À MA CHÈRE MÈRE PERDUE ET RETROUVÉE
KEN BUGUL
La scène de l’Institut Français Léopold Sédar Senghor de Dakar transformée en théâtre de poche pour les deux représentations de «Un livre en live ++ 2» . C’était le mardi 4 et le mercredi 5 mars 2014. La pièce d’une éblouissante sobriété reprend des extraits du roman de Ken Bugul «De l’autre coté du regard».
«La vie n’était pas la mort. Samanar n’allait pas rejoindre ma mère de l’autre coté du regard. Je le souhaitais. Peut être que c’était aussi ce que Samanar voulait désormais. Etre elle-même de l’autre coté du regard » Dans sa toge rouge satinée, l’écrivaine Ken Bugul sous une lumière blanche qui tombe drue du plafond, cahier en main, débute son texte.
Patricias Gomis , comédienne, tout de rouge vêtue prolonge le texte. Elle se tient debout derrière Ken Bugul. De l’autre coté de la scène, l’accordéoniste Claude Gomez compositeur et musicien berce les mots de « De l’autre coté du regard » en lecture. Le décor est dépouillé. Minimaliste à souhait. Trois petits tabourets et pour fond de scène des tentures translucides. Pas de jeux de lumière, mais plutôt une lumière blafarde qui vivifie les costumes des comédiens.
Apparaitra dans la deuxième partie du spectacle, derrière les tentures, de l’autre coté du regard, le royaume de Abdou Diambar , l’ange aux deux visages «celui que l’on craint plus que la mort elle-même », la comédienne qui assure la mise en scène, Nicole Vautier l’âme de la mère dans sa blancheur. Que raconte au fait cette histoire ? S’agit-il d’une pièce de théâtre ?
D’un récital de texte dans lequel une lectrice, deux diseuses et un accordéoniste jonglent avec les mots et les sonorités d’un instrument avec la possibilité que l’instrumentiste participe à la lecture du texte et devienne à son tour narrateur ?
Le spectacle dans son déroulé est un harmonieux et savant dosage de genres dans lequel la comédienne Patricia Gomis prend toutes les postures pour lire son texte. De la station debout à celle couchée, pliée en quatre ou en petites foulées. Texte à quatre voix mais en réalité, dialogue entre une fille qui reproche à sa défunte mère de ne l’avoir pas aimée et de lui avoir préféré sa nièce.
Dans la première partie du spectacle on y parle de la vie, de la jalousie, de manque d’amour maternel, de quête de ce même amour, de retrouvaille tardive, de jubilation face à la mort car elle est ravissante, belle comme une femme pas du tout effrayante et compréhensive par-dessus le marché. , d’hivernage, de pluie bienfaitrice. Les mots dans leur simplicité vibrent comme du cristal et nous renvoient à notre propre vécu, à nos relations avec nos parents, notre enfance.
La deuxième partie qui abat le cloison qui nous sépare de l’au-delà glace parfois, nous projetant dans notre dernier et eternel habitacle. Dialogue du visible et de l’invisible qui nous renvoie au poème « Souffle" de Birago Diop « Les morts ne sont pas morts…. ».
L’eau de pluie de vient le viatique qui permet de nouer contact avec la défunte mère. Les spectateurs étaient tout- ouïe dans un silence presque monacal. Dans la distribution des rôles, la couleur de la mort est blanche celle de la vie noire et pétante de rouge. Ce spectacle nous réconcilie avec le théâtre.