ÉTUDIANT
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En marge de la stérile polémique sur la bourse, il reste toujours un goût d’inachevé sur les contrastes qui grandissent entre la personnalité des apprenants et les entités de références qui trompent leur valeur. Les pesanteurs de la baisse de niveau scolaire ne suffisent plus à expliquer la vanité contemporaine et la médiocrité légendaire qui distinguent notre société estudiantine.
En réalité, l’époque des universités considérées comme le socle avant-gardiste de toutes les batailles idéologiques et même des débats les plus fertiles face aux problématiques sociales et aux questions de développement, est bien révolue. Les cadres émoulus d’institutions occidentales ne s’empêchent que rarement de citer leurs camarades de promotion, très souvent compagnons de lutte à l‘époque des résistances d’indépendance ou simplement d’accès aux libertés démocratiques en général.
C’était des étudiants. Tout au moins en ce qui concerne les colonies françaises. C’est courant, même chez ceux qui trainent un passé académique obscur mais les vrais nostalgiques du mérite, une notion jadis encrée dans toutes les émotions universitaires, s’en mordent les doigts. Malgré leur non éthique, les anciens chasseurs d’excellence, intellectuels d’aujourd’hui, même les plus récents, restent pantois devant la tendance de flemme et de fainéantise et la question revient : combien d’étudiants domptent encore leur stress d’enivrants des textes de Robert Nestor Marley ou abreuvent leur esprit à la source de Lénine ?
Nombre de parents éduqués ont réalisé que leurs enfants et cadets des amphithéâtres ne connaissaient pas Kwame Nkrumah, Ernesto Che Guevara, Malcom X, etc. Pas même Cheikh Anta Diop lui-même.
L’étudiant de notre temps ne va pas plus loin que la sotte mode de son environnement bruyant, englouti par les médias et la décrépitude sociale qui l’emporte. A savoir, idolâtrer les lutteurs ou les footballeurs, s’adapter aux rappeurs du moment qui les abrutissent pour survivre ou encore s’appliquer aux danses obscènes qui précèdent les notes sexuellement transmissibles et toutes les facilités auxquelles est exposée la génération sacrifiée.
Non pas que la lutte et le rap ne véhiculent pas leur cortège de valeurs, la culture se refaisant aussi au temps. Mais en l’espèce, se meurt le rôle naturel qu’on croyait dévolu au produit universitaire, de conduire nos sociétés vers l’excellence. Ce n’est plus forcément le meilleur de sa classe qui conquiert la plus belle fille du lycée et moins encore le poste de délégué en fac. Ils n’usent plus du mérite pour conter fleurette à celles qui font battre leurs cœurs.
C’est dépassé. La chance ou le malheur d’Internet, les NTIC, les crises de gouvernance ou les dérives de la famille à la base de toutes constructions sociales et tutti quanti, s’inscrivent dans le mal qui ruine si profondément la pépinière du développement. L’excuse de nombreuses influences façonne sa nature contreproductive.
Certains s’appuient sur la thèse toute trouvée du conflit de générations qui veut qu’on se départisse du goût révolutionnaire hérité des luttes d’antan pour se soumettre à la pensée nouvelle construite moins de travail que de revendication, avec moins de légendes que de mondanités, plus loin du savoir et du mérite que des vanités, dosée de plus de libertinage que de liberté…
Mais il devrait rester au moine des temples du savoir au moins la démarche cartésienne du discours de la méthode, celle qui, en quête de raison, dut remettre en cause. Ou alors l’aboutissement des combats idéologiques à l’instar de Nelson Mandela dont beaucoup ont découvert l’autorité morale (de moins en moins réservée aux chefs religieux) par la force de l’actualité à sa mort.
Attention ! Personne n’exige des ados qu’ils soient tous des bolchos ou des soixante-huitards. C’est juste qu’il faut avoir des raisons d’admettre que les précurseurs de l’Ucad ne s’étaient pas trompés en inscrivant au fronton principal Lux mea lex : La lumière est ma loi.
Dans le cas spécifique de ce hub mondial, leader de l’espace francophone, Jean de la Bruyère sut résumer les malheurs à savoir qu’il est plus difficile de se faire un nom par un ouvrage parfait, que d’en faire valoir un médiocre par le nom qu’on s’est déjà acquis. C’est à la fourbe image de notre bien sournoise société, si bien qu’on n’ose pas toujours l’évoquer ; mais la plupart de ceux qui vont à l’Ucad pour la première fois ou encore des journalistes qui s’y rendent pour collecter des avis en français savent quel effort il faut déployer pour multiplier les chances d’avoir des interlocuteurs intelligibles.
Inutile d’imaginer la gymnastique en anglais. De moins en moins d’apprenants, même de niveau licence, parviennent à placer des mots cohérents dans la langue de Molière. Non ! Le pays de Senghor ne le mérite pas. Inutile de s’enfermer dans l’excuse de ou des langues nationales. Des pays comme l’Inde ont prouvé qu’elles n’obstruent pas le raisonnement intellectuel ou l’expression orale. Au contraire. En réalité, tout est à refaire. L’étudiant n’a pour fierté que le guichet automatique de la banque ou ses parents.
Depuis que le milieu est infesté de requins affamés de suffrages, certains s’activent aux raccourcis politiques et Dieu sait que ça marche au Sénégal. Il n’y a donc plus de place pour l’épanouissement du creuset intellectuel et l’éducation qui sont avec la santé, des priorités pour tous les gouvernements.
En marge des caprices des bailleurs de fonds, il faut tout de même constater que les étudiants sous d’autres cieux font la plonge, sont des enseignants à domicile ou pratiquent d’autres petits métiers pour se dépanner, quand ce n’est pas pour payer leurs études. La condition pénible n’est pas le principe mais il est clair que même chez les Bolchevichs de la République socialiste soviétique, tout le monde ne serait pas éligible à la bourse.
Elle resterait réservée à l’excellence et bien encore moins aux étudiants trentenaires déjà opérationnels dans d’autres pays. Abdoulaye Wade trompait l’oisiveté d’une jeunesse fainéante au nom d’un investissement à long terme sur le capital humain, mais la dizaine de milliards de FCFA passée à 40 à la belle époque sans le moindre effet sur l’excellence aurait pu être investie ailleurs. Macky Sall devrait l’intégrer pour aller au bout de sa logique.
De plus, la manifestation de la médiocrité à l’université tend à dépasser le politique car la descente aux enfers est réelle. Certes, d’insensées logiques de carrières éloignent nos universités de leur contribution au développement, mais il faudra remettre toute la formation humaine en question avant de concevoir des produits en adéquation avec les besoins du développement.
Sinon, ce seront des pics de gâchis. Le Mauricien Umar Timol n’a-t-il pas appris une fois enflammé par Césaire, Baudelaire et autre Alain de Botton, que « reconnaître sa médiocrité est un exercice de salubrité intellectuelle ? ».