ÉMERGENCE ET CULTURE
Il y a une soif d’excellence, d’équité, de transparence qui travaille ce pays et que ceux qui gouvernent peinent à prendre en charge. Et c’est là que le bât blesse, car ce n’est pas saisir la mission qui leur incombe
Des ministres et des responsables de l'Apr sont montés au créneau ces derniers jours, dénonçant avec force des propos prêtés au ministre d'Etat Amath Dansokho, suivant lesquels le Sénégal irait mal. Pas de quoi fouetter un chat est-on tenté de dire, surtout lorsqu'on se réfère à l'interview du président d'honneur du Pit expliquant que : "si vous sortez une phrase de son contexte, cela peut donner souvent des résultats effarants". Aussi l'intérêt est-il plutôt ailleurs car ce que révèlent ces diatribes partisanes, c'est bien une vision étriquée de la politique qui s'apparente beaucoup plus à une lutte de positionnement qu'à une mission de service public. L'injonction "ôte toi que je m'y mette" s'affichant ainsi comme la nouvelle boussole qui guide des ambitions incertaines.
En lieu et place de ces guerres de tranchées, on aurait pourtant aimé entendre ces mêmes voix tonner avec autant de vigueur et de force contre le fait que de petits enfants d’à peine deux, trois ans, soient jetés dans la rue à l’angle des carrefours, aux coins des feux rouges, accrochant les passagers de leurs mains fragiles et innocentes pour demander l’aumône alors qu’une loi votée par l’Assemblée nationale l’interdit. On aurait aimé les entendre s’époumoner de rage pour dénoncer les pénuries d’eau, les coupures d’électricité, le chômage des jeunes voire les actes d’incivilité qui font tant de mal aux rêves d’émergence économique portés par le président de la République, leur chef de parti.
Ce dernier affirmait d’ailleurs dans une adresse à la nation lors du 54ième anniversaire de notre accession à la souveraineté nationale et internationale, souhaiter qu’en cette occasion solennelle soient fortifiés en chacun de ses compatriotes «la fibre patriotique, le désir ardent de rivaliser dans l’excellence et la passion de servir la Nation».
Seulement, avait-il omis de préciser, la mise en œuvre d’une telle ambition requiert toutefois des préalables. Comment en effet fortifier la fibre patriotique, raviver le désir ardent de rivaliser dans l’excellence, être habité par la passion de servir la nation sans pour autant promouvoir une gouvernance trempée dans l’exigence de rendre compte ?
Une interrogation qui coule de source lorsqu’on observe par exemple que des ministres de la République inconnus au bataillon pour leurs performances, peuvent s’en prendre à des magistrats de la Cour des Comptes dans l’exercice de leurs fonctions ou retarder un vol de la South African Airlines au grand dam des usagers, sans que cela ne leur coûte. Le devoir d’exemplarité est pourtant gage de confiance dans les institutions incarnées au premier chef par le président de la République et son gouvernement à qui il revient d’imprimer le rythme, en incarnant un nouveau leadership qui met l’éthique au cœur de l’ action. A défaut, c’est le sentiment d’impunité qui prend ses quartiers.
Aussi, force est-il de constater que l’on continue de baigner dans un mode clair-obscur brouillant parfois le message perçu à travers la traque contre les biens mal acquis qui n’est pas fait pour rassurer. C’est le cas lorsque le chef de l’Etat se met à magnifier la transhumance au nom d’un sens commun théorisant l’idée selon laquelle il vaut mieux additionner que soustraire pour gagner une élection. Une logique mathématique a priori imparable mais qui ne rencontre pas forcément la logique des urnes, comme l’ont expérimenté à leurs dépens ses prédécesseurs qui s’y étaient essayé.
En réalité, pris dans la nasse du syndrome du second mandat, le président Macky Sall a du mal à appréhender qu’il y a une puissante nostalgie de l’avenir qui travaille la société sénégalaise. De même qu’un sourd désir de se réconcilier avec un espoir qui ouvre et dessine les horizons d’un possible qui se réconcilie enfin, 55 ans après l’indépendance, avec une pleine maitrise de son destin. Il ne s’agit donc pas de remporter une quelconque victoire électorale mais de relever les défis qui plombent la société et la maintiennent dans le sous développement, l’ignorance et la pauvreté. En réalité il y a une soif d’excellence, d’équité, de transparence qui travaille ce pays et que ceux qui gouvernent peinent à prendre en charge tout à leurs calculs personnels. Et c’est là que le bât blesse, car ce n’est pas saisir la mission qui leur incombe aujourd’hui. Servir et non se servir en incarnant des idéaux collectifs qui transcendent leurs intérêts égoïstes.
Sans une telle posture point d’émergence économique possible, puisqu’un pays ne peut se construire en dehors d’une culture de l’effort. C’est à reformater une mentalité sénégalaise complètement pervertie sous le magistère de Wade par des milliards poussant on ne sait trop comment qu’il faut s’atteler. Et ce n’est pas une mince affaire! En tous les cas, à défaut d’intérioriser cette exigence, le risque est de se voir rappeler à l’ordre par les populations qui elles, ont compris le pouvoir qu’elles détiennent au bout de leurs cartes électorales.