents de santé qualifiés sont en manque dans la région. Nous ne disposons que de volontaires et de contractuels.
Et si rien n’est fait pour prendre en compte les préoccupations de ces derniers du moment que tout a été fait à notre niveau pour que le ministre puisse disposer de la liste des concernés nous n’excluons pas de plomber le système.
Est-ce qu’aujourd’hui les infirmiers sont bien outillés pour faire face à Ebola ?
Malheureusement, c’était comme si on assistait à un film western. Les gens passent tout leur temps à parler et à faire des déclarations par-ci et par-là. Il suffit de descendre sur le terrain pour se rendre compte de la réalité. Il n’y a rien.
Ce qui se passe avec le contexte Ebola, c’est qu’il y a des postes de santé qui ne disposent même pas d’eau ni électricité. Comment ces postes peuvent mettre en place un plan de riposte pour contrecarrer cette maladie encore qu’on n’a pas reçu de moyens ? Si ce n’est le matériel de protection (les combinaisons), les détergents. A part ça, il n’y a pas quelque chose de concret qui a été fait pour nous outiller afin de contrecarrer la maladie.
Les frontières ont été rouvertes sans l’avis de la santé alors que c’est nous qui sommes à la base sur le terrain. On nous demande de prendre nos responsabilités, on les prendra en fonction des moyens dont nous disposons dans nos postes de santé respectifs.