À QUOI SERT VRAIMENT LA FRANCOPHONIE ?
L’OIF a jusqu’ici été cet «outil diplomatique», cette «annexe institutionnelle» au service du rayonnement politique de la France et de la défense de ses intérêts économiques
Depuis son premier sommet en 1986, à Versailles, sous la présidence de François Mitterrand, la mission de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) s’est considérablement diversifiée. Elle va aujourd’hui de la «promotion de la langue française et du multilinguisme», à la «culture numérique», au «développement durable», à «l’engagement des jeunes», «l’égalité femmes-hommes» et la «société civile». Sans oublier «la diversité et le développement culturel».
Qu’est ce qui a été accompli sur tous ces fronts, au profit de l’Afrique ? Très peu de choses en réalité quand on veut bien regarder au-delà des discours lénifiants des administrateurs de l’OIF et des chefs d’Etat.
En fait, la francophonie à travers l’OIF a tantôt servi «d’outil diplomatique» à la France tantôt d’instrument de la Françafrique.
Ainsi de la «la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles» dont l’adoption par l’UNESCO en 2005 est de nos jours présentée comme une victoire majeure de l’OIF.
En réalité, c’est la diplomatie française qui est à l’origine, dés 1993-1993, de l’initiative qui aboutira à son adoption. Il s’agissait pour la France d’éviter que ses produits et services audiovisuels (musiques et films) ne soient soumis aux règles du «libre-échange» et soumis de ce fait à la concurrence américaine, comme le prévoyait le GATT (Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce) alors en vigueur.
C’est dans ce cadre que la France, alliée au Canada (tout aussi concerné par la concurrence US), après avoir élaboré un vigoureux argumentaire théorique et une stratégie d’alliances à l’échelle mondiale, actionna l’OIF dont le vote massif à l’UNESCO fut, il est vrai, déterminant.
Pourtant personne n’a mobilisé l’OIF quand il s’est agit pour l’Afrique de négocier les termes et des modalités des «Accords de Partenariats Economique» que l’Union Européenne tentait de lui imposer.
Que l’OIF n’ait pas mis en cause les «bonnes pratiques» de la Françafrique, l’actualité récente en offre de nombreuses illustrations.
Ainsi du redéploiement de l’armée française sur pratiquement toute l’Afrique francophone, sur décision unilatérale du Président Hollande, simplement relayée aux chefs d’Etat africains, du projet du Président français de «donner» le poste de secrétaire général de l’OIF à Blaise Comparé, s’il avait renoncé à la présidence du Faso, ou encore de l’exfiltration de ce dernier d’Ouagadougou après son renversement par un soulèvement populaire.
L’OIF a donc bien jusqu’ici été cet «outil diplomatique», cette «annexe institutionnelle de la Francophonie[1]» au service du rayonnement politique de la France et de la défense de ses intérêts économiques.
Mais ceci ne saurait perdurer. Ne serait ce que parce qu’elle est dépassée par l’évolution du monde et sera bientôt rejetée par les élites montantes.
A-t-on bien perçu cela en Afrique et en France ?
Certainement pas en Afrique, où les chefs d’Etat n’ont jamais émis la moindre critique ni des orientations ni du fonctionnement de l’OIF.
Quant à la France, on aurait pensé que c’est dans un souci de procéder à un aggiornamento que le Président François Hollande a commandé une étude sur le futur de la Francophonie à un groupe de travail présidé par M. Jacques Attali.
Or le rapport produit, intitulé «la francophonie et la francophilie, moteurs de la croissance durable», publié en avril 2014, appelle certes à une réorientation de l’OIF, mais ne remet en cause ni sa finalité ni le rôle de la France en son sein.
À partir du constat que la Francophonie représente «230 millions de personnes, 16% du PIB mondial, avec un taux de croissance moyen de 7% et 14% des réserves minières», le rapport Attali relève d’abord que «le potentiel économique de la francophonie est insuffisamment exploité par la France».
Il élabore donc ensuite un programme économique en 53 propositions autour de 7 axes, dont la finalité avouée est d’éviter «un effondrement de la Francophonie qui entrainerait des pertes de marché par les entreprises françaises, un effondrement du droit continental au profit du droit anglo- saxon des affaires ainsi qu’une perte d’attractivité pour les universités, la culture et les produits français et en français».
Il s’agit notamment d’«augmenter l’offre d’enseignement du et en français en France et partout dans le monde», faire construire «par des entreprises françaises des salles de cinéma en Afrique francophone pour la programmation d’un quota de films francophones», investir dans des secteurs clefs désignés (tourisme, technologies numériques, santé, recherche développement, finances, infrastructures et mines), «jouer sur la capacité d’attraction de l’identité française pour mieux exporter et conquérir de nouveaux francophiles»…
Il s’agit d’achever cette grande œuvre par la création d’une «union économique francophone aussi intégrée que l’Union européenne».
Le rapport Attali est sans complexe : la Francophonie doit permettre à la France d’annexer l’OIF, et d’abord l’Afrique, dans une stratégie mondiale pour lui permettre de renouer à l’horizon 2050, avec une croissance durable.
Il ne s’agit ni plus ni moins que de réaliser la Communauté Française du général de Gaule !
Si la Francophonie revenait à ses origines, c'est-à-dire si elle se préoccupait plutôt d’organiser une coopération culturelle et technique autour de l’enseignement et de la promotion du français, à côté des langues africaines, en prenant en compte l’environnement multiculturel des pays africains, elle contribuerait au développement et obtiendrait certainement l’adhésion sincère des jeunes et des élites africaines.
Par contre, son instrumentalisation par la France, pour ses intérêts politiques, diplomatiques et économiques, même avec la complicité des dirigeants politiques actuels, ne prospérera pas.
Alymana Bathily
Dakar 28 Novembre 2014.