"DÉSORMAIS, TOUT DIPLÔME DOIT ÊTRE RECONNU ET ACCRÉDITÉ PAR L'ANAQ-SUP AVANT QU'IL N'AILLE AU CAMES"
Pr Papa Gueye, secrétaire exécutif de l'ANAQ-SUP
Le récent rapport présenté par l’Autorité nationale d’assurance qualité-enseignement supérieur (Anaq-Sup) a suscité inquiétudes et interrogations au vu du faible taux d’établissements ayant réussi à se faire accréditer. Secrétaire général de l’Anaq-Sup, le Pr Papa Guèye indique que la recevabilité explique le taux d’échec très élevé des établissements lors du contrôle. Par ailleurs, il les invite à se conformer aux normes puisque, désormais, tout diplôme doit être reconnu et accrédité par sa structure avant qu’il n’aille au Cames.
Le concept d’assurance qualité est souvent peu compris des acteurs. Que recouvre-t-il ?
C’est une question complexe et simple à la fois. Complexe parce que cela recouvre tout ce qui est mécanismes, dispositifs, activités entrant dans le cadre de l’amélioration continue des prestations d’une structure donnée. C’est aussi une sorte de disposition d’engagement. Un engagement que la structure prend à garantir la qualité des prestations qu’elle fournit soit à des bénéficiaires soit à des clients.
L’engagement participe donc de la démarche qualité. Souvent, on assimile l’assurance-qualité à la démarche qualité. Or, la démarche qualité, c’est l’ensemble des outils que l’on conçoit, que l’on utilise et qui donne des résultats qu’on évalue après pour améliorer les résultats et les performances.
C’est donc cette garantie fondée sur un dispositif mesurable qui est donné au client, au bénéficiaire et à la société que l’on fournit et qui respecte un minimum de standard.
Que gagnent les institutions d’enseignement supérieur dans l’accréditation que vous faites ?
Nous cherchons à mesurer le rendement des établissements, la pertinence de leurs prestations et de leurs résultats, ainsi que de leurs performances. Nous mesurons cela après les avoir accompagnés à adopter un ensemble de dispositifs d’assurance-qualité et à être dans une démarche qualité, mais surtout à accepter le principe du changement positif.
Nous sommes dans une zone francophone qui a connu l’assurance-qualité tardivement par rapport aux autres. Cela demande un dispositif à mettre en place qui commence par la création d’une cellule interne d’assurance-qualité qui est une structure de veille, de contrôle et de coordination de l’ensemble des activités de l’établissement relevant de sa responsabilité.
Cette cellule interne conçoit les référentiels d’évaluation de chaque composante, des enseignements au personnel administratif. A côté de cette cellule, il faut des pratiques, des activités mises en place et entrant dans le sens de l’évaluation qui permet de mesurer, de voir les forces pour les améliorer et les faiblesses pour les remédier.
Par exemple, on forme les établissements à maîtriser l’auto-évaluation. Car il faut une auto-évaluation avec rapport pour que l’Anaq commence à mettre la procédure en branle. Nous envoyons aussi des experts externes qui sont des pairs, des enseignants de l’université pour la majorité, et un professionnel du domaine.
Les pairs passent, au minimum, une journée à l’école avec les responsables, rencontrent toutes les parties prenantes et font un rapport à l’Anaq-sup. Le rapport est exploité avec celui de l’auto-évaluation, et les faits constatés pendant la visite.
Le secrétariat exécutif l’exploite et fait un autre rapport pour le Conseil scientifique, un organe autonome de l’Anaq-Sup, et qui permet de valider en dernière instance. Toute cette procédure dont j’ai cité les grandes lignes montre que nous positionnons les établissements dans une attitude d’assurance-qualité, car ce processus leur permet de savoir ce qui est bien dans ce qu’ils font, ce qui ne l’est pas, ce qui l’est moins et ce qu’il faut améliorer.
Cela veut dire que nous les poussons à changer dans le bon sens. Par exemple, l’Université de Bambey a, aujourd’hui, un référentiel pour évaluer même le personnel administratif. Les syllabus, des documents sur le cours donnés aux étudiants pour faciliter l’apprentissage des leçons, sont devenus une pratique courante.
L’encadrement didactique en termes d’aptitude pédagogique du personnel enseignant est également devenu une réalité. Les cahiers de texte qui permettent de vérifier l’effectivité des enseignements donnés le sont devenus aussi. Cela veut dire donc que la démarche qualité améliore les prestations de l’établissement, ses résultats et, au-delà, de manière indirecte, le système d’enseignement supérieur du Sénégal.
La démarche est fondée sur des référentiels avec des niveaux de standards minimums, parce que le gouvernement veut que tous les établissements respectent le minimum de standards compatibles avec l’enseignement supérieur. Avant, on était en-deçà de certains standards.
Et quel est ce minimum de standards que les établissements d’enseignement supérieur doivent respecter ?
Ce minimum, c’est de pouvoir au moins donner des diplômes et un enseignement qui soient acceptables partout dans le monde. On n’est pas là au niveau des critères d’excellence, mais plutôt d’acceptabilité.
Le minimum, c’est le standard d’acceptabilité, c’est-à-dire les compétences minimales nécessaires à un diplômé pour exercer le métier pour lequel il est formé. Or, on sait qu’avec le taux d’insertion professionnelle et les tests que les entreprises organisent, nos diplômés n’ont pas souvent ce minimum de compétences. Maintenant, pour les centres d’excellence, on va exiger des standards plus élevés.
Récemment, à Kigali, lors de la réunion de l’Aua, les recteurs ont demandé à enseigner aux étudiants des compétences douces, comme le leadership, l’esprit critique, l’innovation... L’Anaq-sup prend-elle en compte ces aspects lors de ses évaluations ?
Dans ce que nous mesurons avec nos référentiels, il y a ce qu’on appelle les compétences générales, les compétences spécifiques et les compétences de vie courante. Les compétences de vie courante, c’est ce qui sera nécessaire au diplômé pour pouvoir résoudre des problèmes de vie qui ne sont pas formalisés dans les programmes d’études.
Elles sont évaluées à partir du moment où nous mesurons, au niveau de chaque maquette d’enseignement de chaque programme, ce qui relève de la formation du diplômé en tant que quelqu’un qui fait appel, pas seulement à un programme qui est figé, mais à d’autres compétences pour résoudre d’autres problèmes de vie et qu’un programme d’études ne peut pas prévoir.
Nous mesurons aussi le volume horaire accordé à ces compétences ainsi que la transversalité des compétences pour que l’étudiant soit performant dans son lieu de travail.
Depuis 1972, le Sénégal a confié la reconnaissance de ses diplômes au Cames et, aujourd’hui, on a l’Anaq-sup. Cela ne porte-t-il pas à confusion ?
Non, parce que chacune de ses structures a un domaine qui est fixé par des textes. Le Cames se situe au niveau régional et l’Anaq au niveau national. Le Sénégal est signataire de la Convention de Lomé de 1972 qui permet la reconnaissance mutuelle des diplômes parmi les pays membres du Cames. Or, les référentiels de l’Anaq-sup sont ceux fondés sur les éléments de la Convention de Lomé et sur les référentiels Cames. Le Cames a un domaine qui lui est propre et qui lui permet de valider des éléments relevant du domaine national.
Seulement, avec le dernier décret que le chef de l’Etat a signé et portant équivalence, validation et reconnaissance des diplômes, il y a une hiérarchie dans les responsabilités. L’Anaq-sup doit, au préalable, en tant que structure nationale de validation, reconnaître et accréditer le diplôme avant que celui-ci n’aille au Cames.
C’est la nouveauté. Avant, on pouvait aller au Cames sans passer par l’Anaq-sup. Cela n’est plus possible. Une réunion du Conseil des ministres s’est tenue, en 2013, à Cotonou et avait rappelé que la structure nationale qui existe dans un pays doit d’abord valider le diplôme à présenter au Cames. A partir de 2015, les diplômes qui seront accrédités Cames l’auront déjà été au préalable par l’Anaq-sup.
On peut donc dire que vous avez anticipé ?
On a anticipé parce qu’on a ouvert un appel à candidatures pour dire aux établissements que s’ils veulent aller au Cames cette année, il faut qu’ils soumettent les diplômes à l’Anaq-sup d’abord. Nous avons tenu une première réunion du Conseil scientifique, bientôt la deuxième. L’Anaq a une procédure complète, c’est-à-dire qu’elle réclame une auto-évaluation avec rapport et fait l’évaluation sur site par les pairs.
Le Cames fait une reconnaissance de diplôme, mais n’accrédite pas les diplômes. Et il fait une évaluation institutionnelle sans rapport pour faire une reconnaissance sur la base d’instruction de dossiers au cours d’une réunion. D’ailleurs, celle-ci se tient, cette année, à Dakar, au mois de novembre prochain. Donc, le Cames n’accrédite pas les diplômes, il les reconnaît et les met en équivalence avec ceux qui sont reconnus.
Dans le rapport d’activités que vous avez remis au ministre, le lundi 22 juin dernier, vous faites mention de 196 demandes d’accréditation reçues, mais seulement 12 accordées. N’est-ce pas inquiétant ?
Non, pas tellement. J’ai rappelé, dans le rapport, que le problème se situe dans l’acheminement jusqu’à la fin de la procédure. Parmi les 191 établissements privés et les 5 établissements publics qui ont fait des demandes, il n’y a que 16 qui ont terminé la procédure. Cela veut dire que quand nous avons soumis les dossiers reçus au contrôle de l’Anaq-sup avec la grille d’analyse que nous avons, on a éliminé plus de 180 dossiers qui n’étaient pas conformes.
On a vu des établissements qui délivraient des diplômes depuis dix ans sur la base d’un agrément provisoire dont la durée de validité est d’un an. Par conséquent, on les a rejetés, parce qu’il faut avoir un agrément définitif pour pouvoir être candidat. En somme, c’est la recevabilité qui explique ce taux d’échec très élevé. Cela veut dire que les établissements n’étaient pas dans une disposition de respecter les normes réglementaires.
A présent, il faut maintenant deux choses : le principe de légalité, autrement dit l’établissement qui délivre le diplôme doit respecter l’ensemble des textes pertinents sur le Lmd, le dernier décret sur la reconnaissance des diplômes, les textes de l’Anaq-sup. Ensuite, le principe de qualité qui est que le diplôme doit être accrédité Anaq-sup et ou reconnu par le Cames.
C’est une simplification et une harmonisation très en avance par rapport au reste de l’Afrique. Sinon, pour les dossiers conformes et acceptés, peu ont été rejetés.
L’agrément, c’est vous qui les donnez. Alors, si un établissement continue d’enseigner sans un agrément définitif, la faute ne revient-il pas à l’Etat ?
En principe, la faute revient à l’Etat, parce que c’est la Direction générale de l’enseignement supérieur qui contrôle et délivre l’agrément définitif. Malheureusement, la Dges n’a ni les moyens techniques ni humains pour pouvoir faire ce travail. Car dans l’agrément provisoire, il est bien notifié qu’après un an, un agrément définitif vous sera livré après évaluation de l’établissement. Désormais, cet agrément ne peut plus être donné par la Dges sans un avis favorable de l’Anaq-sup.
Il est obtenu après évaluation de l’établissement avec rapport concluant. Donc, si ces établissements sont restés longtemps sans agrément définitif, c’est, en partie, de la faute du ministère qui aurait dû contrôler et prendre les mesures idoines.
Mais, je pense que, pour cette année, au vu des demandes que nous avons déjà reçues (plus 100 demandes) et des programmes que nous avons enclenchés, les établissements ont pris conscience de ce danger de rester sans agrément définitif, car on peut les ester en justice. Il est illégal de délivrer des diplômes alors qu’on est un établissement non conforme en termes de législation et de réglementation.
Allez-vous les obliger à se conformer aux normes ?
On va aller même vers l’habilitation, c’est-à-dire leur demander de se soumettre à la procédure d’habilitation. Avec cette procédure, je pense qu’il n’y aura plus de problème, parce que toutes les écoles seront dans une perspective de se conformer à la réglementation.
Dans votre rapport, vous aviez également dit que la réforme Lmd semble poser problème. Est-ce à dire qu’on tâtonne depuis fort longtemps ?
Il y a beaucoup d’établissements qui n’ont pas compris ni l’esprit ni la pratique du système Lmd. Il y en a qui ne connaissent même pas le Lmd. Nos experts ont relevé, entre 2013 et 2014, dans le cadre des accréditations, que soit les maquettes des établissements n’étaient pas conformes aux textes du Lmd, tel que cela a été dit dans la loi ou dans les décrets, soit la répartition horaire, comme la distribution des unités d’enseignement, n’était pas cohérente, ou bien l’établissement n’appliquait pas le Lmd, mais avait mis le format Lmd sur des programmes d’études qui dataient de longtemps.
C’est pourquoi le Conseil scientifique a attiré l’attention du ministère dans une recommandation sur la nécessité de mener une étude pour savoir les raisons de cette mauvaise mise en œuvre du Lmd, de les corriger et de partager le format idéal dudit système.
Cela, d’autant plus que le Sénégal regorge d’experts pour le Lmd. Le pays a été un des grands animateurs du Reseao qui a défini les domaines du Lmd. Ensuite, les programmes d’études doivent suivre désormais, avec la nouvelle législation, des procédures de validation qui intègrent l’assurance-qualité.
Toutefois, l’assurance-qualité doit demander aux responsables du programme d’associer toutes les parties prenantes pertinentes pour la rédaction du curriculum, mais aussi de voir si ce curriculum respecte le format du Lmd qui est le nouveau référentiel de formation du Sénégal.
Les diplômes déjà délivrés par les établissements qui ne sont pas en conformité avec la législation et la réglementation seront-ils pris en compte dans les concours et la Fonction publique ?
Depuis le dernier décret de mai 2015, tous ceux qui avaient des diplômes répondant à certains critères, c’est-à-dire qui sont délivrés par des établissements agrées ou habilités et qui sont des diplômes reconnus par le Cames ou accrédités par l’Anaq-sup, peuvent faire les concours publics.
Ces diplômés peuvent aussi être recrutés dans la Fonction publique. Maintenant, dans une période de trois ans, les autres doivent se conformer à la nouvelle législation. Au-delà de cette durée, la nouvelle procédure va s’imposer à tous.