ÉQUILIBRE FRAGILISÉ
«Et pourtant nous faisons partie de ce pays !»Ainsi s’exprimait Serigne Abdou Aziz Sy Junior, pour dénoncer ce qu'il considérait comme un «manque notoire de considération » de l'Etat vis-à-vis de la ville sainte de Tivaouane, surtout en matière de politique d'infrastructures. Le 25 octobre dernier, le porte-parole du Khalife général des mourides dénonçait de son côté le « manque de considération » du pouvoir à l’égard de la cité religieuse de Touba. Dans un pays multiconfessionnel où coexistent une diversité de confréries et de sensibilités religieuses, l’affirmation de la neutralité de l’Etat est fondamentale. Au Sénégal, cet équilibre a été rendu fragile au cours des dernières années par une pratique marquée par l’affirmation ostentatoire de la plus haute institution du pays de son appartenance à une confrérie et en multipliant les actes de confusion entre l’Etat et la religion, créant un sentiment de frustration des autres confréries et confessions.
La fragilisation de cet équilibre s’est poursuivie au mois de septembre dernier, lorsque le Président Macky Sall, décrétant le magal 2013 jour férié à l’instar de son prédécesseur en 2012, promettait aux dignitaires mourides de « faire plus que Wade pour Touba », pour se concrétiser aujourd’hui.
Le Président Macky Sall va ainsi saisir les députés pour le vote d’une loi instituant le magal jour férié, si l’on en croit le Premier ministre Aminata Touré, hier, lors de sa Dpg. Il va ainsi au bout de la voie que son prédécesseur n’a pas eu le temps d’emprunter. « Ce que Touba veut, pouvoir le veut !»
Aussi, l'impartialité ou la neutralité de l'État à l'égard des confessions religieuses apparaît ainsi comme un vain mot au Sénégal et la laïcité, qui n’a jamais voulu signifier négation religieuse mais qui est juste le principe de séparation de l'État et de la religion, en prend un sacré coup. Nul doute, il y a bien une laïcité à la sénégalaise qui serait assimilable à une « confrérie d’Etat » par analogie à une religion d’Etat.
Qu’on le dise ou pas, le malaise est là, non diffus, comme si la loi de l’omerta était décrétée dans un pays où l’Etat se dit laïc, mais se prosterne dès que Touba se sent « offusqué ». Qu’à cela ne tienne!
Si dans la constitution psychologique et le subconscient de millions de Sénégalais, le Magal a été déjà décrété férié, parce que chômé d’office par les travailleurs, du public comme du privé, l’Etat aurait le beau rôle d’y voir le lit d’une fainéantise organisée qui participe d’une productivité au ras des pâquerettes, dans une économie qui a besoin de tout sauf de ça.
A contrario, en confirmant ce culte de la fainéantise et qui au demeurant rompt avec le fondement même de ce qui est accepté dans le monde moderne comme la démocratie, l’Etat valide ainsi un précédent dangereux, de nature à exacerber les frustrations les plus enfouies tout en donnant une prime au farniente. C’est là une grosse contradiction à relever dans le discours de Mimi Touré qui, d’un côté, pousse au culte du travail dans le « Yoonu Yokkute » et de l’autre, sape ainsi les bases-même de ce culte.
Dans un pays qui ne travaille pas assez et où chacun veut rivaliser par le plus gros mouton acheté à l’occasion de la Tabaski tout en pleurnichant « Deuk bi da fa Macky » ; Dans un pays où, comme dit « Mimi », l’argent ne se gagne plus qu’à la force du travail ; Dans un pays où il y a déjà trop de jours fériés qui coûteraient (Statistiques de la Dpee) près de 3% de la production nationale et 0,01% de la croissance économique soit l’équivalent d’une perte annuelle de 1 milliard de FCfa, il y a autre chose à faire que de semer les germes de la flemmardise et partant, de la fragilisation du fondement de notre démocratie.
Or, si le benchmarking montre que le nombre de jours fériés observés au Sénégal n’est pas élevé par rapport à d’autres pays, en revanche, ses effets sur l’économie nationale font que le Sénégal ne parvient pas à bien se positionner par rapport aux principaux concurrents en termes de compétitivité. Aussi, pour une économie en développement aspirant à réaliser de gros progrès dans le domaine de l’industrialisation, un facteur occasionnant une perte de 3% de la production annuelle dans ce secteur ne devrait pas être négligé par le gouvernement.