À QUOI SERVENT LES DISCOURS DU 03 AVRIL ?
Conçus sous le modèle colonial ils ont cessé depuis longtemps d’être de grands moments de communion entre le président et les citoyens pour devenir un moment de communication factice et de juxtaposition de vœux pieux
Au Sénégal, depuis 1960, les messages présidentiels à la nation, de même que les rituels discours de politique générale de tout nouveau gouvernement, se suivent et se ressemblent. On ne parvient plus à faire le distinguo entre le sens et la portée du discours du 31 décembre, veille du nouvel an, et celui du 3 avril, veille de la célébration de la fête de l’indépendance. Tellement les contenus, les déclinaisons de projets et les orientations de programme se confondent.
Si le discours communiel du 03 avril doit prendre des allures philosophico-rhétoriques avec comme objectif premier la conscientisation et la galvanisation de son peuple autour des valeurs et des symboles de la nation, tel n’est pas le cas de celui du 31 décembre où le président peut à juste raison dresser un bilan annuel à minima de ses réalisations et décliner quelques nouveaux projets tracés dans sa feuille de route quinquennale.
Mais à force de vouloir, en l’espace de trois mois (entre le 31 décembre et le 3 avril), dresser doublement un bilan de réalisations et faire l’annonce ou la promesses de nouveaux projets, on s’emmêle les pinceaux et l’on finit par faire de ces dates symboliques de simples moments de rhétorique qui indiffèrent le citoyen lambda mais intéressent politiciens, société civile, et autres journalistes friands de débats contradictoires.
Et pourtant il y a bien une différence dans le contenu et la visée de ces messages prononcés à des moments symboliques de la vie de notre nation.
Ce manque de discernement conduit très souvent nos chefs d’Etat à vouloir décliner chaque fois une feuille de route, égrener une litanie de réalisations ou verser dans des déclarations d’intention. Aujourd’hui, après 54 ans de souveraineté, on doit se poser la question de savoir la pertinence de ces discours et leur impact sur la vie des citoyens qui en sont les réceptacles.
Si on s’amusait à faire l’inventaire des différents discours, on se rendrait compte de la profusion des promesses enterrées ou non réalisées selon l’échéance fixées pour leur mise en œuvre. Sur ce plan, Abdoulaye Wade tout comme son prédécesseur Abdou Diouf était un professionnel des discours kilométriques, soporifiques et lassants qui finissaient rebuter ses rares récepteurs.
Un empilement systématique de promesses irréalisées voire irréalisables
Sous l’actuel régime, on constate la rupture dans la forme mais dans le fond, c’est toujours le statu quo. Toujours un étalage de promesses, de projets et de réalisations ! Si on fait une petite analyse comparative des discours du 03 avril 2013 et 2014, on se rend compte des redites sur des thèmes éculés, désarticulés comme le civisme qui fait toujours défaut aux Sénégalaises et aux Sénégalais.
« La bonne gouvernance est partie intégrante de la démocratie. Nous sommes dans une phase de rupture et de transition vers un Sénégal nouveau. Et ce Sénégal nouveau, exige un état d’esprit nouveau ; une conscience nouvelle… L’Etat de droit que nous sommes en train de bâtir induit l’équité et l’obligation de rendre compte, pour créer un environnement de confiance et de transparence propice à l’investissement, à l’activité économique et à la génération d’emplois… Il a pour finalité de garantir la sacralité du bien public, d’instaurer une plus grande justice sociale, de promouvoir l’égalité des chances et de récompenser le mérite » dixit le président Macky Sall au soir du 03 avril 2013.
Les mêmes propos réapparaissent encore dans son discours du 03 avril 2014 comme pour dire que les Sénégalais abhorrent le civisme. Au « Sénégal nouveau de la rupture » de 2013, il laisse place à son succédané « le Sénégal émergent » de 2014 qui s’incrustent dans nos nouveaux paradigmes et logiques économiques. « Sur le chemin du Sénégal émergent, le changement, parce qu'il nous concerne tous, devra venir de chacun de nous. Car en chacun de nous s'incarne la Nation."
"Tous, ensemble, nous devons vaincre la routine et le confort de l'habitude, cultiver davantage l'éthique du travail, établir un nouvel état d'esprit avec le service et le bien publics, et faire face à nos défis pour un Sénégal émergent. Le Changement qualitatif que nous voulons pour notre pays est à ce prix. Personne ne fera à notre place ce que nous ne sommes pas disposés à faire pour nous-mêmes. L'indépendance n'est pas l'acte d'un jour, mais un combat de tous les jours, que nous devons gagner » a tenu à réitérer le président de la République dans son adresse du 03 avril dernier.
Au chapitre des promesses déclinées dans les discours des veilles de célébration de la fête de l’indépendance et non encore réalisées, il y a la problématique de l’emploi, véritable casse-tête de nos différents régimes. Aujourd’hui, on constate que les promesses de 500 mille emplois, ramenés à 300 mille au prorata de la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, trustent les discours à la nation du chef de l’Etat. Les promesses d’emploi, à défaut d’être matérialisées, prennent toujours une place prépondérante dans chaque discours comme si on devait sacrifier à une obligation républicaine.
Le 03 avril 2013, le président promettait avec une apparente conviction « une ligne de garantie de 10 milliards pour des activités génératrices de revenus en faveur des femmes et des jeunes filles et un financement de 17 milliards destiné à la création d’emplois non salariés pour les jeunes ». A ce jour, seuls les 5500 emplois de la fonction publique et les 10 000 de l’Agence de sécurité de proximité sont réalisés.
Dans le discours du 03 avril dernier, le président fait table rase des 27 milliards promis aux jeunes et aux femmes en 2013 et parle d’un « Projet d'Appui à la Promotion de l'Emploi des Jeunes et des Femmes, financé à hauteur de 19 milliards de FCFA, en partenariat avec la Banque africaine de Développement ».
« L’acquisition de nouveaux matériels de l’agriculture et de l’élevage pour un montant de 42,5 milliards de FCFA » déclinée dans les discours du 03 avril et du 31 décembre 2012 reste à l’état de promesse et est supplée dans celui de cette année par « les Domaines Agricoles Communautaires, pour occuper de jeunes ruraux, insérer des diplômés d'Ecoles de formation aux métiers agricoles et disciplines connexes, et soutenir des promoteurs privés Lesquels doivent générer à terme 15 000 emplois ».
Cet empilement systématique de promesses irréalisées voire irréalisables finit par décrédibiliser la parole présidentielle pour devenir une arme d’auto-destruction que le peuple peut lui retourner lors des rendez-vous électoraux.
In fine, on se rend compte que les discours à la nation du 03 avril conçus sous le modèle colonial ont cessé depuis longtemps d’être de grands moments de communion entre le président et les citoyens pour devenir un moment de communication factice et de juxtaposition de vœux pieux sous-tendue par une mise vestimentaire soignée, une éloquence plus raffinée corrélée à une gestuelle bien aiguisée. D’où la nécessité de repenser le contenu de ce message rituel du 03 avril qui a perdu sa force solennelle et toute sa portée instructive.
Une telle occurrence, au-delà de la dimension festive, doit servir à rassembler et à ressouder les Sénégalais autour d’une date fondamentale de leur histoire. Elle doit renforcer donc le sentiment d’appartenance à un groupe, favoriser la cohésion et l’homogénéité du peuple en lui inculquant des valeurs nationales comme la morale du devoir ou le culte de la liberté.
Et c’est là le sens de l’épilogue du discours du président de la République de ce 03 avril : « Ensemble, maintenons vivace la flamme patriotique et la conscience d'un commun vouloir de vivre ensemble qui fonde et consolide la Nation sénégalaise unie, libre et prospère, dans une Afrique toute aussi unie, libre et prospère. »