‘’LE VAISSEAU-AMIRAL DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, C’EST LA SATIRE’’
IBOU FALL, JOURNALISTE, FONDATEUR DU P’TIT RAILLEUR SÉNÉGALAIS

Longtemps resté sans un satirique, le paysage médiatique sénégalais vient de s’enrichir avec la venue du P’itit railleur sénégalais. Son promoteur, Ibou Fall qui, par le passé, a fondé d’autres satiriques, nous explique son projet, sa ligne qui ne s’accommodera nullement des conventions ni des convenances. Mensuel vendu à 1000F, Le P’tit railleur sénégalais sort dans les kiosques le 20 de chaque mois. Un journal que vous lirez en exclusivité sur www. seneplus.com. Selon Ibou Fall, il n’y aura pas de tabou dans ce journal. Homme politiques, marabouts, stars, tous figureront dans les colonnes de ce canard parce que, dit le promoteur, ‘’la liberté d’expression n’est pas un droit, c’est un devoir’’.
D’où vous vient encore l’idée de lancer ‘’Le P’tit railleur sénégalais’’ quand on sait que par le passé, vous avez créé d’autres satiriques qui n’ont pas survécu?
J’avoue que c’est la suggestion de beaucoup d’amis. Ça fait quelques années qu’on me demande de créer un satirique. Mais je dois à la vérité de dire quand même que depuis mes lectures de la bande dessinée, j’ai été influencé par le style de la satire. Dans mon style d’écriture, il y a toujours un peu d’ironie, ça raille. Je pense que c’est une inclination naturelle, que j’ai contractée durant les lectures de la bande dessinée. Parce que quand vous lisez de la BD, les dessins, les textes, tout est décalé, déformé. C’est cette habitude qui fait justement qu’après, on a cette inclination naturelle à toujours mettre de l’ironie, de l’humour dans nos textes.
L’autre chose c’est que j’ai un peu suivi l’aventure du Politicien (ndlr : le premier satirique au Sénégal). J’ai connu Mame Less Dia à l’époque, et surtout l’un de ses collaborateurs qui a été un beau-frère. J’ai également un peu travaillé trois mois au Cafard libéré, au début de ma carrière. Donc je n’ai jamais vraiment été détaché de la presse satirique.
C’est le énième satirique vous créez ainsi. C’est quoi la différence entre le P’tit railleur avec les autres journaux que vous aviez lancé auparavant?
Maintenant j’ai décidé de faire un journal sans trop de contraintes parce que j’en ai créée des journaux. Ils qui ont tous disparu. Peut-être que c’est la méthode qui n’était pas la bonne, une entreprise avec ses contraintes, ses exigences. Je ne suis peut-être pas fait pour ça. Mais avec Le P’tit railleur vraiment, je fais un journal qui n’est pas une entreprise. Pour moi, c’est une sorte d’exercice intellectuel, mensuel qui me permet quand même d’exercer ma tête, d’écrire parce que c’est mon métier aussi, et sans autre ambitions que cet exercice intellectuel mensuel. Le lien entre ce journal et les chroniques que j’ai toujours écrites qui s’appelle ‘’Les Sénégalaiseries’’ est certain parce que ce sont des satires sociales, des essais satiriques sur la société, sur la scène politique.
Comment est ce que le journal a été accueilli par le public ?
Ce dont je suis a peu près certain, c’est qu’il y a quand même eu une réaction des confrères qui ont salué sa venue (Le p’tit railleur senegalais) Que ce soit des confrères de la presse locale ou la presse internationale, tous qui trouvent que c’est un concept qui manquait au paysage médiatique. Ça, c’est déjà un succès d’estime. L’autre challenge, c’est quand on vous retournera vos ventes. Vous verrez que les chiffres ne mentent pas. Si pour un premier numéro, on a fait un bon score, ce sera encourageant pour la suite. Maintenant, Il faut attendre le verdict des lecteurs parce qu’après tout c’est eux qui décident de la survie ou de la disparation d’un journal de ce genre.
‘’Le succès d’un journal ne dépend pas souvent de sa qualité’’
Des journaux satiriques, il y en a eu depuis des années 70 et même jusqu’à une époque récentes. Mais tous ont disparu. Comment comptez-vous garantir la survie du P’tit railleur sénégalais ?
Ah ! Il n’y a aucune garantie hein ! Il y a que juste l’accueil du lectorat qui dépend juste de la qualité de ce qu’on produit. Toujours est-il qu’on peut produire un excellent journal qui est mal accueilli ou ignoré par le public. Le succès d’un journal ne dépend pas souvent de sa qualité. C’est juste qu’il corresponde à un besoin. C’est le marché qui décide. Il n’y a aucune garantie. Mais ce n’est pas parce qu‘on n’a pas la garantie de réussite, de succès qu’il ne faut pas entreprendre. Je pense que nous notre devoir, c’est d’entreprendre. Maintenant que ça réussisse ou que ça ne réussisse pas, on fera notre travail. On entreprendra. Ca donnera ce que ça devra donner.
Le P’tit railleur sénégalais échappera-t-il au politiquement correct ?
Ah non non non ! Nous on n’a pas l’ambition d’être dans les conventions, dans les convenances. Au contraire. Je le dis souvent le vaisseau-amiral de la liberté d’expression, c’est la satire parce même sur les sujets délicats, quand on sait mettre les railleurs de son coté, on peut parler de tout. Nous sommes aujourd’hui dans une société qui a tendance, à mon sens, à faire reculer les libertés individuelles, sur les questions qui ont trait un peu à la religion par exemple. Depuis quelques temps, à force de dire que nous sommes 95% de musulmans, la société a tendance à se raidir dans une posture religieuse, alors que même si il y a que a 5% de non musulmans, il y a des des chrétiens, des animistes, il y a des athées, les témoins de Jéhovah, peut-être des bouddhistes, tout ce qu’on veut . Rappelez-vous que récemment on brulé les temples... Les homosexuels sont jetés en prison par exemple. Nous sommes en train de vivre une période de raidissement des mentalités. Et c’est peut-être ça l’alerte qu’un journal comme ça peut sonner en disant aux gens : ‘’Il ne faut pas exagérer.’’Je pense qu’il y a une sorte de dérives de l’esprit autoritaire qui peut après se répandre dans les autres secteurs parce qu’une fois qu’on accepte d’être soumis à un ordre même injuste, on accepte tout le reste. C’est-à-dire que ça commence par les marabouts et les prêcheurs, ensuite suivront les politiciens qui vont nous dire : ‘’c’est de ça qu’il faut parler et pas de ça’’, puis les sportifs vont, à leur tour nous dire : ‘’il faut nous supporter, être de notre côté quelque soit notre prestation parce que nous sommes l’équipe national’’ et ce, même s’ils font des conneries. On n’est pas d’accord ! On est là pour dire qu’on n’est pas d’accord.
Un journal ne peut pas survivre facilement sans la publicité. Sur ce plan comment allez-vous vous battre ?
Ah non un satirique n’est pas fait pour la publicité. Les annonceurs n’aiment pas trop s’afficher aux cotés d’iconoclastes, de mal pensants. Il y a plutôt souvent des militants de cet esprit là. Il s’agit des lecteurs, des abonnés qui vont plutôt faire vivre ce journal. Les gens vont dire par exemple : ‘’moi je prends ce journal, je vais m’abonner pour un an’’, ‘’je vais en prendre 10 et les distribuer’’. C’est ça peut-être la chance de suivie de journal. Ou bien spontanément, un lecteur tous les mois va dire : ‘’ce journal, je l’achète et je l’achète régulièrement.’’ Donc il y a que ces personnes qui peuvent garantir la survie de ce journal. Mais je ne vois pas un annonceur qui va chercher à soutenir un journal qui caricature le président de la république, les marabouts, l’establishment.
Comment comptez-vous parlez facilement des marabouts sans heurter les consciences et ne pas vous attirer la foudre ?
Le problème c’est qu’eux nous heurtent tous les jours. Nous sommes d’égale dignité. Ils disent des choses qui nous heurtent n’y a pas de raison que nous ne les heurtions pas de temps à autres parce que eux aussi nous heurtent. Moi, les déclarations que j’entends et leur façon de faire, parfois m’indignent. Alors s’ils s’en foutent, moi qu’est-ce que vous voulez que je fasse aussi de leur opinion quand je dis des choses auxquelles je crois et qui ne les plaisent pas ?
Mame Less qui avait été le porteur du Politicien et Babacar Diop de Promotion s’étaient touts retrouvés en prison. Pensez-vous que cela ne risque pas d’arriver aujourd’hui parce que l’époque n’est plus la même du point de vue de l’évolution démocratique ?
‘’La liberté, ce n’est pas un droit, c’est un devoir’’
Les questions de prison et autres ne sont pas une question d’époque. C’est une question de circonstance. Même dans un siècle, il y des gens qui seront trainés en justice pour diffamation. Ca n’a rien à avoir avec une époque. C’est juste que chacun fait son métier comme il l’entend et il doit l’assumer. Maintenant, le contexte fera qu’il y aura des réactions, violentes ou pas. Mais ça ne doit pas empêcher quelqu’un qui fait son travail de le faire consciencieusement. A mon sens, la liberté ce n’est pas un droit, c’est un devoir. Ce sont les libertés qu’on lèguera à la prospérité qui feront qu’elle en jouira. Si nous laissons aux autres générations une société sclérosé, cantonnée dans des débats juste autorisés par l’establishment : que ce soi les religieux, que ce soit les hommes politiques, nos descendants n’auront plus aucune liberté. Nous ce qu’on doit faire, et ca c’est un appel à tous les sénégalais, c’est de s’autoriser à toutes les libertés. Quand je dis les libertés, c’est vraiment la responsabilité ultime, soi-même être responsable de ce qu’on dit, de ce qu’on fait et l’assumer. C’est ça qui fera que nous nos enfants pourrons vivre librement. Si vous acceptez de vivre un esclave, votre enfant naitra fils d’esclave et sera esclave et votre petit-enfant aussi. Si vous êtes un homme libre, votre enfant sera un homme liber, votre petit enfant aussi. Maintenant ça a un coup, heurté des gens, se faire des ennemis, être peut-être jeté en prison, même assassiné. C’est tous les jours qu’on entendu journaliste assassiné dans le monde. Il n’ya pas d’exception. Il n’y a pas de pays exceptionnel. C’est le destin de chacun et il faut l’assumer.
Comment voyez-vous l’avenir la presse sénégalaise à l’ère du numérique ?
C’est clair que l’ordinateur, l’internet est en train de dévorer du papier. C’est du vraiment des vrais papivores. Mais ce n’est pas demain la veille. Je pense qu’on a encore du champ devant nous. En étant optimiste, on peut se donner encore une décennie pour le papier. Mais c’est clair que la reconversion dans le numérique la plus tôt sera la meilleure.