AUDIOMULTIPLE PHOTOSÀ L'ASSAUT D'UN MENSONGE D’ETAT
COMMENT OMAR BLONDIN DIOP A-T-IL ÉTÉ TUÉ ? SON FRÈRE, LE DOCTEUR DIALO DIOP EXPLIQUE - INTERVIEW DEUXIÈME PARTIE - EXCLUSIVITÉ SenePlus
Le quotidien gouvernemental Le Soleil, dans son édition du 16 mai 1973, avait annoncé le suicide par pendaison d'Omar Diop Blondin, dans sa cellule, à la prison annexe de Gorée. Cette thèse est contestée par la famille de la victime et une large frange de l'opinion nationale et internationale. Son frère, le docteur Dialo Diop, lui-même condamné à perpétuité à l'époque, revient sur les circonstances de cette mort. Omar Blondin Diop, dit-il, a été "frappé dans la zone bulbaire jusqu'à ce qu'il perde connaissance". Il aurait même pu être sauvé, selon lui, si les gardes pénitentiaires avaient exécuté la demande d'évacuation d'Omar au pavillon spécial de l'hôpital Aristide Le Dantec, ordonnée par l'infirmier chef de l'île.
Condamné à trois ans de réclusion le 23 mars 1972 et interné à la prison annexe de Gorée, Omar Blondin Diop est mort le 11 mai 1973 à l'âge de 26 ans, alors qu'il entamait sa troisième et dernière année d'emprisonnement. Le gouvernement de Léopold Sédar Senghor avance immédiatement la thèse de suicide par pendaison. Mais la contre-expertise réalisée par le médecin Ibrahima Blondin Diop, père de la victime, conteste le résultat de l'autopsie faite par l'Etat du Sénégal.
Dans le quartier disciplinaire où il est placé à la prison centrale de Gorée, Omar Blondin Diop avait droit à quinze minutes de promenade par jour. Contre toute attente, le jour où est survenu l'irréparable, le garde pénitentiaire le somme de rentrer avant la fin de ce quart d'heure. Refus catégorique du détenu qui n'entend pas laisser violer ses droits.
S'en suit alors une réaction musclée des gardes pénitentiaires qui se jettent sur le brillant étudiant et le rouent de coups de matraque. "Trois ‘'matons lui sont tombés dessus et un coup de matraque l'a touché à la région bulbaire", raconte Dialo Diop.
"Le juge qui, un mois après le dépôt de la plainte s'est transporté à Gorée avec son greffier, est tombé sur la main courante de la prison où, à la date indiquée par mon frère [NDLR : Mohamed Blondin Diop, dit Pape Ndiaye, co-détenu d'Omar], il y a la mention de l'infirmier chef de poste de l'île qui dit : tel jour, à telle heure, je suis appelé par le gardien chef de la prison civile de Goré et je trouve le détenu Omar Blondin Diop sans connaissance, inerte. Je lui fais une injection de solucamphre [NDLR : Préparation liquide obtenue en faisant dissoudre une ou plusieurs substances médicamenteuses ou un principe actif dans un solvant], il ne se réveille pas", rapporte très ému Dialo Diop.
Commentant les propos de cet infirmer, Dialo Diop estime que ce dernier ne pouvait faire que ce que sa formation lui permettait de faire dans cette situation précise. On ne devrait pas attendre de lui qu'il fît à Omar Blondin Diop une prestation de "médecin réanimateur" qui aurait peut-être permis de sauver son frère.
L'évacuation à l'hôpital Le Dantec bloquée
La thérapeutique de l'infirmier chef de poste de Gorée n'ayant pas fonctionné, il a ordonné l'évacuation du jeune étudiant au pavillon spécial de l'hôpital Aristide Le Dantec, de Dakar. Cette mesure, de toute évidence, n'a pas été exécutée.
Et quand le magistrat instructeur, Moustapha Touré, en charge de cette affaire, demande au gardien chef si les gardes pénitentiaires ont exécuté la demande d'évacuation d'Omar Blondin au pavillon spécial de Le Dantec, sa réponse est négative.
"Non, nous ne pouvions pas transporter le fils Blondin dans la chaloupe, sans connaissance, parce que tout Gorée allait savoir qu'il s'est passé quelque chose ce jour- là à la prison", rappelle Dialo Diop citant le gardien en chef.
C'est sur ces faits notamment que le juge Moustapha Touré s'est fondé pour inculper deux des gardiens en attendant le troisième suite à la plainte de la famille Blondin Diop. Pendant ce temps, le troisième mis en cause, Brahim Néré Faye, qui s'est exprimé récemment dans le journal Le Quotidien, "était en villégiature entre la Cote d'Ivoire l'Italie et l'Espagne", explique Dialo Diop, qui se demande avec quels moyens un gardien de prison de son rang peut-il s'offrir un tel périple.
Entre temps, M. Touré est relevé de ses fonctions pour être remplacé par un autre juge dont le gouvernement avait la garantie qu'il trancherait en sa faveur contre la famille Blondin Diop. C'est ce qui a permis à Néré Faye d'échapper au juge Touré dont la décision risquait fortement de remettre en cause la thèse gouvernementale du suicide.
Dans une interview de l'hebdomadaire La Gazette, en novembre 2009, le juge Touré, par ailleurs, ancien président de la Commission électorale nationale autonome (Cena) avant d'en démissionner à la demande du président Abdoulaye Wade, a fait part des pressions qu'il a subies dans ce dossier.
Récusant la thèse du suicide, le Dr Dialo Diop s'interroge: "Omar avait déjà passé deux ans en prison, il ne lui restait plus qu'un an. Pour quelles raisons se suiciderait-il ?", Il impute une grande responsabilité au tout puissant ministre de l'Intérieur de l'époque, Jean Collin, qui avait un œil vigilant sur la prison de Gorée.
La responsabilité de Jean Collin
Au-delà du président Senghor, chantre de la Françafrique de l'époque, le ministre de l'Intérieur, Jean Collin, porte une grande part de responsabilité dans la mort d'Omar Blondin Diop, accuse Dialo Diop. M. Collin avait "un regard particulièrement attentif sur la prison de Gorée et les détenus qui y étaient", fait-il remarquer.
Son refus de rendre le corps d'Omar Blondin Diop à sa famille est aussi selon lui un fait révélateur de son niveau d'implication dans cette affaire.
"Sa responsabilité directe est forcément engagée", soutient Dialo Diop. Il informe que Jean Collin a refusé de rendre le corps de notre défunt frère après l'autopsie à la famille et que ce sont les policiers qui ont inhumé Omar. Par ailleurs, Dialo Diop explique que son père avait été "littéralement kidnappé" dans le bureau de Jean Collin qui lui dit en substance:
"Docteur, je suis désolé, je ne vous rendrai pas le corps de votre fils. Parce que si je vous le rends, il y aura du sang dans le pays. Et en tant que ministre de l'Intérieur, c'est un risque que je ne peux pas prendre", rapporte M. Diop.
Le ministre de l'Intérieur Collin propose deux options à Ibrahima Diop, père d'Omar. "De deux choses l'une, ou bien vous allez avec mes hommes assister à l'inhumation de votre fils, ou bien je suis obligé de vous retenir dans mon bureau jusqu'à ce que mes hommes aient fini de l'inhumer avant de vous laisser rentrer chez vous", dira, avec sa légendaire froideur, Jean Collin.
C'est ainsi qu'Omar a été inhumé en présence de son seul père et de son frère Ousmane qui conduisait la voiture qui transportait le père du défunt.
Quarante plus tard, la famille Blondin Diop souhaite que le dossier Omar soit ré-ouvert afin que la nation toute entière puisse enfin connaître la vérité sur cette sombre affaire. A la suite d'une interview accordée au journal Le Quotidien du 11 mai 2013, Néré Faye, l'un des mis en cause, la famille Diop a décidé de faire une demande officielle pour la réouverture du dossier. Une requête a été déposée sur la table du ministre de la Justice il y a une dizaine de jours, juste après la commémoration des 40 ans de la mort d'Omar Diop Blondin.
La commémoration des 40 ans visait seulement à rétablir la vérité à travers l'inauguration d'une plaque commémorative et l'organisation d'un forum de témoignages. "Cette démarche, explique Dialo Diop, est fondée sur la charte du Mandé", du nom de ce texte établi au 13e siècle (1212) du temps de l'empire du Mali sous Soudjata Keita. "L'hommage des 40 ans, nous l'avons fondé sur la charte du Mandé, le Krukanfuga datant de 1212 qui dit que tout mensonge qui perdure pendant 40 ans, devient une vérité. Donc nous ne voulions pas passer ce seuil fatidique des 40 ans sans avoir rétabli la vérité. C'est pour cela qu'à la veille de l'inauguration nous avons organisé un forum de témoignage".
À SUIVRE…