ÉBOLA, CETTE GROSSE PESTE (BIS)
Retour au 28 août dernier et rappel sur ce qu’on écrivait dans cette chronique (1) : "On pensait que rien ne pouvait arrêter un ballon qui roule. Et voilà que l’épidémie causée par le virus Ébola ramène la toute puissance du foot à de simples futilités. Tout le monde pense à la Can-2015, mais personne ne sait ce qu’il en adviendra. Les intérêts financiers liés à cette compétition vont sans doute pousser la Caf à ne pas reculer, mais le fléau qui plane sur l’Afrique se pose en question de 'vie ou de mort'. Devant les guerres, les catastrophes naturelles ou les grands malheurs, jouer a souvent été un moyen d’oublier, de dépasser les traumatismes ou tout simplement de convenir que "The show must go on" (le spectacle doit continuer). Ainsi dit, on ne compte plus les drames qui n’ont jamais pu arrêter la logique du jeu. Il suffisait de parler d’hymne à la vie et au courage, de défi à l’adversité, pour que la puissante machine déroule sans coup férir. Aujourd’hui, tout devient si futile, si aléatoire."
Les Marocains ont répondu à ces prémonitions. Vendredi dernier, alors que les "Lions" cherchaient les chemins qui mènent au royaume, le "commandeur des croyants" a baissé les barrières frontalières.
La peur d’Ébola est forte de mythes, de croyances, et de fausses idées, mais elle charrie une réalité palpable qui fonde rejets et exclusions. Fut-il des plus éclairés, un commandeur des croyants à ses croyances. Et on mécroit beaucoup par rapport à Ébola. Comme de penser qu’en fermant ses frontières on peut arrêter une telle épidémie.
La bêtise a déjà prévalu avec le sida, jusqu’à ce que nombre de pays (les Etats-Unis compris) comprennent que "le virus ne s’arrête pas aux frontières pour remplir des formalités de visa". C’est un clandestin qui voyage au mépris des apparences et des identités ; et certaines mesures de protection sont futiles et dérisoires, voire inutiles.
Ce qui a sauvé le Sénégal ce n’est pas d’avoir des barbelés aux frontières, mais de disposer d’un système de santé efficace et performant.
Mais qu’importe le progrès, les peurs les plus fortes viennent du fond des âges. On ne brûle plus les malades de la peste comme on le faisait au Moyen âge, les pulsions humaines face aux calamités n’ont cependant guère changé.
Dans A la volée du 28 août, on écrivait encore : "L’ampleur du drame actuel, massif, rapide et brutal, semble sans commune mesure avec les plaisirs du jeu. Déraisonnée ou non, on ne peut juger les peurs des autres. Devant les effets collatéraux d’une épidémie qui mettent à l’épreuve les Etats et les communautés, le sport semble dérisoire. On a l’impression de replonger dans La Peste de Camus, quand on sentait la condition humaine si fragile devant les coups du destin, la détresse et les frayeurs collectives."
On pensait toutefois le Maroc plus serein face au délire sécuro-sanitaire qui a poussé nombre d’Etats à adopter des attitudes de repli parfois débiles. Quand les Ivoiriens se refusaient d’accueillir le Libéria, avant de se raviser devant les menaces de sanctions brandies par la Caf, les Marocains permettaient à la Guinée d’accueillir le Togo à Casablanca. Là où nombre de compagnies aériennes ont arrêté leurs vols sur Conakry, Monrovia et Freetown, la Royal Air Maroc a poursuivi ses rotations.
Quel paradoxe d’avoir ainsi continué à faire des affaires sur ces destinations, pour penser aujourd’hui qu’il y a péril "éboléen" à accueillir la Can !
Chaque pays à libre droit de choisir qui franchit ses frontières ou pas. Les Marocains auraient pu cependant poser des contraintes sans aller à l’ultime décision qu’ils ont prises. Il aurait été simple de convenir qu’aucune délégation de supporters ne serait autorisée, venant de tels ou tels pays. Cela n’aurait d’ailleurs pas fait une armée de frustrés. On sait la faiblesse des convois qui se déplacent avec les équipes nationales africaines. Il leur est même difficile de remplir un avion de 200 places.
Le 28 avril, on écrivait encore : "Le casse-tête est énorme pour les responsables du football continental. Qui sera à la Can-2015 ? A l’allure où vont les choses, la carte sanitaire des pays risque d’être plus déterminante que leur valeur sportive. Entre matches délocalisés ou annulés, les premiers et deuxièmes tours des qualifications prévues dans une dizaine de jours restent enveloppés d’incertitudes. (…) La fraternité sportive a ses limites et l’on commence à l’éprouver là où d’autres segments socioéconomiques ont été déjà bouleversés par l’épidémie funeste."
Plus qu’un casse-tête, c’est un désastre qui se profile pour la Caf. Même si les Marocains parlent de report et non de désistement, il n’y a pas de place dans le calendrier international pour reprogrammer une compétition qui dure un mois. Ce qui est possible pour le Chan (avec les locaux) ne l’est pas avec la Can qui implique l’élite internationale du foot africain. Reporter revient à annuler. Ce qui est inimaginable quand on mesure les intérêts financiers attachés à une Can.
La Caf a déjà encaissé des millions de dollars de droits de retransmission et les chaines de télévision internationales ne font pas dans la charité et la bonne compréhension mutuelle. On peut aussi penser à ces milieux d’affaires marocains qui se sont positionnés par rapport à la compétition et qui risquent de perdre gros. C’est simple : Ébola ou pas, la Caf ne peut reculer. Elle a déjà fait face en imposant des matches que certains pays comme la Côte d’Ivoire rejetaient.
En dernier recours, une délocalisation est à envisager. Mais les pays capables de tenir le pari tiennent sur un doigt : l’Afrique du sud.
1) La chronique était intitulée "Ébola, cette grosse peste"