‘’AVEC LE HIP HOP, NOUS SOMMES DANS UNE DYNAMIQUE D’INDUSTRIE CRÉATIVE’’
AMADOU FALL BA, DIRECTEUR DU FESTA 2H
Le Festival international des cultures urbaines communément appelé Festa2H en est à sa dixième édition avec une semaine, du 06 au 13 juin, de promotion et de diffusion des cultures urbaines. Dix ans de présence scénique est une prouesse pour un festival de Hip Hop. Directeur de ce festival, Amadou Fall Bâ revient ici sur l’organisation ainsi que les perspectives de cet événement phare dans la promotion des cultures urbaines.
Le Festival international des cultures urbaines en est à sa dixième édition. Etes-vous satisfait du chemin parcouru ?
On peut dire que c’est satisfaisant, mais nous sommes des perfectionnistes. Nous essayons toujours d’améliorer les choses. Cela fait plus de dix ans que nous sommes occupés dans la promotion, la diffusion, le développement des cultures urbaines et du Hip Hop au Sénégal et dans la sous-région.
Dix ans de Festa2H, ce sont plus de 500 artistes nationaux et internationaux qui sont passés dans nos 75 concerts organisés dans sept villes différentes. Nous avons parcouru ces cités pour donner aux jeunes une culture de qualité.
Si on regarde dix ans en arrière, les concerts se faisaient au centre-ville de Dakar, pas dans les grandes banlieues comme Pikine, Grand Yoff, Ouakam, Keur Massar, Thiès. Festa2H, c’est cela, une plateforme d’expression artistique libre pour que les gens puissent découvrir les cultures urbaines.
Certains ne connaissent pas encore ce que renferment ces termes et les nuances et dans quoi nous sommes depuis une dizaine années. C’est une fierté aussi si nous arrivons à faire venir au Sénégal Das Efx qui est un groupe monument du rap américain, Lino + Ärsenik de la France, Casey, une représentante du rap féminin en France, c’est déjà quelque chose.
Dans l’ensemble, nous sommes satisfaits mais il y a des choses qui restent à faire. Aujourd’hui, nous sommes dans un projet plus ambitieux qui est le Centre international des cultures urbaines qui verra le jour peut-être dans deux ans avec la maire de Pikine qui nous a octroyés 10 000 mètres carrés pour ce centre.
Il y a déjà deux partenaires qui se sont signalés, les Allemands et la région Île de France. Nous sommes dans d’autres dynamiques pour le Hip Hop. Nous ne sommes pas seulement dans le politico-social, mais il faut qu’on fasse ce qu’on appelle l’industrie créative.
Il faut que les gens qui s’activent dans les cultures urbaines vivent de cela. Et ce n’est pas gagné parce qu’on parle de créer un secteur. Créer un secteur ne se fait pas en quelques jours ou années, il faut travailler dur, trouver des stratégies et des mécanismes qui peuvent accompagner ce processus.
Ce projet de Centre International des cultures urbaines de Pikine est-il différent de celui de la Maison des cultures urbaines de la mairie de Dakar ?
Ce projet de la mairie de Dakar, j’y travaille personnellement. Je suis aussi chargé de mission du maire de Dakar. C’est un projet qui a démarré et qui va connaître sa grande phase pendant les grandes vacances. On va nous entendre sur ce registre dans deux ou trois mois pour voir comment connecter Dakar et Pikine. C’est vrai que Dakar est la capitale, mais Pikine regorge de la moitié des groupes de raps sénégalais.
Officiellement nous avons 3.000 groupes de rap et les 1.500 sont de Pikine. Il y a donc une pertinence à avoir un Centre des cultures urbaines dans cette ville. Dans chaque capitale, il y a un centre des cultures urbaines comme à Paris qui va inaugurer en janvier 2016 son premier Centre Hip Hop qui s’appelle La Place.
Son directeur sera là pendant le festival pour partager avec nous son expérience. C’est ce genre de connexion qu’il faut créer entre la Maison des cultures urbaines à Dakar, le Centre des cultures urbaines de Pikine, La Place à Paris et le Centre original des cultures urbaines de Lille.
Ainsi, nous aurons une plateforme internationale où des artistes sénégalais peuvent voyager et que les autres fassent l’axe inverse.
Le Festa2H, c’est aussi la promotion des jeunes talents avec le Flow Up. Ce projet continue-til toujours ?
Nous préparons la grande finale qui aura lieu les 11, 12 et 13 juin. Cette année, nous avons 15 finalistes qu’on ne pouvait pas faire jouer dans une seule soirée. Nous avons décidé donc de les répartir en deux petites finales. La première finale aura lieu le 11 juin avec 8 groupes, le 12 juin avec 7 groupes. On va prendre que 5 groupes qui vont aller à la grande finale le 13 juin.
Cette année comme pour les autres passées, ce sera 2 millions de FCfa cash pour les récompenses, un album de six titres, une tournée, un concert et une vidéo chez nous. Nous sommes à la troisième édition du Flow Up.
Aujourd’hui, tout le monde est d’accord que si Ngaaka Blin-D est connu, c’est grâce au Flow Up. C’est cela qu’on cherche. Les gens disent souvent qu’il n’y a pas d’argent dans nos projets. Mais il y a que nous, avec beaucoup de modestie, qui donnons aux jeunes artistes non connus 2 millions de FCfa dans ce pays.
Avec l’éveil politique constaté ces derniers temps dans les pays africains comme le Congo, le Sénégal, le Burkina, les artistes intervenants dans les cultures urbaines y sont les avant-gardistes.
Est-ce que cette dimension est prise en compte pour cette édition du Festa2H ?
Cette dimension est bien prise en compte. Si on regarde dans le Line Up, c'est-à-dire le type d’artistes qu’on a invité, ce ne sont pas n’importe qui. 80 % d’entre eux ont quelque chose à dire. Après, il ne faut pas s’enfermer dans cette ghettoïsation politico-sociale du Hip Hop.
Il y a des gens qui font du fun, ils ont aussi leur place dans le Hip Hop. C’est vrai que c’est la révolution, la révolte. En plus, ce sont des jeunes qui ont envie de s’exprimer, mais à côté, il y a des choses qu’il faut montrer au public. Sinon cela devient dangereux.
Il faut créer un certain équilibre entre ceux qui font du hardcore et d’autres types de rap, tout en gardant un discours assez critique sur nous même, la société et l’Etat.
Bientôt la transition vers le numérique dans le domaine de l’audiovisuel. Quel peut être l’apport de cette transition pour les cultures urbaines ?
Nous avons commencé ce festival par une conférence sur le thème « Quel cadre légal et réglementaire du droit d’auteur à l’heure de la transition numérique au Sénégal ? » qu’on a organisé avec Article 19.
Pour nous, c’était important aussi. Ce mois de juin, il y aura la transition numérique au Sénégal, mais est-ce que les gens sont prêts à affronter cette révolution technologique ? Qu’en sera-t-il pour le Hip Hop ?
Dans les droits d’auteur, c’est tellement pris compte. C’est à travers le flux qui donne les images aux télévisions qu’on va payer les droits d’auteur, pas à la diffusion, donc en amont. Donc personne ne pourra frauder et cela est une révolution. Nous remercions le directeur de la Sodav, Bouna Manel Fall, pour cette idée.
Qu’est-ce qui fait que les festivals de Hip Hop ne durent pas longtemps ?
Je ne peux parler au nom des autres. Mais c’est un problème pour tous les festivals. Si vous êtes dans un pays et qu’on ne vous soutient pas, il y a problème. Si on regarde nos partenaires qui nous soutiennent, 90% viennent de l’étranger. Cela est déjà un problème.
Si on ne fait pas gaffe, nous pouvons également disparaître un jour. Ce n’est pas normal que les autres fassent notre culture. Il faut que les gens d’ici, les compagnies privées, les collectivités locales, l’Etat du Sénégal nous soutiennent. On leur demande juste de faire leur travail, pas de nous aider.
Il y a des compagnies ici qui font des milliards de bénéfices, et qui ne reversent rien aux populations, après je ne sais pas à quoi cela sert. On nous tympanise souvent avec la Responsabilité sociale des entreprises (Rse), mais c’est du bluff. Avec la Rse, il y a rien de sérieux.
On le dit souvent pour avoir l’image d’une entreprise trop cool, mais en réalité tel n’est pas le cas. Je ne vais être trop radical. Mais dans la banlieue, tous ces produits sont consommés mais ces marques n’investissement pas dans cette zone.
Peut-être qu’elles ne veulent pas que leur image soit connotée banlieue alors que nous sommes 14 millions de Sénégalais et chacun doit se sentir là où il est.