‘’LES JARAAF DISTRIBUENT LES TERRAINS SANS AUCUNE BASE LÉGALE’’
AMADOU GUÈYE, MAIRE DE NGOR
Le maire de la commune de Ngor dénonce la violence utilisée par les membres du collectif Taanka des villages de Ouakam, Ngor et Yoff qui réclament la restitution des 846 hectares de l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Dans cet entretien réalisé dans son bureau, Amadou Guèye, qui dit avoir participé aux réunions dudit collectif, informe qu’à l’intérieur de cette structure, les gens ne parlent pas le même langage. Vêtu d’un boubou traditionnel de couleur beige, M. Guèye, très en verve, critique les Jaraaf qui «se permettent de distribuer des terres sans aucune base légale». D’après lui, ils sont contestés dans tous les trois villages.
Récemment, des jeunes de Yoff et Ouakam, dont certains sont issus de votre commune, ont violemment manifesté pour réclamer la restitution de 846 hectares de l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Qu’en pensez-vous en tant que maire?
Déjà, pour commencer, c’est un fait que je regrette énormément. J’ai eu à appeler les vieux du village à la mosquée pour qu’on discute de cette question, qu’on parle aux jeunes. On a le droit de demander, mais il faut le faire avec la manière.
Quand on demande quelque chose, on y met la forme. Le droit de demander ne les autorise pas à casser le bien d’autrui. Et, je voudrais qu’on ait une autre image du village de Ngor. Les 3⁄4 de ces jeunes qui ont manifesté sont de Ngor.
D’ailleurs, les bombes lacrymogènes ce n’est ni Ouakam ni Yoff qui les ont reçues. Elles ont été lancées aux habitants de Ngor. A l’heure de la prière de l’après midi et du soir, les vieux du village ne pouvaient pas quitter leur domicile pour aller à la mosquée du fait de l’ampleur des événements qui ont opposé les Forces de l’ordre et le collectif des jeunes.
Aujourd’hui, il n’y a aucun Yoffois ou Oukamois qui est venu s’enquérir de la situation. Sous ce rapport, pourquoi voulez vous que j’aille porter les doléances des villages de Yoff et Ouakam auprès du Président Macky Sall? Je ne le ferai pas. Par contre, je plaide en faveur de Ngor.
Pourquoi vous vous refusez de parler au nom des villages de Ouakam et Yoff ? Pourtant, les manifestants disent qu’ils mènent une cause collective. Vous ne vous retrouvez pas dans leur démarche?
Personnellement, j’ai eu à participer aux réunions du collectif pour le compte des trois villages. Et, je déplore le fonctionnement du collectif parce qu’il est traversé par beaucoup de divisions à l’intérieur. Donc, je ne vais pas perdre mon temps sur quelque chose qui ne va pas aboutir.
Il n’ira nulle part. En dehors de Ngor, les habitants de Ouakam et Yoff n’émettent pas sur la même longueur d’onde au sein de Taanka. Ils n’ont pas d’interlocuteur crédible. C’est la raison pour laquelle, je considère qu’ils ne sont pas sérieux dans leur démarche. Et moi, j’ai appris à être pragmatique. Je ne suis pas prêt à suivre des gens qui vont dans tous les sens.
D’après ce que vous avez constaté, la revendication du collectif est-elle légitime?
Oui, je dis, comme tout bon Sénégalais, la forme n’est pas bonne. Les manifestants réclament la zone de recasement située au niveau du site de l’aéroport. Elle est destinée aux populations des trois villages. Sur place, nous avons constaté qu’on construit des murs pour diminuer la surface de l’aéroport. Donc, nous, en tant qu’habitants du village de Ngor, nous réclamons notre part parce que, à la base, ce terrain nous appartenait.
Malheureusement, aujourd’hui, on donne ces terres à n’importe qui, à des marabouts. Au moment où les gens sont en train de vendre les terrains du site, nous, qui sommes les propriétaires, nous ne disposons pas d’espaces suffisants.
Et nous sommes là depuis les années 1800. La commune de Ngor ne dispose pas de centre culturel, de centres de formation, les jeunes sont désœuvrés. Si on ne s’occupe pas d’eux, ça risque de nous coûter très cher. Et, c’est valable pour tout le Sénégal.
Le problème du foncier est un fait réel au niveau de votre commune. Comment l’expliquez-vous ?
C’est vrai que nous avons un problème récurrent de terres. Tout le monde veut habiter dans la zone de Ngor. Les gens sont venus en masse. C’est ce qui fait que nos réserves foncières sont épuisées.
Et ça pose un réel problème à la commune qui compte 13 mille habitants. Nous n’avons pas de lycée, alors que les autres communes environnantes en disposent. Dans le village, les gens habitent les uns sur les autres. Tout cela est relatif au problème foncier à Ngor.
En outre, il y a des gens qui viennent spéculer ici, prendre des terres et les vendre sans que la commune en bénéficie. Le problème foncier ne date pas d’aujourd’hui dans notre commune. Contrairement aux Yoffois qui sont bien imprégnés de la chose, les habitants de Ngor n’ont pas vu venir.
A votre niveau, qu’est-ce que vous faites pour remédier à tout cela ?
Je ne suis pas resté passif. D’abord, je dois dire que j’ai pris contact avec le président de la République ; j’ai fait d’autres courriers aux services concernés. Je suis en train de concocter un comité qui va discuter avec les autorités pour que, s’il y a des opportunités dans la zone de recasement, les habitants de Ngor puissent en tirer profit.
Financièrement, dit-on, le foncier rapporte beaucoup d’argent.
C’est la réalité. Les gens en gagnent énormément y compris les Jaraaf qui prennent des terrains qu’ils distribuent sans aucune base légale, sans fondement. Or, ils pourraient faire des investissements pour toute la commune. Les Jaraaf se permettent tout. Qu’est ce que leurs parents ont fait de plus que les nôtres ? Il faut qu’ils arrêtent.
A vos yeux, ils ne sont pas légitimes?
Quelle légitimité? Partout, dans tous les villages, ils sont contestés. Vous me direz que personne ne peut faire l’unanimité. Mais, les 3⁄4 des habitants de Ngor, Ouakam et Yoff ne sont pas d’accord avec ce qu’ils font. Au passage, je dois signaler que je suis Lébou et j’aime ma culture.
Donc, je me donne le droit de contester énergiquement certains comportements qui n’honorent pas les Lébous. Honnêtement, je ne vois pas l’utilité des Jaraaf au sein de notre communauté. Les anciens Jaraaf se comportaient bien. Ils étaient des modèles.
Avant, quand un Jaraaf parlait, tout le monde se retrouvait dans son discours parce qu’il le faisait toujours au nom de la communauté. Malheureusement, aujourd’hui, les Jaraaf ne régulent rien dans la société. Ils font du favoritisme et ils sont là que pour leurs poches.
C’est comme ça que je vois les choses. Et je le dis sans état d’âme.
Quel regard jetez-vous sur l’érosion côtière à Ngor?
Elle pose un gros problème et demande énormément de moyens. Sur l’île, des gens y occupent des espaces parce qu’ils sont fortunés ou ils étaient agents de l’Etat. Ils ont déplacé les roches et les cailloux.
Dès qu’il y a marrée haute, l’eau envahit toutes les maisons qui sont au bord de la mer. Toute la côte est menacée et le village va disparaître pour le bien être d’un groupe ou d’une personne. Ce n’est pas du tout normal.