“NOUS ALLONS TOUT FAIRE POUR TARIR LES SOURCES D’APPROVISIONNEMENT EN FAUX-MÉDICAMENTS”
LIEUTENANT-COLONEL AMADOU MOCTAR DIÈYE, DIRECTEUR DE LA PHARMACIE ET DU MÉDICAMENT
Dans cet entretien, le lieutenant colonel Moctar Dièye, Professeur titulaire des Universités en Pharmacologie et directeur de la Pharmacie et du médicament, s’exprime sur le circuit de vente des médicaments dans ce pays, l’existence de circuits parallèles de vente et les initiatives prises pour contrecarrer la circulation des faux médicaments.
Pouvez-vous nous retracer le circuit officiel des médicaments vendus au Sénégal ?
La première condition pour qu’un médicament puisse être vendu au Sénégal est qu’il dispose d’une Autorisation de Mise sur le Marché (A.M.M.). Cela est écrit clairement dans notre règlementation, qui précise en substance ceci : “Aucune spécialité pharmaceutique ne peut être débitée à titre gratuit ou onéreux si elle n’a reçu au préalable une autorisation de mise sur le marché”.
Ainsi, pour commercialiser un médicament au Sénégal, les laboratoires pharmaceutiques déposent un dossier au niveau de la Direction de la pharmacie et du médicament et payent une redevance au niveau du Trésor public. Ce dossier, comportant tous les éléments permettant de montrer que la demande est formulée pour un médicament de qualité, efficace et sûr, est soumis à une analyse critique par un expert désigné par le ministre de la Santé et de l’Action sociale.
Cet expert est, dans la plupart des cas, un Maître de conférences agrégé ou un Professeur titulaire de la Faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odontologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Le rapport de l’expert qui doit se prononcer de manière claire sur le rapport bénéfice/risque du médicament est soumis pour validation à la Commission nationale du visa qui va en définitive proposer l’octroi ou le refus de l’AMM au ministère de la Santé et de l’Action sociale.
Si l’avis de la commission est favorable, un arrêté portant octroi de l’autorisation de mise sur le marché est pris et dès lors, le médicament peut être vendu au Sénégal. Cette autorisation est valable pour 5 ans et est renouvelable tous les 5 ans. Si l’avis de la commission est défavorable, cela est notifié au laboratoire demandeur.
On constate depuis plusieurs années l’existence de circuits parallèles inondant le marché de médicaments douteux. Quelles appréciations faites-vous de la situation ?
Nous ne pouvons pas confirmer que les circuits parallèles inondent le marché, même si nous reconnaissons leur existence. Il faut d’emblée préciser que c’est un circuit illicite que nous combattons tous les jours. Nous avons mené récemment en mai 2014 une opération de grande envergure pour lutter un peu plus contre le marché illicite des médicaments. Cela a conduit à l’arrestation de 42 personnes qui ont été condamnées avec des peines de prison ferme et la saisie de 3,9 tonnes de médicaments.
Cette opération menée sous l’égide d’Interpol a été faite dans une parfaite collaboration entre la police, la douane, la gendarmerie, la justice, le ministère de la Santé et de l’Action sociale à travers la Direction de la pharmacie et du médicament, l’Ordre et le Syndicat des pharmaciens du Sénégal. Nous comptons perpétuer ces genres d’opération car nous nous inscrivons dans la démarche de tarir les sources d’approvisionnement pour le circuit illicite des médicaments.
Nous avons constaté aussi qu’avec cette opération, les médicaments saisis ne provenaient pas pour plus de 99% du circuit officiel. Cela dénote, s’il en était encore besoin de le rappeler, les risques encourus par les personnes qui achètent ces types de médicaments. Il n’y a aucun contrôle sur ces médicaments illicites, la provenance est douteuse et souvent non connue, les étiquetages peuvent être falsifiés, les médicaments peuvent être périmés ou transformés en produits toxiques.
De plus, ceux qui les commercialisent ne connaissent pratiquement rien sur les médicaments et ils s’érigent en pharmaciens, en médecins alors que certains ne savent même par lire. Je dis tout ceci pour attirer l’attention de nos compatriotes sur la nécessité d’acheter les médicaments dans les circuits officiels, c'est-à-dire les pharmacies du privé ou les pharmacies des structures sanitaires publiques. Il est dit et cela est vérifié, “les médicaments de la rue tuent”.
Selon vous, l’Etat doit-il laisser faire en continuant d’infliger des peines très faibles aux vendeurs de faux médicaments et à certains pharmaciens complices ?
Nous reconnaissons que les sanctions peuvent être alourdies et nous travaillons dans ce sens. En même temps, nous pensons que les 15 jours d’emprisonnement infligés récemment aux contrevenants avec l’opération “porc épic” en mai 2014, en plus des médicaments saisis, constituent une première par rapport au nombre important de personnes arrêtées, 42 au total. Et cela n’est qu’un avertissement, car en cas de récidive, les peines peuvent aller jusqu’à 6 mois ou plus Avec l’opération “porc épic”, il n’est pas établi, jusqu’à présent, l’implication d’un quelconque pharmacien.
Vous êtes nouvellement nommé à ce poste, quels sont par ailleurs les autres chantiers auxquels vous comptez vous attaquer ?
Au-delà de la lutte contre le marché illicite des médicaments, nous comptons beaucoup sur la promotion des médicaments génériques, la garantie de la qualité des médicaments et de développement du tissu industriel pharmaceutique dans notre pays. La promotion des médicaments génériques est un axe majeur de la politique pharmaceutique nationale, car cela permet de rendre les médicaments accessibles financièrement. En effet, les médicaments génériques sont aussi efficaces que les médicaments de référence ou médicaments originaux et ils sont moins chers. Vous me permettez d’expliquer très rapidement pourquoi les génériques sont moins chers.
En effet, lorsqu’un laboratoire met sur le marché un médicament original, il a une exclusivité pendant 10 ans, ce qui fait qu’il impose pratiquement le prix de sa découverte. Après 10 ans de commercialisation, le brevet tombe dans le domaine public et plusieurs autres laboratoires vont fabriquer le même médicament.
Ainsi, au lieu d’avoir un seul laboratoire qui commercialise le produit, plusieurs laboratoires vont le faire et c’est la concurrence qui va faire baisser les prix. De plus, il faut 10 ans pour mettre sur le marché un médicament original et seulement 18 à 24 mois pour un générique, ce qui fait que l’investissement est beaucoup moins important pour le médicament générique. Avec la politique de promotion des médicaments génériques, nous parvenons à avoir des baisses de prix qui peuvent varier entre 15 et 80 % avec une moyenne d’environ 40 % sur plus de 200 médicaments.
Mais qu’en est-il de la qualité des médicaments?
La garantie de la qualité des médicaments est un chantier essentiel pour nous et le premier élément que nous évaluons sur un médicament, c’est sa qualité. Si le problème de qualité n’est pas réglé, nous nous arrêtons à cette étape et le dossier est rejeté. Nous travaillons pour faire des contrôles, lors de la demande de l’A.M.M. et des contrôles en “post marketing”, afin de garantir la constance de la qualité des médicaments mis sur le marché pharmaceutique sénégalais.
Notre troisième défi est le développement de l’industrie pharmaceutique nationale, car nous devons arriver à une souveraineté thérapeutique avec la plupart de nos médicaments estampillés “Made in Sénégal”. Cela va créer des milliers d’emplois, permettre d’éviter des ruptures, contribuer à une meilleure formation de nos étudiants et à la mise en œuvre du Plan Sénégal émergent (PSE).
Je voudrais vous remercier pour l’opportunité que vous me donnez de communiquer avec nos concitoyens et avec le monde entier, car votre journal est lu partout. Je voudrais aussi informer nos concitoyens que la Direction de la pharmacie et du médicament est l’autorité nationale de réglementation pharmaceutique et est là pour informer sur toutes les questions relatives au médicament.