40-0 POUR BOKO HARAM

Une bombe a explosé dimanche, dans un stade, au Nigeria. Bilan provisoire : 40 morts. Encore une ignominie de Boko Haram, pour le pire tableau d’affichage du weekend. D’ailleurs, ces gens ne tuent pas en détail, ils exécutent en masse. Ce qu’on vient de vivre n’est pas le summum de l’horreur dans ce pays. Il y a eu pire, au nom d’un fondamentalisme débile.
La comptabilité macabre qui s’égrène avec une régularité et une ampleur ahurissante, génère certes une sorte d’overdose. Mais devant une telle ignominie, on ne peut verser dans le syndrome de la banalisation. Alors que le sourd écho de la bombe hante les esprits, on pense à ce que disait Wole Soyinka en parlant du chef de Boko Haram : ce type est une «obscénité».
Poser une bombe dans un stade n’est pas seulement un acte terroriste. C’est un signe. Dans le chaos sanglant, on ne détruit pas uniquement des vies. On disloque un espace où l’esprit dépasse les divergences et les différences pour asseoir une fraternité fusionnelle. Tous les fascismes ont peur des stades comme espace de liberté. C’est là que Steve Biko faisait passer les mots d’ordre de résistance et de révolte contre l’apartheid, autour du mouvement de la Conscience noire.
Quand les pouvoirs oppressifs ne parviennent pas à domestiquer ces enceintes, ils les désincarnent, les dévoient et les transforment en lieux d’horreur.
C’est dans les stades qu’Hitler affichait la grandeur nazie. Idem dans tous ces pays où l’ordre et la discipline s’étalonnent sur des gradins, devant des foules soumises, arrosées de discours dont les messages sont faits pour masser les esprits.
Quand Pinochet massacrait les partisans d’Allende, c’est le Stade national de Santiago qu’il avait transformé en lieu de déportation et en centre de tortures. Quarante mille personnes y sont passées. Il y a aussi les Talibans qui, pour exécuter les femmes jugées infidèles et autres déviationnistes de la foi, avaient fait du stade de Kaboul un lieu où les seules balles qui se distribuaient désormais étaient celles appelées à finir dans la nuque du condamné.
Comble de cynisme, c’est les jours de match que les exécutions avaient lieu. Faute d’avoir du public pour assister aux mises à mort, les Talibans profitaient des grandes affiches pour interrompre un match ou attendre la mi-temps et passer à l’acte. Quand on n’avait pas de potence pour les pendaisons, la barre transversale faisait l’affaire.
Le sport a toujours survécu quand le fanatisme a voulu greffer ses horreurs aux vagues de passions qui soufflent dans les stades, pour que l’écho de ses basses œuvres soit davantage porté par les clameurs qui vont loin. Ce n’est pas pour autant qu’on oublie.
Le choc qu’on éprouve devant l’attentat de dimanche n’est pas dans les 40 morts. Avec la bêtise récurrente des foules, les stades ont souvent aligné, à la dizaine ou à la centaine, des corps écrasés par des déchaînements incontrôlés. L’acuité du mal, cette fois, est dans l’écho de la bombe.
Devant la folie meurtrière de Boko Haram, le stade de Mubi restera un lieu mémoriel. Le match était fini et les supporteurs quittaient les lieux. Peut-être que ce mouvement du public qui commençait à vider les gradins a atténué l’ampleur du drame… Les morts sont des hommes, mais aussi des femmes et des enfants.
Dans cette ville de l’Etat d’Adamawa, où l’état d’urgence règne depuis un an, on imagine que les stades font partie des rares lieux de réjouissances païennes, avec des prêcheurs en culotte courte qui font du ballon un objet de culte. Il y a deux ans, cette même ville de Mubi avait vu quarante étudiants se faire massacrer dans une cité universitaire.
On n’est donc pas à une horreur près.
A dix jours d’un Mondial où les «Super Eagles» du Nigeria sont porteurs de tant d’espoirs, frapper au cœur du foot n’a rien d’innocent. Rien de fortuit. Ce n’est pas seulement un acte de terreur. On est dans la négation de ce que d’aucuns perçoivent comme une sorte d’opium des peuples. C’est la jouissance de Brésil-2014 qu’on veut castrer dans un pays où le football pousse tout vers le néant, quand les rendez-vous sportifs d’une telle grandeur concentrent les fanatismes populaires autour du jeu.
Les quarante morts de Mubi ne sont pas inscrits sur un tableau d’affichage pour n’interpeller que le foot. Ils s’inscriven dans un registre macabre plus global, où la mort frappe de manière aveugle, où les drames et les douleurs affectent sans distinction et interpellent comme un défi collectif.
On pensera aux morts de Mubi quand les «Super Eagles» descendront sur les terrains du Brésil. Pour leur premier match contre l’Iran, le 16 juin, et pour tous les matches qui suivront.
Devant le fanatisme qui ronge la région ouest-africaine, le brassard noir est pour tout le monde.