À L’ÉPREUVE DE TOUBA
La position de Touba refusant, sous l’égide du khalife général, de s’inféoder aux exigences de la loi sur la parité en présentant une liste sans présence féminine a, au moins, un mérite : celui de déterrer le débat tronqué sur la question de la parité. Une loi politicienne approuvée presqu’unanimement sous des applaudissements politiciens.
A vrai dire, la loi sur la parité est une loi anti-développement, contre l’égalité et la justice sociale. J’allais dire pour soulever un autre débat que cette loi est dans son essence contre la femme qu’elle prétend promouvoir.
Aucun politicien n’a osé à l’époque s’ériger valablement contre celle-ci de peur des associations féministes qui, en vérité, étaient dans leur rôle en saisissant l’opportunité que leur offrait un Président au pouvoir délétère et décidé à marquer son époque.
Mieux, aucune d’entre elles ne pouvait rêver d’une si grande «avancée» de la cause féministe. Mais y croyaient-elles vraiment ?
Ce n’est pas ce que laisse croire les positions exprimées ces jours-ci ou les silences de leurs plus grands porte-étendards sur la question, concernant la liste de Touba pour les prochaines élections locales.
La classe politique d’alors avait fait preuve d’un manque de courage lamentable, tellement elle était motivée par des préoccupations électoralistes. Elle a abdiqué sur une question aussi cruciale pour notre avenir.
Et cette loi, contre tous nos intérêts, y compris ceux des hommes et femmes politiques au cas où ils se considèreraient comme une classe entièrement à part, est passée comme une lettre à la poste. A vrai dire, même les associations de la société civile n’ont pas véritablement pris leur courage à deux mains. Personne n’était vraiment favorable à cette loi, mais nul n’osait rien dire de peur de perdre des voix ou d’être taxé de misogyne ou de rétrograde.
En vérité, c’est cette loi qui est d’un caractère rétrograde. La position de Touba a le mérite de nous le rappeler. Oui, je dis bien rétrograde, car la compétition n’est plus basée sur la compétence et le mérite qui doivent rester le seul critérium qui vaille pour être digne de porter une représentation nationale.
Elle n’est même pas fondée sur le principe à la limite acceptable de la ségrégation positive qui aurait pu cibler un quota minimal de présence féminine, comme cela aurait pu être le cas pour la jeunesse, les personnes âgées, les personnes à mobilité réduite, etc. Un homme, une femme à tout prix, c’est aussi bien injuste pour les hommes que pour les femmes.
Que l’on ait une représentation composée que de femmes si les hommes sont incompétents ou que d’hommes si les femmes sont incompétentes ! L’essentiel est d’avoir les compétences qu’il faut aux places qu’il faut.
Peu importe que ceux qui les incarnent soient homme ou femme. Or de cette façon (un homme, une femme vaille que vaille), la loi sur la parité semble dire que la femme est congénitalement incapable d’être aussi compétente que l’homme. Ce qui est, tout simplement, pas soutenable du tout.
Touba a donc le mérite de nous rappeler le manque de courage chez la plupart de nos dirigeants politiques. Ce qui fait que nous pouvons encore rêver de rupture dans le sens du progrès et de l’émergence. Car en effet, sans courage, la rupture n’aura pas lieu et notre avenir ne se fera pas dans le sens que nous sommes en droit d’attendre et en devoir de construire.
Non, notre avenir ne se jouera pas sur la compétition aveugle ou la fausse concurrence des sexes. Il se jouera plutôt sur la préparation des meilleures compétences aux responsabilités et à la représentation nationale.
Que ces compétences soient homme ou femme. Le combat gagnerait en pertinence si, en lieu et place de promulguer des lois aussi scélérates, il se focalisait à créer les conditions culturelles, sociales et économiques pour susciter et valoriser les meilleurs talents chez nos femmes et nos hommes, et les mettre dans des conditions de saines compétitions (pas homme/femme, mais talent/talent) pour être au service de notre émergence.
Comme quoi cette loi sur la parité doit être reconsidérée. Elle s’est faite dans la précipitation comme l’est d’ailleurs celle portant sur la réforme territoriale et locale baptisée Acte 3 de la décentralisation.
Toujours dans l’empressement suspect servant davantage des causes partisanes qu’un avenir commun. Quand on est dans l’urgence de collecter des voix, il est souvent difficile de poser des actes agissant sur les fondamentaux ô combien invisibles, et parfois politiquement ingrats.
Par ailleurs, en prenant cette position à la veille des Locales, Touba pose une question d’une tout autre nature : celle de la République face à ses différentes composantes. Et les premières réactions de tout bord révèlent encore une fois le manque de courage politique chez la plupart de nos dirigeants politiques. Et cette fois-ci, la question est d’une gravité telle qu’elle ne devrait pas passer comme une lettre à la poste.
Oui, c’est parce que c’est la puissante voix de Touba que tout le monde a peur et on entend des réactions les unes plus saugrenues que les autres. Même les plus ardents défenseurs du féminisme donnent l’impression de trembler sous leur pied. Encore une fois, abdiquer n’est pas dans le sens de l’intérêt national.
L’intérêt national est dans l’affirmation que force doit rester à loi, dans l’écoute attentive de nos réalités socioreligieuses avant le vote et la promulgation de toute loi, dans une réflexion sereine sur la place des foyers religieux au sein de la République.
Nous entendons ci et là des gesticulations et des gymnastiques intellectuelles ou politiciennes qui, pour défendre l’exception de Touba, qui pour se limiter à pourfendre la loi sur la parité. Tout cela est la preuve d’un manque de courage politique et intellectuel ou tout simplement de capacité de se taire quand le devoir de dire la vérité fait perdre ses moyens.
Et les gesticulations de la Cena ont laissé plus d’un pantois. Et je ne sais à la grâce de quel sursaut républicain si la Cena sera poussée à adopter l’attitude attendue, mais celle-ci ne peut se permettre de valider une liste non conforme à la loi. L’Etat ne peut capituler avec autant de lâcheté devrais-je dire. Ce serait un fâcheux précédant et une jurisprudence qui peut mener à toutes les dérives.
A supposer qu’une telle position fut celle de Ndiassane, de Yoff, Médina Gounass, de Tivaouane, etc. ou de tous en même temps, les réactions seraient-elles les mêmes ? A supposer que la liste de Touba soit validée en l’espèce, en sera-t-il demain de même pour d’autres revendications du genre ?
Osons voir les choses en face. Quand on ouvre la porte des possibles, on ne sait jamais laquelle entre et quelle direction elle suit. Le regard du dirigeant ne doit être ni partisan ni uniquement braqué sur l’instant.
Il est évident que nul n’ose dire non à Touba. Mais dans le cas d’espèce, c’est une exigence républicaine.
Certaines faveurs du jour peuvent, dans le temps, s’avérer mortelles pour qui les reçoit, pour qui les donne ou pour qui les convoite.
L’intérêt de Touba n’est pas d’affaiblir la République en la poussant à faire entorse à ses lois et règlements, ce qui serait un grave précédant. Il serait plutôt de la pousser à en adopter ceux qui répondent le mieux à nos valeurs et qui correspondent davantage à nos exigences de développement.
La République doit s’affirmer tout en sachant que s’affirmer ce n’est ni affronter ni être sourd. En gros, elle doit savoir faire preuve de fermeté non assimilable à l’aveuglement et de flexibilité non assimilable à la faiblesse.
Dans le contexte actuel c’est, la diplomatie aidant, affirmer la force de la loi et l’égalité de tous devant la loi, tout en saisissant le prétexte de cette puissante voix de Touba qui ouvre une chance historique de reposer le vrai débat qui n’a jamais eu lieu sur la parité, parce qu’occulté dans son fonds à son époque et, le cas échéant, corriger les erreurs et les imperfections nées d’ambitions politiciennes.
S’il y a au Sénégal deux registres sur lesquels aucun dirigeant clairvoyant ne devrait faire preuve de légèreté, c’est bien ceux de la religion (j’allais dire la confrérie) ou de l’ethnie. C’est là le secret de notre stabilité qui reste encore ô combien fragile.
L’exercice du pouvoir est aussi dans la culture. Senghor et Mamadou Dia le comprenaient. Abdou Diouf aussi. Abdoulaye Wade a parfois, mais pas vraiment, donné l’impression de le perdre de vue. Macky Sall fera-t-il mieux ou pire que ses prédécesseurs ?
La voix de Touba sonne comme un défi. Elle ne peut être occultée parce qu’elle pose un vrai problème, mais la République doit rester debout parce que c’est la voie du salut national. Nul ne doit diriger la République s’il est sans courage ou simple tacticien sans conviction.
Vive le Sénégal ! Vive la République !