2 ANS APRÈS, OÙ EN SONT LES TALIBÉS ?
ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE 9 TALIBÉS DANS UN INCENDIE
Le Sénégal se souvient de la disparition brutale de 9 enfants talibés, dans un incendie survenu, dans la nuit du 3 au 4 mars 2013. Des activités ont été organisées pour rendre hommage à ces bambins victimes d'un mauvais système éducatif.
Il y a deux ans, le Sénégal était endeuillé par la mort de 9 jeunes enfants, emportés par les flammes, alors qu'ils dormaient dans une "baraque de fortune" qui leur servait d'internat, à la rue 6x19 de la Médina. Près d'une quarantaine d'enfants y dormaient cette nuit-là, mais neuf d'entre eux n'avaient pu être sauvés des flammes. Le plus âgé avait 12 ans. Leurs voisins, qui vivaient dans cette maison de fortune, ne pouvaient que constater les dégâts. Tout avait été réduit en cendres.
Une situation qui renseignait sur les conditions de vie déplorables de ces enfants entassés dans des taudis. Pour éviter que pareille situation ne se reproduise, le gouvernement sénégalais, sous la houlette du Premier ministre de l'époque, Abdoul Mbaye, il avait pris la résolution de traquer "les faux marabouts", en vue de réorganiser le secteur de l'enseignement coranique.
Pour amorcer une rupture, il a eu l'idée de ressusciter le projet d'appui à la modernisation des daara (Pamod), un projet financé par la Banque islamique de développement et lancé en 2009. Des changements qualitatifs étaient en vue. Il était question de remettre de l'ordre dans le secteur, en vue de redonner à l'enseignement coranique ses lettres de noblesse.
Hommage
Mais, le problème des talibés reste intact. Il passe pour un marronnier dans la presse. Leur situation ne s'améliore guère, malgré les bruits des tambours. Hier, à travers une série d'activités de sensibilisation, des acteurs ont tenu à rendre hommage à ces enfants emportés par les flammes, conséquence d'un abandon d'une société qui se désintéresse de leur sort.
Le Réseau des journalistes et animateurs pour la protection de l'enfant (REJAPE) a aussi initié "une grande marche", à Dakar, pour commémorer ce deuxième anniversaire. Ils ont tenu à se rendre jusqu'aux lieux du drame. Ils en ont également profité pour lancer leur campagne intitulée "Non aux talibés, oui aux ndongo daara", qui a comme objectif de soutenir "le projet de loi du gouvernement sénégalais sur la modernisation des écoles coraniques.
Dans ce même élan, des gerbes de fleurs ont été déposées à la Place du Souvenir, à l'initiative de l'association humanitaire "Babacar et Bineta". 9 pigeons ont été lâchés par des enfants d'un daara en mémoire aux jeunes "martyrs".
Un projet sujet à polémiques
Malgré une volonté affichée par l'Etat de redynamiser le secteur, il bute encore sur des écueils. Le projet de loi du gouvernement du Sénégal portant modernisation des Daara repose sur plusieurs volets, avec comme axe central "la scolarisation des élèves, selon les trois étapes".
Selon le projet de loi, "la scolarité dure huit ans et se déroule en trois étapes : une première étape de trois ans consacrée à la mémorisation du Coran, une deuxième étape de deux ans, alliant mémorisation du Coran et programme des classes de Cours d'Initiation (Ci), de Cours préparatoire (Cp) et de Cours élémentaire-première année (CE1), et une troisième étape de trois ans réservée au programme des classes de cours élémentaire deuxième année (CE2), et de Cours moyen-première année (CM1) et de Cours moyen-deuxième année (CM2)".
"Une meilleure implication des religieux"
Mais, des islamologues et enseignants continuent à dénoncer ce système dit normé. Des réticences sont formulées. "L'Etat doit poursuivre la discussion avec les différents acteurs", suggère l'islamologue et ancien chercheur à l'Ifan, Khadim Mbacké. L'islamologue a assisté à l'élaboration de l'avant-projet de la loi.
A son avis, même si c'est un projet novateur à soutenir, des améliorations sont à faire, pour que le projet soit accepté par les enseignants, arabisants et familles religieuses. "Il y a beaucoup de réticences, car certains pensent que modernisation rime avec laïcisation". L'islamologue est donc d'avis qu'il faut se concerter davantage avec les acteurs et les aider à cerner les enjeux du projet.
ALIOU GANO, PÈRE DE LA PETITE MARIAMA, MORTE DANS L'INCENDIE
"Je vis dans une chambre avec ma femme et mes 9 enfants"
Après le terrible incendie et la mort de votre fille, beaucoup d'autorités avaient fait le déplacement et des promesses avaient été faites. 2 ans après, qu'en est-il ?
Depuis cette nuit tragique, nous n'avons rien reçu de toutes les promesses faites par le gouvernement. Je le répète, rien n'a été fait. On ne nous a rien donné. Des rumeurs ont circulé selon lesquelles le président Macky Sall avait donné de l'argent à la famille de la disparue (Mariama Gano, âgée de 7 ans). Moi qui suis le père de Mariama, je n'ai rien reçu de la part des autorités, venant du gouvernement. Par contre, le maire de la Médina, Bamba Fall, nous avait remis 80 000 F CFA ; depuis lors, personne ne nous a apporté son soutien. J'ai tenté, plusieurs fois, de voir le maire de la Médina, Bamba Fall. Soit il était empêché, soit en voyage.
Comment vivez-vous cette situation ?
Je suis dépité, car beaucoup de gens font dans l'amalgame. Ils croient que j'ai reçu des sous, alors que je n'ai rien vu. A chaque fois, des gens m'interpellent sur cette question. Lorsque je les informe de ce qui se passe, ils sont surpris. Beaucoup de ministres, présents sur les lieux, avaient fait des promesses qu'ils n'ont pas tenues. Cela ressemble a de la politique. Ils en ont profité pour faire des déclarations politiques et c'est dommage pour le pays. Je pense qu'ils doivent donner le bon exemple.
Aujourd'hui, comment gagnez-vous votre vie ?
Sa maman Néné Gallé se débrouille dans la vente de beignets. En ce moment même, elle est malade. Nous avons déménagé. Nous habitons à Ouakam, cité Avion. J'y loue une chambre à 35 000 F CFA, avec mes neuf enfants (sept garçons et deux filles). Quant à moi, je travaille dans un "Fast Food" où je reçois le minimum. Vous savez au Sénégal, travailler dans un "Fast Food", ce n'est presque pas un boulot, mais je n'ai pas le choix. Je demande à l'Etat, avec toutes les promesses faites, de nous venir en aide. Hier, j'ai été surpris de voir des manifestations, comme la marche organisée par le réseau des journalistes pour la petite enfance, des déclarations à la télévision et la radio. Mais, personne ne nous a invités à un débat ou cherché à nous entendre, à part votre journal.