ÉQUATION COMPLEXE
FONDATIONS DE PREMIÈRES DAMES
L’affaire des présumés 600 millions de francs Cfa dans laquelle le nom de la première Dame Marième Faye Sall est cité remet au goût du jour la question de l’opportunité des fondations dans notre pays.
En Afrique, le statut de Première Dame est à la fois enviable et ingrat. Autant, il peut être pour elles une posture d’influence auprès des époux chefs d’Etat, autant cela peut constituer une porte ouverte sur des dérives ou des tentations, qui finissent souvent en imbroglios dans lesquels il est difficile de cerner les mensonges et les manipulations. On en est là au Sénégal, avec l’affaire dite du don présumé promis ou offert à la Fondation "Servir le Sénégal" (FSS) dirigée par l’épouse du président de la République.
En effet, l’Union patronale des architectes (UPA), dénonçant l’attribution du marché de la Cité de l’Emergence au groupe Marocain Addoha, accusait la FSS d’avoir bénéficié d’un financement de 600 millions de francs Cfa de la part du groupe BMCE (Banque marocaine du commerce extérieur). "Nous ne sommes pas aussi riches que les Marocains ; nous n’avons pas d’argent à offrir à la fondation de la Première Dame pour avoir accès aux commandes" publiques, avait déclaré, allusif, Assane Sarr, président de l’Upa, au cours d’un point de presse. Suffisant pour que les avocats de Karim Wade réclament la comparution de Marième Faye dès lors qu’il y a "link" entre la banque donatrice et BMCE Sénégal devenu Black Pearl.
La réaction de Alioune Fall, administrateur général de la fondation "Servir le Sénégal", ne s’est pas fait attendre. Pour lui, la structure "n’a jamais eu un financement" ; mais elle avait plutôt eu une promesse de financement d’une banque marocaine (BMCE) pour la construction d’un daara à hauteur de 600 millions".
La fondation "Servir le Sénégal" n’est pas la seule à cristalliser l’attention de l’opinion publique. Une de ses devancières, la fondation "Solidarité et Partage" dirigée alors par Elisabeth Diouf, épouse du président Abdou Diouf, a connu elle aussi ses scandales. Créée en 1995, elle a pendant longtemps servi de raccourci pour politiciens et hommes d’affaires pour s’enrichir. Parmi eux, un ancien baron du Parti socialiste, administrateur de ladite fondation. Selon un exministre de l’époque, le modus operandi était huilé. "Il (le baron) demandait à des hommes d’affaires d’importer des produits via la fondation Solidarité et partage. Les fondations étant exonérées de toutes taxes, cela leur permettait de ne pas payer les droits de douane" et de faire fortune, confie notre interlocuteur.
Baba Tandian : "La FSS fait plus de dons et plus de bruit..."
L’homme d’affaires Baba Tandian est aussi cité parmi ceux qui ont profité de leur proximité avec la fondation de Mme Diouf. "Pour rentrer dans les bonnes grâces de la première Dame (Elisabeth), Tandian ne lésinait pas sur les moyens", confie une source digne de foi. " Je me souviens qu’à chaque fois que la fondation vendait aux enchères les objets qui lui étaient offerts, il lui arrivait de payer à coup de millions de francs un tableau d’art sans valeur", poursuit-elle.
"Faux !" rétorque le patron de l’imprimerie Tandian pour qui ses actions étaient désintéressées. "Mme Diouf n’est jamais intervenue en ma faveur. Je ne l’ai jamais sollicitée. J’agissais de mon propre gré. (...) J’ai aidé sa Fondation par amitié avec Abdou Diouf qui était à la limite un parent à moi", explique-t-il. D’ailleurs, l’ancien patron de la fédération sénégalaise de basket-ball pense que c’est faire un "mauvais procès" à Marième Faye que de parler de "pots-de-vin" qu’elle aurait reçus. "Je suis proche de toutes les trois (Mmes Diouf, Wade, Sall), mais la fondation de Marième Faye Sall fait plus que les autres que j’ai connues, en termes de dons. Elle fait plus de bruit que les autres. Maintenant, est-ce qu’elle reçoit plus d’argent ? J’ai des doutes", dit Baba Tandian, prudent. "Il faut que les gens comprennent qu’une première Dame qui a vraiment besoin de récupérer de l’argent, n’a pas besoin de passer par une fondation. Cela peut se faire entre quatre murs où dans un endroit que personne ne sait. Cette pratique-là, tout le monde la connaît", confesse l’homme d’affaires.
Ninéfécha
Viviane Wade avait-elle usée de cette "pratique" en nouant un partenariat entre "Education Santé" et la fondation Antenna Technologie basée à Genève ? En tout cas, l’ex-première Dame, à qui Antenna Technologie réclamait "le remboursement immédiat" du prêt de 1 250 000 euros (812 millions F Cfa), a fait l’objet d’une plainte. Son époux a dû casser sa tirelire pour lui éviter la prison. C’était quelques mois (juin 2012) après la défaite de Me Wade à l’élection présidentielle. A l’époque, les avocats de Viviane Wade avaient accusé le nouveau régime de vouloir exercer des "pressions psychologiques" sur leur cliente "pour l’amener à rembourser, sans préavis ni délai, une dette consentie à la Fondation (...) par l’intermédiaire de son administrateur général Sébastien Couasnet".
L’autre affaire, c’est la construction de l’hôpital moderne de Ninéfecha à Kédougou dont l’opportunité a intrigué plus d’un. Pour certains observateurs, la construction de ce joyau dans ce bled du sud-est du pays n’était pas gratuite. "Viviane Wade y avait un champ où elle cultivait du spiruline (un additif)", dit une source. Devenue opposante, l’ex-première Dame, qui disait n’avoir plus les moyens d’entretenir le personnel hospitalier, a mis la clé sous le paillasson le 30 juin 2013. L’hôpital a rouvert ses portes au mois d’août dernier, sous la tutelle du ministère de la Santé.
L’exception Colette Senghor
L’épouse du premier président sénégalais, pour sa part, n’a jamais voulu créer une fondation. Réputée "discrète", l’ancienne première Dame avait choisi de ne pas trop s’exposer même si elle a pu venir en aide aux populations par l’intermédiaire d’une Délégation sociale. "Le président Senghor n’a jamais voulu mêler sa famille dans les affaires de l’Etat. Il ne voulait pas les exposer", explique un ancien ministre. "Lorsqu’on est première Dame, on est exposée. Les hommes d’affaires, qui ne peuvent pas accéder au président, passent par elle. C’est une voie ouverte à la corruption", déclare notre interlocuteur.
Pour parer à tout cela, ce dernier propose la suppression pure et simple des fondations. Est-ce vraiment la solution ?