‘’JE NE SUIS PAS VENU ICI POUR APPAUVRIR DES GENS’’
GILBERT KHAYAT, L’HÉRITIER DES TITRES FONCIERS
Fils de Ibrahim Khayat, le promoteur du «Ranch de Ouassadou» (Rdo Sarl) revendique les titres fonciers qu’il a hérités. Toutefois, Gilbert Khayat assure qu’il veut travailler avec les populations et qu’il n’est pas venu pour faire la guerre.
M. Khayat, comment avezvous acquis les titres fonciers que vous revendiquez et qui font l’objet de litige ici à Wassadou ?
Les titres fonciers appartenaient à une société qui faisait dans la culture de sisal. Cette société a fait faillite en 1955. Elle a été vendue aux enchères par appel d’offres en 1958. C’est là que mon père a racheté les titres fonciers (Il brandit les documents).
Lorsqu’il s’est installé ici au début des années 1960, il a introduit des variétés d’arachide de bouche qui servent aujourd’hui à faire des arachides salées et grillées pour les apéritifs. On ne retrouve plus cette variété au niveau local.
C’est vrai que ces titres fonciers ont fait couler beaucoup d’encre et de salive. Il y a eu beaucoup d’équivoques jusqu’au 27 mars 2013 où, contre toute entente, dans la surface couverte par le pivot d’irrigation, on a été frappé par un arrêt préfectoral nous interdisant de travailler dans nos titres fonciers alors qu’on en emploie une infime partie.
Mais le seul fait de travailler sur les 40 ha, on est frappé d’interdiction. J’ai donc déposé un pourvoi au niveau de la Cour suprême qui a cassé cet arrêt (il sort le document). Chaque année, nous revenons sur le site en investissant dans du nouveau matériel parce que je crois fondamentalement à ce projet.
Nous sommes dans la région de Tambacounda et vous êtes plus informé que moi qu’il y a énormément de ressortissants de cette zone à Dakar. L’objectif est de créer un pôle de production de façon à ce que la jeunesse se maintienne sur place et ceux qui sont partis reviennent.
J’ai fait énormément de démarches parce que pour pouvoir intéresser les populations, il faut faire des choses à grande échelle. Chaque année, j’essaie de cultiver, mais on m’empêche de travailler.
Qui vous empêche de travailler ?
Vous avez un groupuscule dans toute la population qui fait plus de 3 000 personnes, qui s’est installé avec le temps sur les titres fonciers, qui est prêt à utiliser la machette, à se faire entendre et à bloquer les tracteurs. Plusieurs plaintes ont été déposées au Tribunal de Tambacounda.
Depuis 2011, elles n’ont pas été traitées. En juillet 2014, nous avons informé les populations que nous allons cultiver 500 ha et nous allons démarrer avant la pluie. Ce groupuscule est sorti et a cassé deux tracteurs. La gendarmerie est arrivée au moment où ils s’apprêtaient à mettre le feu aux tracteurs.
Depuis six ans que nous sommes ici, personne ne peut dire que j’ai demandé aux gens de quitter les titres fonciers. En aucun moment ! Bien au contraire, je les ai toujours encouragés à venir travailler en partenariat avec nous.
Ces gens ne sont pas les personnes essentielles. Ce sont ceux qui sont derrière qui faussent les problèmes. Quand ils ont cassé les tracteurs en juillet 2014, le jugement a eu lieu le 7 août 2014.
Nous avions pris la précaution de filmer les agitateurs de manière qu’au Tribunal, il n’y ait pas de possibilité de contestation des actes de vandalisme et des voies de fait sur le personnel. Le Tribunal a jugé. Ces personnes ont fait appel et elles ont été à nouveau condamnées par la Cour d’appel de Kaolack. Elles ont été condamnées à des remboursements et à des peines de prison.
Il y a quelques jours, nous avons été arrêtés (L’entretien a eu lieu le 23 mai 2015). Notre technique est d’ouvrir le sol avant la pluie pour pouvoir emblaver entre 300 et 500 hectares sans difficulté. On s’est équipé pour pouvoir semer entre dix et quinze hectares par jour. Nous avons commencé dans l’emprise du pivot. Et là, la même équipe est revenue à la charge pour nous dire de ne pas dépasser notre limite.
Le sous-préfet est venu s’adresser aux expatriés pour leur dire qu’ils sont Français, qu’ils n’essaient pas d’aller plus loin, car s’ils sont frappés, il y aura personne pour les défendre. Quand ils m’ont appelé, je leur ai demandé d’arrêter les tracteurs, car nous ne sommes pas là pour faire la guerre. Le sous-préfet est venu avec le commandant de brigade de Dialacoto pour remonter l’information plus loin.
Et on a arrêté. Donc, malgré toute l’avance qu’on a voulu prendre, année après année, on retombe dans le même processus de sabotage. Je veux investir 1,8 milliard de francs Cfa. Depuis six ans, je n’ai pas dépassé 600 millions de francs Cfa.
Je n’ai pas recouru à l’emprunt bancaire pour mes investissements. Je les fais avec mes fonds propres. C’est la meilleure preuve que je crois à ce projet et à son aboutissement en tant que pôle de développement régional. Et personne ne pourra m’enlever cela de la tête. Cela fait six ans qu’on m’empêche d’avancer, mais j’y arriverai.
Les populations disent que vous les déplacez de leurs villages et de leurs zones de culture. N’est-ce pas le cas?
Ce sont des titres fonciers. Sur le plan juridique, c’est des titres inaliénables et inattaquables. Mettons cela de côté. Les gens se sont installés un peu en désordre. Quand ils s’installent sur un lieu près d’un village important, ils ne viennent pas se coller au village, mais à 200m de façon anarchique.
Donc, ils étendent la surface des villages. Nous avons proposé aux autorités un remembrement des villages. C’est-à-dire qu’on prenne une partie des titres fonciers, qu’on recrée une zone de vie pour qu’ils ne soient pas loin de leurs lieux d’origine et qu’on puisse développer l’irrigation pour la culture de contre-saison.
Quand les villages sont créés de façon anarchique, on ne pourra pas installer un système d’irrigation. C’est ça l’idée et non pas de les faire déguerpir. Cette partie fait 140 ha et elle est destinée à leur installation. Cela a été proposé aux autorités par courrier.
Les populations disent qu’elles ont été sorties du parc et réinstallées ici par les autorités du pays. Qu’en pensez-vous ?
C’est impossible. Si l’Etat respecte sa Constitution, il ne peut pas les installer dans un titre foncier. Comment cela est-il arrivé ? Je ne le sais pas. Maintenant, si l’Etat veut m’exproprier de mes terres, il y a une procédure qui doit être suivie.
Or, il y a suffisamment de places ici pour ne pas installer des populations dans des titres fonciers. L’Etat sait ce qu’il fait. Il est cependant possible qu’il y ait eu des erreurs d’appréciation de la part des cadres qui ont fait remonter l’information à leur hiérarchie.
Mais je ne peux en jurer parce que je n’étais pas là à ce moment. Si c’était le cas, est-ce que l’Etat nous aurait rétablis dans nos droits ? Droits que nous n’avons jamais perdus. Depuis la sortie de l’arrêté préfectoral, aucune autorité n’est venue parler à la population. Je comprends qu’il y ait eu des problèmes sociaux de tout ordre.
Mais nous sommes là en train de travailler et on nous l’empêche. Il est important d’arriver à une synergie qui est constructive. Je suis persuadé que s’il y a des villageois qui se sont opposés, ils sont extrêmement faibles. Le projet génère de la main-d’œuvre. Ce n’est pas en bloquant chaque année qu’on va le démarrer.
Pourquoi avez-vous jugé nécessaire de détruire la plantation de mangues des femmes du village pendant que vous voulez une synergie constructive ?
C’est très simple. J’ai importé ce pivot d’irrigation. Il fait 40 ha et son rayon est incompressible. Il me faut donc passer là où je peux passer. L’installation anarchique des gens fait qu’on ne peut pas disposer de système d’irrigation. Lorsqu’on a installé le pivot, on a mordu des manguiers et on les a enlevés et pas tous.
De plus, les gens ont créé une bananeraie sur les titres fonciers pour fouiner davantage sur le système d’irrigation. Qu’est-ce qui intéressent les gens ? C’est travailler trois mois ou huit à dix mois dans l’année ?
La réponse est trouvée. Mais pour cela, il faudra me permettre de développer le système d’irrigation. Il me semble que la nouvelle équipe veut régler ce problème. La solution se trouve entre les mains de l’Etat. Par rapport à la légitimité, je ne suis pas venu ici pour appauvrir des gens.
Il n’empêche qu’entre 2012 et 2013, vous avez refusé que des pistes de production traversent vos titres fonciers. Pourquoi étiez-vous opposé à ce projet ?
Affirmatif ! Quel que soit le protocole, il faut être en conformité avec la loi. A partir de 1975, le parc décide de déborder sur le titre foncier. C’est un décret présidentiel. Mais puisque c’est un titre foncier, le parc n’a rien à faire ici parce qu’il n’y a pas la procédure juridique normale. On ne peut déposséder quelqu’un et ne rien dire.
La loi dit que si vous voulez prendre ces titres, il faut compenser. Là-dessus, on m’a convoqué dans un Crd (Comité régional de développement) à Tamba il y a trois ans pour m’informer d’une piste qui part de la route jusqu’à la bananeraie, puis à Laboya.
S’il y a des pistes à faire dans mes terres, je vais les faire moi-même. Mais je ne peux pas accepter que des gens aillent se faire financer des pistes sur mes titres fonciers. Je ne l’accepterai pas parce que c’est une violation de domicile.
PROPOSITION DE L’ETAT
‘’Voulez-vous une soulte ou une expropriation ?’’
En 2012, le litige foncier de Wassadou a atterri au bureau de Abdoul Mbaye, Premier ministre à l’époque. Convoqué pour trouver une solution au différend, Gilbert Khayat a dû recevoir des propositions venant du ministre du Budget d’alors Abdoulaye Daouda Diallo. «Voulez-vous une soulte ou une expropriation ?», lui a demandé le ministre.
Cette question montre que l’Etat est dans une dynamique de protéger les intérêts des communautés qui évoluent sur les titres fonciers en question. Mais le propriétaire n’a pas trouvé intéressant d’accepter une soulte. Quant à l’expropriation, c’est à l’Etat d’en décider, selon lui.
Dans ce cas, le gouvernement devra assumer toutes les conséquences relatives à l’indemnisation de la victime. En droit, la soulte est la somme d’argent qui doit être payée par celui qui, à l’occasion du partage d’une indivision, reçoit un lot d’une valeur plus élevée que celle à laquelle ses droits lui permettent de prétendre.
Il en est de même en cas d’échange, si les choses échangées ont des valeurs différentes. Présent à cette rencontre initiée par la Primature, Youssou Diaw assure que la délégation du Premier ministre leur avait recommandé de continuer à vaquer sereinement à leurs occupations habituelles sur le site revendiqué par M. Khayat en attendant le règlement définitif du contentieux.