‘’LA CONCURRENCE N’A PAS EMPÊCHÉ À SOCOCIMET CIMENTS DU SAHEL D’INVESTIR’’
ALY NGOUILLE NDIAYE, MINISTRE DES MINES ET INDUSTRIES
En marge d’une cérémonie d’hommage à des ressortissants du Djolof en général et de Linguère en particulier, qui se sont distingués par leurs mérites sur le plan académique et universitaire, le ministre des Mines et de l’Industrie Aly Ngouille Ndiaye s’était exprimé sur des questions concernant son département ministériel. Parlant aussi bien des difficultés du secteur que des succès remportés, le ministre indique les défis qu’il lui faut surmonter.
La cimenterie Sococim a porté plainte contre l’Etat du Sénégal, auprès du Tribunal arbitral de la Banque mondiale, pour avantages léonins accordés à Dangote et qui fausseraient la concurrence. Comment appréhendez-vous cette affaire ?
Dangote était déjà lancé quand le Président Macky Sall venait au pouvoir, à la limite, l’usine était déjà construite quand nous venions au pouvoir. Sococim considère que nous avons donné à Dangote des avantages qu’eux n’ont pas eus.
Je pense que quand on ira dans le fond on se rendra compte que ce n’est pas forcément évident, ce qu’ils disent. Car certains de ces avantages que Sococim nous reproche d’avoir accordés – et je précise que c’était sous l’ancien régime, car nous n’avons rien signé de neuf...
Mais il y a la continuité de l’Etat...
... Oui, et c’est pourquoi je dis que je l’assume. Mais c’est quand même bon de préciser qu’il n’y a rien de neuf. Ils reprochent à l’Etat du Sénégal d’avoir accordé des avantages à Dangote, et nous démontrerons au Tribunal arbitral que Sococim a eu aussi à bénéficier des mêmes avantages en son temps. Ce sont des choses qui sont documentées.
Au-delà du fait que c’est la continuité de l’Etat, pensezvous personnellement que c’était une bonne chose d’ouvrir encore le secteur à un autre exploitant du ciment, alors que l’on dit que la production du Sénégal dépasse de loin les capacités d’absorption du pays ?
Ceux qui avancent cela n’ont pas d’argumentaire économique. D’abord, Sococim est là depuis des décennies, et on avait l’habitude de connaître des ruptures de stocks de ciment. Il y a eu également beaucoup de pointes sur les coûts.
Il y a eu beaucoup de batailles lorsque Les Ciments du Sahel sont venus, mais je pense que les consommateurs sénégalais ont vu aujourd’hui que les impacts positifs sont beaucoup plus importants avec l’implantation des deux cimenteries.
Et mieux, si l’on parle de saturation de l’offre, ces deux cimenteries à elles seules produisaient déjà plus que les besoins du Sénégal. Mais cela ne les a pas empêchés de continuer à investir.
Cela veut dire qu’ils mettent un plus pour exporter, puisque le marché est déjà saturé. Donc, si un troisième opérateur vient, il pourrait participer de cette même logique ! Il investit, et écoule sur place ce qu’il peut ; le reste est envoyé sur le marché sous-régional, et pourquoi pas, jusqu’en Afrique centrale, parce que le besoin de ciment se fait sentir partout, l’Afrique ayant besoin de se construire. Il ne faut pas voir le marché sous l’angle du Sénégal uniquement.
Car, si cela était effectivement le cas, la Sococim n’allait pas investir plusieurs milliards dernièrement, ni Les Ciments du Sahel. Et si ces deux cimentiers investissent, cela peut justifier que quelqu’un d’autre vienne.
Et qui sait, peut-être même que quelqu’un d’autre viendra encore, si c’est dans l’intérêt du pays ! On ne peut à ce niveau, interdire à un investisseur de venir, si c’est dans l’intérêt du pays !
On entend souvent les industriels nationaux se plaindre des difficultés qu’ils connaissent dans leurs secteurs. Cela pousse à demander ce que l’Etat pense faire pour sortir le tissu industriel du pays de son carcan de difficultés.
C’est vrai, l’industrie connaît des difficultés. Je pense que la principale difficulté est aujourd’hui, la concurrence déloyale. J’ai tenu dernièrement un comité consultatif sur l’industrie, qui a démontré que certains de nos industriels n’arrivent pas à écouler leurs produits parce que les coûts des matières premières sont plus élevés que certains produits finis vendus sur place, au-delà des problèmes de qualité. C’est une question sur laquelle la réflexion est en cours, pour voir ce qu’il faudrait faire.
L’autre problème de l’industrie est le coût des facteurs de production. L’électricité coûte cher au Sénégal. Et les industries sénégalaises sont souvent en compétition, pour leurs produits, avec d’autres industries sous-régionales, sur des mêmes marchés. Or, ces concurrents ont des coûts de facteurs beaucoup moins élevés. Ainsi, l’électricité au Sénégal est beaucoup plus chère qu’en Côte d’Ivoire.
L’eau également, est un problème pour les industriels. Il y a donc ainsi de la matière, pour voir comment réduire les coûts de production dans l’industrie, afin de rendre nos industriels plus compétitifs. Je pense que si on parvient à résoudre ce problème des coûts de production, ainsi que celui de la concurrence déloyale, on peut vraiment faire de notre industrie le moteur de croissance qu’il doit être dans le cadre du Pse.
C’est pourquoi d’ailleurs le Président Macky Sall est en train de faire des choses extraordinaires, qui n’ont jamais existé dans ce pays. Depuis longtemps au Sénégal, il n’y a pas de parc industriel. Si des investisseurs voulaient s’installer maintenant, tout de suite, dans ce pays, on ne pourrait leur dire de le faire à tel ou tel endroit, parce qu’il n’y a pas de réceptacle.
C’est difficile pour un investisseur qui veut délocaliser une entreprise, de venir s’installer chez nous. Même les gens qui sont là ont des difficultés pour s’installer. Vous connaissez toutes les difficultés pour acheter un terrain, avec toutes les tracasseries qui vont avec, et qui n’encouragent pas les industriels. C’est pourquoi le Président a dit que, dans le cadre du Pse, nous allons créer des pôles industriels.
Ainsi, les gens qui veulent créer des industries, viendront déjà trouver un espace dédié, et à la limite, ils feront du «plug and play (Prêt à utiliser. Traduction libre. Ndlr)». Dans beaucoup de pays avec lesquels le Sénégal est en compétition, les gens ne perdent pas de temps à chercher des autorisations. Ils se contentent, en un point, de chercher comment avoir l’eau, l’électricité et l’assainissement.
Une fois ces trois réunis, les machines peuvent se mettre à tourner. C’est ce que nous essayons de faire avec le Parc industriel de Diamniadio, que nous avons démarré et qui, si Dieu le veut, sera achevé dans les trois prochaines années.
Déjà, à la fin de l’année nous aurons quelques bâtiments de disponibles, mais surtout, d’ici le mois de mars prochain, les dix premiers hectares, sur les cinquante prévus, seront prêts à l’emploi. Et nous voulons, d’ici 2020, avoir au moins trois autres parcs industriels à travers le pays.
Et il y a urgence ! Savez-vous qu’il y a une usine chinoise qui voudrait déjà s’installer, et créer 500 emplois ? Ils voudraient venir s’installer dès le mois de juillet. Malheureusement, je ne peux leur garantir un terrain fonctionnel d’ici le mois de juillet. Bien que je pense pouvoir le faire en octobre. C’est une entreprise textile chinoise, qui est déjà présente au Rwanda. La Chine veut exporter 85 millions d’emplois, et elle cherche des pays d’accueil. Il y a beaucoup de critères.
Dans l’ensemble, nous nous positionnons bien. Et nous sommes encore en meilleure position pour des entreprises qui cherchent le marché américain ou européen. Aujourd’hui, Dakar est à 6 heures de vol, et à peine à quelques jours de bateau de l’Europe. Ce sont des facilités d’accès que l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud n’ont pas.
Nous sommes le point africain le plus proche des Etats Unis. Ce sont des avantages que nous voulons cultiver. C’est vrai que pendant des années, l’industrie a été le parent pauvre de nos politiques économiques. Mais dans les mois et années à venir, on sentira plus le changement dans ce secteur.