54 ANS DE MARCHE ERRATIQUE DE L’ÉTAT
Du "toubab" Senghor à l’hybride Macky Sall en passant par l’administrateur colonial Diouf et le libéralo-mouride Wade, les péripéties d’un Etat africain !
Du "toubab" Senghor à l’hybride Macky Sall en passant par l’administrateur colonial Diouf et le libéralo-mouride Wade, les péripéties d’un Etat africain !
En cette veille du 54ème anniversaire de l’accession de notre pays à la souveraineté internationale, il est à souhaiter que nos compatriotes ne se demandent pas "mais à quand donc la fin de cette indépendance ?"
L’exemple est en effet tentant, pour ceux d’entre eux qui ont connu la période coloniale, de regretter ce bon vieux temps où nous étions dirigés par des Blancs et où, dans ce majestueux palais où réside le quatrième président de la République du Sénégal indépendant, habitait encore un gouverneur français. Heureusement pour les autorités actuelles, nos compatriotes qui ont connu la colonisation ne sont plus nombreux.
En effet, d’après les résultats du dernier recensement général de la population qui viennent d’être rendus publics, ceux d’entre les Sénégalais qui ont plus de 60 ans, ne représentant plus que 3 % de l’ensemble. Preuve que l’espérance de vie n’a pas beaucoup progressé dans ce pays depuis un demi-siècle. Or, il faut avoir au bas mot 70 ans pour garder un souvenir quelque peu précis de la colonisation. Et encore…
Toujours est-il que, d’une manière générale, les pays africains ont fait très peu de choses de leur indépendance. Certes, ils ont chacun son propre hymne national, son propre drapeau, sa propre armée incapable de défendre son territoire — au moindre coup de feu, on fait appel à l’armée du pays colonisateur, la plus prompte à intervenir étant celle de la France !—, son siège à l’ONU où ils ne sont guère écoutés et consultés, ses ambassades à travers le monde et son avion de commandement.
Pour le reste, l’Afrique importe à peu près tout et ne représente encore que moins de 5 % du commerce mondial. Elle ne produit ni ce qu’elle mange, ni ce qu’elle porte en termes d’habits et tous les appareils qu’utilisent ses habitants viennent de l’étranger. Pis, plus de 160 ans après la fin officielle de l’esclavage — décrétée en 1848 par le Français Victor Schoelcher —, elle est le seul continent au monde dont les ressortissants sont jugés par une Cour pénale dite internationale qui, à ce jour, n’a dans ses prisons que des Nègres d’Afrique Subsaharienne.
L’Afrique qui demeure le dernier des continents en termes de développement, même si les mêmes Occidentaux qui disaient hier qu’elle était"sans avenir" estiment aujourd’hui qu’elle représente le futur du monde. C’est sans doute vrai mais à condition que les Africains commencent d’abord par croire en eux-mêmes !
Un bilan globalement positif
Mais bon, il s’agit surtout dans ce papier de notre cher pays, le Sénégal. Certes, 54 ans après, le bilan n’est pas fondamentalement mauvais même si, assurément, notre pays aurait pu faire beaucoup mieux. Hélas… Un bilan globalement positif en ce que, en ce plus d’un demi-siècle d’existence, notre pays n’a jamais connu de coup d’Etat militaire ni de guerre civile. Ne serait-ce que pour cela, il mérite d’avoir la moyenne.
De plus, il a connu deux alternances politiques exemplaires et les libertés fondamentales y sont à peu près respectées. Et ce même si ses députés rêvent toujours d’envoyer des journalistes en prison ! En fait, le Sénégal a à ce point poussé l’expérimentation démocratique qu’il en est devenu le laboratoire institutionnel du continent !
Toutes les formules démocratiques y sont expérimentées — à part la cohabitation entre le président de la République et un Premier ministre issu d’une majorité qui n’est pas de son camp —, ce qui fait que les Ong des droits de l’homme, ou prétendues telles, en font le terreau fertile de leurs ensemencements. Résultat : le Sénégal est devenu le bon élève de la "justice" internationale et a été le premier pays au monde à ratifier le Statut de Rome qui fonde la Cour pénale internationale.
Mieux, toujours pour mériter les félicitations de l’Occident, il a entrepris de juger l’ancien président du Tchad réfugié sur son territoire et a lancé une traque des biens supposés mal acquis qui prend malheureusement le visage d’une chasse aux opposants du nouveau pouvoir. Car ceux d’entre les vaincus du 19 mars 2012 qui acceptent de transhumer sont curieusement épargnés par cette justice qui prétend se situer dans le cadre d’une nécessaire reddition de comptes et de l’instauration d’une bonne gouvernance…
Mais enfin, revenons à notre indépendance. Le premier président du Sénégal, le poète et grammairien Léopold Sédar Senghor, qui était un visionnaire, en plus d’avoir voulu faire de notre pays une "Grèce du monde noir", avait entrepris de créer un véritable Etat avec des procédures, des normes, des règles et des institutions fortes. Trouvant que les Africains ont un problème d’organisation et de méthode, il avait créé le fameux BOM (Bureau Organisation et Méthode) destiné justement à pallier les insuffisances des Nègres trop émotifs que nous sommes, en ces matières.
Pour lui, en effet, la raison est hellène et nous aurions donc gagné à nous inspirer de la rationalité occidentale. Et de fait, Senghor, qui avait misé sur l’éducation et la formation de ressources humaines de qualité, a laissé en héritage à son successeur, le technocrate Abdou Diouf sorti du moule de l’Enfom (Ecole nationale de la France d’Outre-mer), un Etat solide et une élite intellectuelle qui, grosso modo, avait su remplacer les cadres blancs de la coloniale.
Formé dans l’esprit de commandement cher aux administrateurs coloniaux, Abdou Diouf a continué sur la voie tracée par son mentor. Du moins durant, à peu près, les dix premières années de son "règne". Durant toute cette période, l’Etat, qui avait encore un grand besoin de cadres, surtout dans les domaines de l’Education et de la Santé, recrutait à tour de bras les sortants de nos universités et de nos écoles de formation.
La Fonction publique était le seul débouché et tout le monde voulait devenir un "fonctionnaire" puisqu’un prestige était encore attaché à ce statut. Puis vinrent les années d’ajustement structurel. Devant la "détérioration des termes de l’échange", la chute brutale des recettes d’exportation de l’arachide et des phosphates, principaux produits sénégalais, le choc pétrolier de 1973 suivi de la grande sécheresse de la décennie 70, les finances publiques se retrouvèrent bientôt exsangues. A
ppelées à la rescousse, les institutions de Bretton Woods imposèrent une sévère cure d’austérité. Abdou Diouf, alors Premier ministre du président Senghor, mit d’abord en œuvre un Plan de Stabilisation puis poursuivit par un PREF (Plan de Redressement Economique et Financier) lorsqu’il accéda au pouvoir et autre PAS (Plan d’Ajustement Structurel).
Et les "Baol-Baol" firent leur apparition
Pendant 20 ans, le Sénégal fut sous ajustement serrant même davantage la vis lors des dernières années Diouf notamment avec le fameux Plan Sakho-Loum qui permit étonnamment de redresser les finances publiques et de remettre tous les clignotants au vert.
La Fonction publique n’ayant pratiquement plus recruté durant toute cette période, et réduisant même ses effectifs par le biais des départs dits volontaires, l’industrie nationale ayant été démantelée à la suite de la mise en place de la NPI (Nouvelle Politique industrielle) et le désengagement de l’Etat de l’agriculture amorcé avec la Nouvelle Politique agricole, les subventions coupées aux secteurs public et parapublic, autant de piliers sur lesquels reposait jusqu’alors l’économie socialiste du pays, on assista alors, pour schématiser, à l’apparition d’un secteur informel qui grossissait à mesure que l’Etat se retirait de l’économie.
Et alors que, d’une manière générale, et selon un schéma mis en place par le colonisateur, les Tidjanes étaient jusque-là les élites de l’administration, les Mourides, tenus en marge, se concentraient sur le commerce informel ainsi que sur la culture et la traite de l’arachide. Le retrait forcé de l’Etat de l’économie leur a permis de prendre le contrôle de cette dernière, du moins des secteurs dont les Libanais ne voulaient pas ou de ceux encore contrôlés par les Français.
Le phénomène des "Baol-Baol" tel qu’on le connaît actuellement, c’est-à-dire des opérateurs sans scrupule, méconnaissant les lois et règlements existants (ou faisant semblant) et le mépris de tout ce qui est formel, ce phénomène venait d’apparaître. Des "Baol-Baol" qui considéraient que l’Etat ne pouvait être qu’une entrave à leurs activités et ne voyaient pas de raison de payer des impôts à un Etat "illégitime" à leurs yeux.
Se réfugiant derrière un Serigne Abdou Lahad Mbacké au faite de sa puissance, ces "Baol-Baol" ont entrepris de dépouiller l’Etat de ses prérogatives. Fragilisé par une crise économique sans précédent, le grand commis de l’Etat Abdou Diouf, devant l’inanité du paravent Jean Collin et les coups de boutoir d’un opposant populiste et démagogue nommé Abdoulaye Wade, ne tarda pas à baisser les bras. Après avoir chancelé et senti passer de très près le vent du boulet en 1988, il a été balayé en 2000 après un baroud d’honneur infructueux.
Un "libéralo-mouride" nommé Wade
Son successeur, bien que de culture occidentale et marié à une Française, n’en était pas moins un "Baol-Baol" dans l’âme. Certes, il avait théorisé un "socialisme travailliste" au cours des années ayant suivi la création de son parti, le PDS (Parti démocratique sénégalais) mais c’était en réalité pour mieux tromper son monde. Très occidentalisé en apparence, il avait pourtant écrit un bouquin intitulé "La doctrine économique des Mourides" qui avait été son sujet de thèse à l’Université.
Libéral, il s’est pourtant signalé à son accession au pouvoir en renationalisant notamment la Société nationale d’Electricité qui avait été privatisée… par les socialistes ! Il avait même menacé d’en faire de même avec l’opérateur historique de télécommunications, l’équation des moyens financiers l’en ayant empêché. Toujours est-il que c’est sous le libéralo-mouride Abdoulaye Wade que le coup de grâce a été assené à l’Etat senghorien.
A coup de création d’agences — la fameuse politique d’"agenciation" !—, de privatisations au profit de ses protégés de prérogatives étatiques, de contournement de procédures étatiques, de cessions de terres du domaine national à des marabouts ou des clients politiques, de spéculations foncières dans les zones huppées de la région de Dakar, notamment, de nominations n’obéissant à aucun critère aux emplois civils, et, surtout, de banalisation de la fonction ministérielle, mais pas seulement, Wade eut tôt fait de mettre en lambeaux ce que les présidents Senghor et Diouf avaient si patiemment bâti.
Désormais, l’Etat, c’était lui. L’Informel, qui était encore à la périphérie du pouvoir, a été, du coup, catapulté au cour de ce même Etat. Senghor et Diouf avaient construit ? Wade avait entrepris méthodiquement de déconstruire ! Et ce même si, du même coup, il avait libéré toutes les énergies des Sénégalais anesthésiées par 40 ans de socialisme tropical, pour le meilleur mais surtout pour le pire.
Vint le président Macky Sall, quatrième président de la République du Sénégal indépendant mais le seul à être né après l’Indépendance, en 1961. Le seul aussi à être un pur produit de l’école publique sénégalaise, celle-là même qui fonctionna comme un formidable ascenseur social du temps du président Senghor et aussi, un peu, sous Abdou Diouf. Admirateur de l’actuel président de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), qui le lui rend bien, M. Macky Sall a, comme lui, le culte de l’Etat dont il veut d’ailleurs restaurer l’autorité et le prestige, après le passage de la bourrasque Wade.
Le fait qu’il ait comme directeur de cabinet un ancien du BOM n’est sans doute pas innocent. En même temps, comme Diouf, il a entrepris de réduire le train de vie de l’Etat — diminution du montant des factures téléphoniques, des consommations d’eau et d’électricité, des frais de voyage des ministres, dénonciation de la plupart des contrats de logements conventionnés. Ce de manière à avoir un Etat "modeste mais moderne" comme le disait le dernier président socialiste du pays. Ou encore "moins d’Etat mais mieux d’Etat".
Le fait d’avoir pour principaux conseillers de l’ombre deux anciens hiérarques socialistes — Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse — explique-t-il cela, c’est-à-dire cette fascination pour ne pas dire cette religion de l’Etat ? Sans doute. Mais tout admirateur d’Abdou Diouf qu’il fût, Macky Sall est aussi, et avant tout, un pur produit et un fils spirituel d’Abdoulaye Wade.
Ce qui fait que, comme Wade, il a vis-à-vis de l’Etat des instincts de Terminator. Ce qui explique certaines de ses nominations qui procèdent beaucoup plus de raisons de politique politicienne et de récompense de compagnons que des canaux et procédures classiques de nominations dans tout Etat qui se respecte !
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas toujours les hommes qu’il faut aux places qu’il faut à tous les niveaux de l’administration, des sociétés nationales, des agences, des ambassades etc. Sans compter que, après avoir feint de tenir tête aux marabouts et aux hommes d’affaires qu’ils parrainent, il a fini par leur faire allégeance insensiblement.
A preuve, c’est lui qui a fait du "magal" un jour férié et qui a mis en place un programme de modernisation des cités dites religieuses. Et tant pis si des villes plus méritantes démographiquement et économiquement vont être laissées en rade. Lui aussi qui, comme son prédécesseur, a hissé la transhumance au rang de doctrine d’Etat.
Quant on vous disait qu’il y a du Diouf et du Wade à la fois dans le président Macky Sall ! Mais enfin, bonne fête d’Indépendance aux Sénégalaises, aux Sénégalais ainsi qu’aux hôtes étrangers qui vivent parmi nous. Et surtout, que ce "Mom sa reew", comme on disait en 1960, que cette indépendance dont on a fait un si mauvais usage ne prenne jamais fin…