“PAIX DES CŒURS”
“Nul besoin de temples, nul besoin de philosophies compliquées. Notre cerveau et notre coeur sont nos temples.” Dalaï Lama
Lors de sa descente bien médiatisée à Ziguinchor, le Président Sall a lâché trois phrases qui font tilt : “Je propose à tous, sans exclusive, la paix des braves. Sans vainqueurs, ni vaincus. Pour le bénéfice de tous, la paix des braves...”. Le pari est bien hardi après Diouf et Wade, plus de 30 ans à la tête de l’Etat. Quelle chance de voir ce pari prendre corps sur les terres d’AlinE Sitoe Diatta pour un Sénégal enfin uni ? Au-delà de la musicalité de la formule, la partie n’est pas simple à réaliser.
Comme tous les conflits qui durent, les “plaies” du Sud mettront bien du temps à se refermer. Et les cicatrices à fondre dans la peau. En 30 ans, le conflit a fait des centaines de victimes, orphelins, veufs, handicapés, nouveaux pauvres (et riches). Bref, c'est un nouveau visage, pas trop beau à voir, qui s'est dessiné en Casamance, conséquence aussi de ces victimes innocentes qui entrent en guerre comme on va à la mosquée pour prier à la mémoire d'un être cher qu'on a perdu.
Une “paix des braves” ? C'est plutôt celle des cœurs qu'il faut susciter, cultiver, encourager, faire jaillir comme un torrent puissant qui ouvre une nouvelle voie. Il faudra bien que le jeune soldat qui a perdu son camarade de promotion au feu, dans les forêts casamançaises, puisse pardonner, comme le soldat français l’a fait avec l’envahisseur allemand et nous-mêmes, aisément avec le colon français qui a fait beaucoup de mal à nos ancêtres. Que le jeune maquisard qui a donc déserté son village après un fougueux passage de l’Armée, qui l’a rendu orphelin, accepte de fermer la page !
C’est plus facile à dire qu’à faire et la performance n’est pas du tout aisée. Mais au moins une chose est aujourd’hui sûre, nous devons faire face à notre responsabilité historique. Hic et nunc !
Comment, Sénégalais, pouvons-nous échapper à la terrible épreuve d'une introspection sincère pour extirper de nos coeurs toutes ces “impuretés” qui nous empêchent de prendre le grand large ? Vite, un miroir ! Un vrai ! Comment percevons- nous déjà, du haut de nos petites fiertés d’hommes de la capitale, du centre du Sénégal, du nord du Sénégal, héritiers de la glorieuse histoire (coloniale) des quatre communes, ces gens du Sud ?
Aujourd’hui encore, ils sont surtout anonymes ou portent-ils tous le même nom. “Sama Joola bi” ou “sama ndiaago bi”. Certains sont trop longtemps restés domestiques dans des maisons de la capitale pour que nous leur accordions de la valeur. Et d’ailleurs, si ce n’est pas la méchante image du petit mécréant du Sud, animiste qu’on leur jette, c’est celui d’être humain pas à la même stature d’homme que nous leur portons. Il y a encore bien d’autres petites “méchancetés” naturellement vécues mais terriblement frustrantes.
Ces stéréotypes doivent avoir des racines profondes, mais manquent aujourd’hui d’ailes. Autant l’avenir du monde impose aujourd’hui aux puissances colonisatrices d’hier de bien s’acclimater sur les terres d’Afrique, autant le nord et le centre du pays, avec toutes les cultures qu’elles drainent, ont l’obligation d’écouter et d’entendre les voix qui nous viennent de Bignona, d’Oussouye, de Sédhiou, de Bounkiling, de Goudomp, de Kolda etc.
Au fond, si l’un des péchés originels qui empêche le Sénégalais de prendre le train de l’émergence réside dans son comportement rétrograde voire moyenâgeux, il est à craindre que l’un des obstacles de la réalisation d’une paix définitive en Casamance réside dans les stéréotypes que nous portons profondément en nous. Il faudra travailler à casser résolument ces préjugés que nous entretenons sur cette partie de notre pays qui a les potentialités les plus intéressantes en matière agricole, touristique, artisanale, environnementale, etc.
Il est heureux que Macky Sall ait décidé depuis le 28 juin 2012, lors du Conseil des Ministres délocalisé à Ziguinchor, de faire de la Casamance le Pôle expérimental de la territorialisation des politiques publiques ; il est aussi intéressant de voir qu’un Président peut marquer un signal fort en décidant de passer trois jours avec une partie de son gouvernement en Casamance. Ces signaux-là sont certes importants. Mais ils ne vaudront rien si les populations et cultures du centre et du nord ne marquent pas les bonnes ruptures. Pour qu’enfin la poignée de main soit sincère. Forcément, nous devons laisser mourir une partie de nousmêmes. La vie ne succède-t-elle pas à la mort ?