‘’Il y a un décalage entre les attentes des Africains et les préoccupations des Américains’’
MARIE-ROGER BILOA, DIRECTRICE DU MAGAZINE AFRICA INTERNATIONAL
La Camerounaise Marie-Roger Biloa fait partie du demi-millier de journalistes accrédités pour la venue au Sénégal du président des Etats-Unis. Pour seneplus, la directrice du magazine Africa International décrypte le sens de la tournée africaine de Barack Obama et ses retombées pour le continent.
Obama débute par Dakar sa première tournée africaine. Pourquoi le Sénégal ?
Je voudrais d’abord signaler que les Etats-Unis ont une politique plus active vis-à-vis des pays anglophones. Il est donc remarquable qu’il soit venu au Sénégal, le premier pays africain francophone qu’il visite. C’est historique. Le Sénégal a une longue tradition d’amitié et de proximité avec les Etats-Unis. Obama est le troisième président américain à venir dans ce pays, après Bill Clinton et George W. Bush. Le Sénégal apparait aux yeux des Américains comme un pays africain francophone de longue tradition, mais qui est tourné vers l’Amérique aussi. C’est une prouesse. Les autres pays africains francophones regardent le Sénégal avec une forme d’envie parce qu’ils ont souvent l’impression qu’on ne peut pas se libérer de ce qu’ils appelaient le ‘’joug de la France’’. Qui est plus imaginé que réel. La raison du choix du Sénégal est donc d’abord symbolique. Deuxièmement, le Sénégal est un pays qui a connu plusieurs alternances. Un président américain ne va risquer de se compromettre en allant dans une dictature sanguinaire. Et troisièmement, le Sénégal a une très bonne image au sein de la communauté francophone. C’est un pays leader en termes d’opinion.
L’Afrique du Sud et la Tanzanie sont les prochaines étapes. Pourquoi ces deux pays ?
Pour l’Afrique du sud, je pense d’abord à Mandela. Le président Obama aurait aimé rencontrer Mandela de son vivant- je ne sais pas s’il va y parvenir. Mais au-delà de ça, l’Afrique du Sud, en tant que première puissance économique du continent, constitue une destination naturelle pour un président africain. L’étape de la Tanzanie, c’est sûr que c’est pour des raisons de sécurité. Ce pays a été le théâtre d’une attaque terroriste contre l’ambassade des Etats-Unis. Il constitue un bastion d’un certain type d’extrémisme religieux. Mais il ne faut pas oublier que la Tanzanie est aussi un pays démocratique, qui a réussi plusieurs fois l’alternance et présente des perspectives économiques extrêmement prometteuses.
Clinton a légué l’Agoa et Bush le Mca. Obama peut-il faire pour l’Afrique mieux que ses deux prédécesseurs ?
On l’attend sur cette question. Je suis fan d’Obama : on avait organisé une soirée électorale le jour de son élection. J’étais invitée par le Congrès à son investiture, j’étais à la deuxième. On espère qu’il fera autant, sinon mieux que ses prédécesseurs. L’une des attentes fortes de la visite d’Obama, notamment dans un pays comme le Sénégal, qui a réussi plusieurs fois l’alternance, c’est qu’il donne un coup de pouce un peu plus affirmé au processus de démocratisation. Quand Obama a été élu, il y avait eu des attentes démesurées, parfois irrationnelles, mais il y avait une constante : on se disait qu’au moins il allait pousser le processus démocratique sur le continent. Ce n’est pas le cas jusqu’à maintenant. Il lui reste encore quatre ans, on se dit qu’il va peut être le faire.
Exergue : ‘’Entre les Etats-Unis, la Chine, l’Europe…, les pays africains doivent choisir en fonction de leurs intérêts. Ce qui les oblige à avoir leur propre vision du développement.’’
La lutte contre le terrorisme, notamment au Sahel, constitue un point central de la visite d’Obama au Sénégal. Pourquoi ?
La lutte contre le terrorisme est une constante chez les Américains. L’Amérique a été traumatisée par les attentats du 11-septembre. Maintenant, pour faire plaisir aux Américains, il faut montrer qu’on mène une politique qui vise à défendre la sécurité des Etats-Unis. En Afrique, Al-Qaïda a élu domicile dans certaines zones avec la chute de Kadhafi. Al-Qaïda était déjà là, mais la situation s’est aggravée avec la crise en Lybie, qui a causé beaucoup de désordre. On a vu ce qui s’est passé au Mali et on a peur que ça se propage. Les Américains ont cette préoccupation sécuritaire, mais ce n’est pas la priorité des Africains. Il y a un décalage entre ce que les Africains attendent- développement économique, démocratie, les droits de l’homme- et les préoccupations des Américains, qui sont dominées par des considérations sécuritaires.
Au plan économique quels sont les pas qui peuvent être faits entre le Sénégal et les Etats-Unis?
Les dossiers économiques entre les Etats-Unis et le Sénégal ne sont pas aussi importants qu’ils peuvent l’être avec, par exemple, les pays du Golfe, l’Egypte ou même le Nigeria. Je crois que cette visite, c’est surtout une façon de saluer le processus de démocratisation au Sénégal. Obama n’aimerait pas qu’un fil soit rompu. Il a beaucoup fait attention à ne pas apparaître comme un président qui, parce qu’il est d’origine africaine, va favoriser l’Afrique au détriment des intérêts américains. Du coup, il en a fait un peu moins que ses prédécesseurs. Maintenant qu’il n’a pas plus le souci d’une réélection, l’espoir est que ce deuxième mandat soit celui de la libération des énergies vis-à-vis de l’Afrique.
Obama arrive en Afrique dans un contexte où le continent est le théâtre d’une rude concurrence entre l’Europe, la Chine et les autres pays des Brics. Comment doivent se positionner les pays africains pour tirer le meilleur profit de la situation ?
Les Africains pensent qu’il faut passer d’une allégeance à l’autre. On est des pays souverains, on a des partenariats divers et variés. On doit regarder en fonction de nos intérêts. Ce qui nous oblige à avoir notre propre vision du développement.