À QUOI SERT ENCORE L'OIF ?
On ne sait pas ce que le XVème sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui se tient dans notre capitale ce weekend, rapportera au Sénégal comme gains et retombées économiques, mais le coût pour nos finances publiques anémiées de ce grand rassemblement de chefs d’Etat et de gouvernement de pays ayant la langue française en partage est, lui, à peu près connu.
Alors que le déficit de ces finances est abyssal, on sait que, rien que pour la construction du joyau qu’est le centre international de conférences de Diamnadio, la facture s’est élevée à plus de 50 milliards de francs cfa, les chiffres donnés par le président de la République, le Délégué général à l’organisation du sommet et le ministre de l’Economie et des Finances étant différents mais tournant tous autour du chiffre donné ci-dessus.
Quant aux dépenses d’organisation proprement dites, elles peuvent être raisonnablement estimées à dix milliards de francs au bas mot, rien que les véhicules — de marque Peugeot, francophonie oblige ! — devant convoyer nos illustres hôtes ayant coûté deux milliards de nos francs.
Et quand on sait qu’il a fallu commander une centaine de motos flambant neuves, équiper nos forces de défense et de sécurité en matériels dernier cri, déguerpir tous les mendiants, loqueteux et autres "encombrements humains" (comme on disait si joliment du temps du poète-président Léopold Sédar Senghor !), rénover les principales artères, donner un coup de neuf à l’aéroport Léopold Sédar Senghor, casquer pour la mobilisation des militants du parti au pouvoir pour servir de haies humaines mais aussi pour faire la claque aux mêmes hôtes, l’addition risque d’être plus que salée pour le Trésor public. Dans ces conditions, inutile de dire qu’après les flonflons de la fête, les lendemains risquent d’être particulièrement difficiles. Gueules de bois garanties !
C’est qu’on a beau chercher, on ne voit guère ce qui peut justifier une telle débauche de moyens et d’énergie car la Francophonie, franchement, notre peuple n’en espère pas beaucoup. C’est si vrai que les Sénégalais dans leur grande majorité, préoccupés par la gestion d’un quotidien obsédant, ne s’intéressent guère à cette manifestation à laquelle plus de 40 chefs d’Etat et de gouvernement sont attendus.
Alors que la langue anglaise a fini d’étendre son hégémonie sur le monde, le français ne sert plus encore qu’à donner à la France l’illusion de sa grandeur perdue même si elle dispose encore du droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. De ce point de vue, son pré carré de l’Afrique noire reste encore, dans le monde, le dernier salon où l’on cause français. Pour notre plus grand malheur du reste !
En effet, aucun des pays émergents d’Afrique au Sud du Sahara n’est majoritairement francophone même s’il peut arriver, par ailleurs, d’y rencontrer quelques individus qui parlent la langue de Molière. Du Nigeria à l’Afrique du Sud en passant par le Botswana, le Ghana, l’Ethiopie et on en passe, aucun pays qui ait été colonisé par la France dans ce palmarès des bons élèves économiques du continent.
Il est vrai que Marianne elle-même n’a plus grand-chose à nous offrir sur le plan économique. A preuve, pour l’organisation du XVème sommet de la Francophonie, elle n’a donné à notre pays que 20 motos… d’occasion plus quelques babioles à la Police et à la Gendarmerie. Toutes les autres dépenses ont été supportées par le contribuable sénégalais !
Comme dit plus haut, le plus grand réservoir de locuteurs francophones qui subsiste encore, c’est l’Afrique noire, laquelle constitue aussi la plus grande zone d’expansion de l’Eglise catholique romaine. Mais de même que l’avènement d’un Pape noir n’est pas encore à l’ordre du jour, de même, pour la France, qui considère qu’elle ne peut pas accueillir toute la misère du monde — ce que personne ne lui demande du reste ! —, la Francophonie, c’est bien beau tant que les Africains resteront chez eux et consommeront des programmes de RFI, de TV5 monde, de France 24 et s’abrutiront de ses téléfilms et navets.
Car si elle peut s’accommoder de la libre circulation de ses idées à l’intérieur de l’espace francophone, il n’est surtout pas question de libre circulation des personnes. Il ne faut pas demander au bon Dieu sa barbe, voyons ! De ce point de vue, l’exemple le plus emblématique de la fermeture des frontières françaises aux élites africaines qui ont pourtant fait leurs humanités dans sa langue, c’est bien celui de notre compatriote Oumar Sankharé.
Sans doute le seul double agrégé de grammaire et de latin dans tout l’espace francophone africain, ce brillant universitaire s’était vu refuser un visa d’entrée dans l’Hexagone il y a quelques années. Pis, il n’a même pas été coopté dans le comité scientifique chargé de préparer le sommet de ce week-end, alors que des hurluberlus que l’on peut raisonnablement qualifier de crétins intégraux ont été admis dans ledit comité.
Mais à défaut d’apporter la prospérité économique aux Africains se trouvant dans sa zone d’influence, la France déploie généreusement au-dessus de leurs têtes son parapluie militaire. Au vrai, c’est d’ailleurs tout ce qu’elle peut nous offrir actuellement, ce qui fait d’elle la championne du monde des interventions militaires en Afrique. Chacun de ses chefs d’Etat met son point d’honneur à avoir sa petite guerre africaine. Giscard était intervenu au Zaïre lorsque la Légion avait sauté sur Kolwezi, Mitterrand au Tchad, Hollande a fait la guerre aux djihadistes d’Aqmi ainsi qu’aux islamistes du Mujao au Nord Mali…
Mais le plus va-t-en-guerre a sans doute été le président Nicolas Sarkozy qui a détourné une résolution de l’ONU instaurant une zone d’exclusion aérienne en Libye pour détruire les infrastructures de ce pays et en profiter pour faire tuer le Guide Mouammar Kadhafi. Non content, son dispositif militaire "Epervier" en Côte d’Ivoire avait bombardé la résidence de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo avant de le capturer pour le livrer aux "Forces nouvelles", la milice du président Alassane Ouattara, l’homme de la France sur les bords de la lagune Ebrié.
Pour avoir eu l’outrecuidance de tenir tête à M. Sarkozy, le président Laurent Gbagbo s’est retrouvé emprisonné dans les geôles de la Cour Pénale internationale (CPI), à Scheveningen, en Hollande, en même temps que Charles Blé Goudé, l’ancien leader des "Jeunes patriotes", le mouvement de jeunesse qui le soutenait. Et alors que la Côte d’Ivoire a connu une guerre civile qui a duré de 2002 à 2010, au cours de laquelle des massacres à grande échelle ont été commis par les deux camps, seuls des partisans du régime renversé avec le soutien de l’armée française ont été traduits devant la CPI ! Merci la France.
Une honte que cette CPI, un tribunal qui n’a jamais inculpé, encore moins emprisonné, depuis qu’il existe, des personnes provenant d’ailleurs que d’Afrique noire. Avec l’aval de la France au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais que voulez-vous, du moment qu’avec son armée et la CPI, cette puissance moyenne européenne tient à sa merci les chefs d’Etat africains ! Du moins ceux parmi eux qui sont des Nègres…
De même, quand des Ong françaises parlent de "biens mal acquis" ou de démocratie, cela ne peut concerner que l’Afrique noire, guère l’Arabie Saoudite, le Qatar ou le Koweït, par exemple, où la France signe des contrats d’armements mirobolants ! Et dire que dans certaines de ces charmantes contrées, les femmes n’ont même pas le droit de conduire des voitures…
Tout cela pour dire que ce pays — qui avait dévalué le franc cfa en 1994 en annonçant à l’époque, sous le Premier ministre, M. Balladur, qu’elle se désengageait de l’Afrique ("un continent sans espoir" pour aller investir en Europe de l’Est avant de revenir ventre à terre sur le continent une vingtaine d’années plus tard !) —, tout cela donc pour dire que cette France-là ne peut pas être attractive aux yeux des jeunes Africains. A l’époque, elle avait fait convoquer 16 chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest, de l’Est et des Comores par un obscur ministre de la Coopération à Dakar pour leur annoncer sa décision de diviser la valeur de notre monnaie en deux !
Le sommet de la Francophonie ? Une grande récréation avant un douloureux réveil. Car si l’Afrique veut entrer dans une ère de prospérité comme les autres continents, elle doit regarder ailleurs que vers la France qui est assurément en état de paupérisation avancée !