‘’DE L’INDÉPENDANCE À NOS JOURS, NOS GOUVERNANTS N’ONT PAS CRÉÉ DES POLITIQUES QUI PUISSENT VÉRITABLEMENT CRÉER L’EMPLOI’’
IBRAHIMA MBAYE, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION SÉNÉGALAISE DES PROFESSIONNELS DES RESSOURCES HUMAINES (ASPRH)
Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Ibrahima Mbaye, président de l’Association sénégalaise des professionnels des ressources humaines (Asprh), pointe du doigt les aspérités qui plombent les politiques d’emploi. Pour lui, les différents gouvernants du Sénégal n’ont jamais pu mettre en place des programmes qui peuvent véritablement créer l’emploi.
En termes d’emploi, comment jugez-vous la politique du Président Macky Sall après trois ans au pouvoir ?
Vous savez, il est difficile sous nos cieux de quantifier le nombre d’emplois créés. Vous avez des chiffres qui sont toujours balancés çà et là.
Des statistiques que je ne dirai pas fiables, mais qui reflètent la réalité. Il est difficile d’en avoir quand même. Parce que les emplois se créent, les contrats sont signés ou non dans nos entreprises qui font qu’il est difficile de les quantifier.
Ce sont des statistiques que nous avons au niveau de la direction de l’Emploi, au niveau de l’Inspection du travail. Mais les quantifier pour savoir combien d’emplois ont été créés, c’est difficile quand même.
En tant que professionnel des ressources humaines, le régime actuel est-il sur la bonne voie en matière de lutte contre le chômage ?
Je ne dirai pas s’il est sur la bonne voie ou non. Quand vous voyez les emplois qui sont créés, parfois on dit que ce ne sont pas des emplois, mais des stages. Vous prenez par exemple les Pcci ou les milliers de personnes qui y sont employés.
Vous avez les agents de sécurité de proximité, on vous dit que ce ne sont pas des salariés, mais des volontaires. Ces personnes sont rémunérées, mais est-ce que ce sont des emplois qui ont été créés ?
J’en doute fort quand même. Pour moi, un employer c’est celui qui a ses diplômes et qui rentre dans une entreprise avec un profil ou un fiche de poste, à qui on confie des tâches qu’il met en œuvre ?
Pensez-vous que la création des 300 mille emplois promis d’ici 2017 par le président de la République soit réalisable ?
Ecoutez quand vous prenez le Sénégal en entier, nous sommes 300 mille salariés à peu près ou plus peut-être, dont 240 mille constitués du secteur privé et 60 mille à 80 mille salariés du côté des fonctionnaires.
En tout, nous n’avons que 300 mille salariés sur une population active d’à peu près 10 millions d’habitants. Vous voyez le ratio comment il est assez faible.
En tout cas, les jeunes continuent de chômer. Finalement, quelle est la cause de ce problème ?
Il y a un problème d’employabilité qui est différent de l’emploi. C’est-à dire comment employer les jeunes dans les entreprises. Est-ce qu’ils sont employables et opérationnels. C’est ça le problème. Opérationnels en termes de qualification, de métier et d’occupation du poste.
Nous avons beaucoup de sortants des universités et des écoles de formation, mais qui n’ont jamais été présentés devant un directeur des ressources humaines, qui n’ont jamais fait d’entretien, qui ne savent même pas rédiger un cv, ni une lettre de motivation.
Pour moi, c’est le niveau de formation qui est assez faible parfois. Et nos sortants des écoles ne sont pas employables, ne sont pas toujours opérationnels quand ils terminent leur cursus à l’université.
A qui la faute, selon vous ?
Vous voyez les grèves récurrentes. A l’université, certaines facultés n’ont pas encore commencé les cours. Alors qu’au mois de mai on s’apprêtait à aller à la fin des examens. Vous voyez que jusqu’à maintenant ces problèmes continuent de se poser. La faute au gouvernement ? Je n’irai pas jusque-là.
Cependant, je dirai qu’il y a une volonté politique de l’Etat qui a en charge le problème de l’emploi et qui le résout quand même. L’Etat ne peut pas donner des emplois aux populations, mais crée les conditions d’employabilité, favorise la création d’entreprises pour créer de la richesse.
Est-ce que c’est actuellement le cas?
Je ne pense pas que cela soit le cas. Aujourd’hui, des entreprises ferment. Cela veut dire que des emplois sont perdus.
Quand vous faites la balance entre les entreprises que nous créons et celles qui ferment, vous voyez qu’il y a un déséquilibre pour les entreprises qui sont fermées. Ce sont des pertes d’emplois. Est-ce qu’elles ont été compensées ? C’est la question qu’il faut se poser.
Lors de la célébration des 40 ans de votre association, vous pointiez aussi une inadéquation entre la formation reçue par les étudiants et le besoin des entreprises...
Bien sûr, il y a une inadéquation entre l’offre d’emploi et le besoin de compétence. Elle est criarde. Les écoles de formation ont pratiquement les mêmes filières. Il y a des formations où c’est le Btp : ce secteur n’est pas encore saturé. Mais à la place, on entend les Transports logistiques, la Comptabilité, la Gestion.
Des métiers qui sont tellement saturés que les entreprises ne peuvent pas les employer. Mais vous allez dans d’autres métiers où on recherche des profils, on ne trouve pas. Il y a un déséquilibre.
Vous voyez comment faire l’offre d’emploi et le besoin de compétences. C’est tout un problème à résoudre. Maintenant, l’Etat a sa partition à jouer, nous aussi Association des ressources humaines, les étudiants et les formateurs également.
En matière d’emploi, est-ce que l’Etat vous associe dans les politiques ?
D’abord rien que voir la tutelle, c’est extrêmement difficile. Leurs portes nous étaient pratiquement fermées. On était en train de quémander pour être reçus alors que cela devait être le contraire.
Je pense que l’Etat devait nous ouvrir ses portes pour que de part et d’autre qu’on puisse réussir cette mission de création d’emplois. Malheureusement, on rencontre beaucoup de difficultés pour obtenir une audience au ministère de l’Emploi. C’est compliqué.
Quel est réellement l’objet de votre association ?
Elle aide la professionnalisation. On veut faire de sorte qu’il y ait une adéquation entre l’offre d’emploi et le besoin de compétence. On veut également faire en sorte que les étudiants des écoles de formation soient bien formés en vue d’être opérationnels. Parce qu’un problème d’opérationnalisation se pose.
Il y a des personnes avec un doctorat et qui ne sont pas bien formées, car elles ont reçu des formations théoriques. Vous savez l’entreprise, ce n’est pas de la philanthropie. C’est le capital, ce sont les richesses, le profit.
L’entreprise n’est pas là pour former. Elle est là pour trouver des étudiants qui sont formés afin qu’elle puisse les utiliser pour son développement.
Quelle est l’importance du directeur des ressources humaines dans l’entreprise ?
C’est la porte d’entrée et de sortie. C’est le noyau de la société. Quand on parle de ressources humaines, c’est les hommes. Ces derniers font tourner l’entreprise.
Quand vous arrivez, c’est le directeur des ressources humaines qui vous accueille, vous installe et vous donne votre fiche de poste, qui vous apprécie, vous évalue et vous suit dans votre formation et votre carrière.
Lorsque vous êtes licencié, démissionnaire ou parti à la retraite, c’est lui qui vous accompagne. Il est au début et à la fin de tout emploi dans l’entreprise.
Mais aujourd’hui, beaucoup d’entreprises n’ont pas de directeur des ressources humaines.
C’est un métier nouveau. C’est pendant les années 2000 que cela a commencé. Au début, c’était une gestion personnelle et administrative. Maintenant, la fonction a évolué.
Il y a une fonction sur la gestion des compétences, une fonction sur les carrières, sur les techniques de recherche d’emploi.
Cette fonction est très importante. Ce qui fait que je ne peux pas comprendre que certaines entreprises n’aient pas de directeur des ressources humaines. Alors que cela devait constituer le nœud dans la hiérarchie et dans l’organigramme des entreprises.
Comment comprenez-vous le fait que de l’indépendance à nos jours, la question du chômage des jeunes soit toujours d’actualité ?
C’est un problème universel. Je disais qu’au Sénégal, il y a 300 mille salariés en plus du secteur informel. Je pense que nos gouvernants n’ont pas créé des politiques qui puissent véritablement créer l’emploi.
C’est maintenant que petit à petit les entreprises essaient de se développer, de créer de la richesse, de faire des investissements. Mais cela ne suffit pas encore. Nous avons du chemin à parcourir.