‘’CEUX QUI FONT DU MAL AUX AUTRES AU NOM DE L’ISLAM PORTENT PRÉJUDICE À LA RELIGION MUSULMANE’’
Imam Ismaïl Deme, directeur du bureau regional de la ligue islamique mondiale

Imam Ismaïl Dème est le directeur général du Bureau régional de la Ligue islamique mondiale (Lim). Dans cette interview, il dénonce l’instrumentalisation de l’islam pour des intérêts inavoués. Sa conviction est que « ceux qui agissent et font du mal aux autres au nom de l’islam ont porté préjudice à la religion musulmane ».
Nous observons le jeûne à l’occasion du mois béni de ramadan, pouvez-vous revenir sur le sens et la portée de ce mois ?
Le message qu’on peut tirer de ce mois béni, c’est que le ramadan est une grande école morale où on plonge dans la spiritualité. On est en communion permanente avec Allah (Swt) de par le jeûne et les prières. Le jeûne fait partie des cinq piliers de l’islam. Le prophète (Psl) dit que toutes les dévotions seront rétribuées par Allah. Mais le jeûne a particulièrement une place privilégiée. Celui qui jeûne aura une rétribution particulière. Le jeûne nous apprend beaucoup de bonnes habitudes comme la patience et l’endurance.
Durant ce mois béni, les musulmans sont privés des plaisirs licites pendant la journée. Le jeûne est une dévotion sublime. Il a également une portée sociale. L’islam est une religion qui prône l’entraide, le partage, la solidarité, etc.
Le mois de ramadan a cette particularité. Les musulmans sont invités à plus de générosité et de partage. Ces pratiques ne devraient pas s’arrêter pendant ce mois. Le musulman doit avoir l’esprit de partage et de solidarité durant toute sa vie. Il doit être généreux et savoir partager et non thésauriser de la fortune et ne pas la dépenser dans la voie d’Allah.
Au Sénégal, la communauté musulmane a entamé encore cette année le ramadan dans la division. Comment remédier à cette situation ?
Il faut diagnostiquer la racine du mal et l’éradiquer. Nous sommes en mesure de savoir les causes de ces divergences concernant le croissant lunaire. Je crois qu’une large concertation avec les autorités religieuses est nécessaire.
L’Etat que j’indexe d’ailleurs, doit aussi prendre en charge cette question. Dans les pays où l’Etat a pris en charge cette question, il n’y a pas eu de divergences. Je pense que l’Etat doit constituer une commission officielle et qu’il ait sa prière officielle. Après cette prière, aucun média ne diffuse aucune autre prière.
L’autorité politique avait clairement indiqué qu’elle ne souhaitait s’interférer dans les affaires religieuses pour régler ce problème.
Je ne suis pas convaincu par cet argument. L’autorité politique a l’obligation de s’interférer dans les affaires de la cité. Au-delà des courants politiques et dogmes, c’est l’Etat qui doit réguler tout cela. L’Etat a un grand rôle à jouer dans cette affaire.
Le terrorisme gagne du terrain dans beaucoup de pays musulmans en Afrique. Et certains vont même jusqu’à assimiler l’islam au terrorisme...
L’islam ne connaît et ne reconnaît pas le terrorisme. Si le terrorisme, c’est ce qui s’est passé récemment en Tunisie, en France, au Nigéria, au Mali, au Tchad ; ces tueries aveugles, tuer des personnes innocentes, l’islam ne le cautionne pas et ne le reconnaît pas. Le musulman ne doit pas donner la mort à son frère croyant. C’est formellement interdit dans le Coran.
L’islam condamne le terrorisme parce que c’est une religion de paix. Le mot « Salam » (paix) a retenti plusieurs fois dans le saint Coran. Les 124.000 prophètes, dont les 313 Messagers, ont été envoyés pour répandre la paix.
Toutes les religions révélées sont des religions de paix. Que ce soit le judaïsme, le christianisme et l’islam. C’est l’homme qui fait de ces religions ce qu’il veut. L’homme désorienté de la voie d’Allah et cupide avec ses tares qui fait de ces religions ce qu’il en veut pour assouvir ses besoins.
Mais peut-on leur refuser le statut de musulman car ils soutiennent agir au nom de l’islam ?
Ceux qui agissent et font du mal aux autres au nom de l’islam portent préjudice à la religion musulmane. C’est pourquoi l’islam est accusé de terrorisme. Quand quelqu’un fait des actes et prononce le nom du Tout Puissant, cela devient grave. Il est en train de tuer un innocent au nom d’Allah. Qui lui a donné ce pouvoir ?
Au nom de quoi on se permet de tuer des innocents ? Il est difficile de le mettre dans le cadre de l’islam. Toutefois, il faut mettre de côté la question palestinienne. Tout ce que les Palestiniens font pour récupérer leurs terres n’est pas du terrorisme parce qu’ils sont en guerre du fait de l’occupation de leurs terres. Ils ont le droit de se défendre pour récupérer leurs terres.
Cela n’a rien à voir avec le terrorisme. Certains font de l’amalgame en taxant les Palestiniens de terroristes.
Le monde musulman traverse des crises sans précédents avec ces batailles de positionnement de différents groupes religieux. Quelle analyse faites-vous de ce phénomène ?
Des questions politiques qui ont des connotations religieuses ont toujours agité le monde musulman. Dès la disparition du prophète (Psl), la question de sa succession a posé un énorme problème. Et cela continue à créer des discordes au sein de la communauté musulmane jusqu’à présent et surtout entre les Chiites et les Sunnites. Après le compagnon du prophète (Psl), Ousmane (Rta), il y a eu des problèmes.
De même qu’Aly (Rta), lui-aussi a eu des problèmes avec ses partisans qui l’ont déifié. Et il les a combattus. Le fait colonial n’a pas facilité les choses. Depuis la chute de l’empire ottoman, le monde islamique a été occupé par l’Occident. C’est dans ces circonstances qu’Israël a été créé en 1948.
A cela s’ajoute la naissance des associations islamiques radicales. Il y a eu un bouleversement, un changement avec la génération d’après Nasser, à savoir celles de Khomeyni, de Nasroulahi, des Oulémas de l’Egypte, de Khardawi, etc.
Tout cela a forgé un personnage musulman nouveau qui a d’autres ambitions et qui tend à retourner à la période meilleure où l’islam régnait, à savoir celle des « khoulafawou rachidiini » et de ceux qui les ont suivis. Il faut également y ajouter les frustrations nées de la position de l’Occident sur la question palestinienne ; cette politique de deux poids deux mesures.
Quelles sont les solutions que vous prônez pour mettre fin à ces conflits ?
Ce qui est problématique, c’est de croire que des gens qui s’adonnent à certaines pratiques sont des mécréants. Je crois qu’il ne serait pas mal de penser à l’organisation d’une Conférence internationale des dirigeants du monde pour relancer le dialogue. On risque de tomber dans le chaos, si les choses continuent comme cela. Daesh, soufis, chiites, sunnites, etc., cela importe peu.
Ce qui importe, c’est de vivre dans la paix et la compréhension et d’accepter de cesser cette ambition de domination à la base de tout ce mal que nous vivons actuellement. Je pense que ces groupes ont été favorisés et armés par l’agissement de l’Occident dans le monde arabe. Les régimes qui les tenaient ont été démantelés.
Cette politique hégémoniste de l’Occident doit cesser. Le monde arabo-islamique doit agir. Il doit pouvoir tenir leurs frères égarés. Je pense que les retrouvailles actuelles telles que la Coalition qui est en train de combattre les Houthis au Yémen, sous la direction de l’Arabie Saoudite, sont à encourager.
Est-ce à dire que vous êtes pour l’envoi des soldats sénégalais en Arabie Saoudite ?
Le Sénégal, comme l’a dit le chef de l’Etat, est un pays de paix. Nos soldats sont au service de la paix dans le monde. Ce n’est pas la première fois que nos soldats sortent pour répondre à l’appel de l’amitié et pour le retour de la paix dans certains pays à travers le monde. Je prie pour qu’ils puissent remplir la mission qui leur est confiée.
L’Etat vient de satisfaire une vieille doléance de la communauté arabophone du pays, à savoir la réouverture de l’Ecole nationale d’administration (Ena) aux arabisants ? Comment appréciez-vous cette décision ?
Nous rendons grâce à Allah. Le Sénégal regorge de beaucoup de cadres arabophones qui ont contribué au développement culturel, social, économique et politique du pays. Après les indépendances, beaucoup d’étudiants étaient envoyés dans les pays arabes ; et leur retour a créé un bouleversement positif dans le pays. Il y a même des gens qui étaient opposés à l’enseignement arabe qui ont envoyé leurs enfants dans les pays arabes.
Il n’est pas étonnant que l’Etat prenne conscience de la nécessité de créer pour les arabophones les conditions qui leur permettent de contribuer au développement de notre pays et de ne pas l’exclure dans les instances de décisions. Les arabisants sont exclus des instances de décisions au Sénégal. Ils sont dans l’enseignement, dans la prédication, l’imamat ou dans leurs petites affaires. Ils sont des parents pauvres de la Fonction publique et des autres instances de décision.
Pour remédier à cela, le président de la République a bien fait de rouvrir l’Ena aux arabisants. C’est au temps du président Senghor qu’on avait ouvert l’Ena aux arabisants. Ces efforts sont en train d’être poursuivis par le président Macky Sall. Je pense que le rythme est lent.
Aussi, cinq places pour les arabisants à l’Ena, je crois que ce n’est pas suffisant. Comme c’est un début, on peut le tolérer, remercier le chef de l’Etat et l’encourager. Je constate également qu’au plan de la gestion des associations islamiques, il est en train de poser des actes salutaires.
Le fait qu’il aille prier à la mosquée des Soninké m’a beaucoup plu. On l’encourage à multiplier ces gestes pareils. Il faut qu’il aille prier à la mosquée d’Al Falah, des Ibadou Rahmane, à toutes les mosquées, aller à l’église, parce qu’il est le président de tous les Sénégalais.