6 HEURES DE DAKAR ET D’AILLEURS

Si vos oreilles de Dakarois ont la cinquantaine, il vous manque quelque chose. Un bruit de fond tenace qui vous prenait la tête et les tripes pendant plusieurs jours. Le son d’un moteur de voiture qui chante. Mélodie pareille à celle d’un solo de hard rock, avec un tempo qui monte et descend à mesure que s’enchaînent les vitesses. Il vous manque l’ambiance des 6 Heures de Dakar.
Exilée du côté de Sindia, chassée de son circuit mythique (circuit Colombani, construit en 1952) qui constituait une partie de l’autoroute, entre l’échangeur de Hann et le rond-point de la Patte d’Oie, l’épreuve n’a pas su résister à l’urbanisation sauvage d’une capitale qui se «développe» en bouffant son passé, en salissant sa mémoire architecturale, en cannibalisant son identité.
Dimanche, Nagy Kabaz a aligné son septième titre de vainqueur. Un exploit que la quasi-totalité de la presse a «écrasé». Aucune ligne chez certains, un bouche-trou pour d’autres, au mieux une brève ailleurs. Seul le Soleil y a mis une demi-page environ. Sans doute, l’ancêtre de la presse a-t-il été inspiré par les vrombissements de mémoire, fidèle à ces vainqueurs qui, jadis, faisaient sa une.
Les lendemains des 6 Heures de Dakar, dans les années 1970, mettaient Dakar sens dessus dessous.
On se réveillait avec une ville divisée en deux, où l’on ne parlait que de ça. Les uns triomphant pour Lablanche, les autres pleurant pour Dumoulin. Français établis à Dakar, ils étaient les Schumacher de l’époque. Le premier alignait les victoires, le second finissait toujours derrière, après avoir enflammé le public dans ce duel épique. Une sorte de Poulidor toujours en retard d’une roue, face à un métronome qui enfilait les tours sans lâcher une seconde entre deux vitesses.
On flambait aussi pour Daniel Thiaw. Ancien champion du Sénégal du 400 m, sa passion du plus vite avait transféré l’énergie de ses jambes qui avalaient la piste vers un pied qui n’avait pas plus d’égard pour l’accélérateur que pour une éponge.
«Daniel», comme on l’appelait familièrement, était le héros local parmi les Blancs triomphants. Elégant et intrépide, il avait une gueule de star et en était une. Sauf que sa fougue finissait souvent dans le vent et la poussière, trahi par une boîte à vitesse qui casse, un radiateur qui pète, etc. Il y avait toujours une «excuse» pour Daniel. On l’aimait bien. Il ne gagnait jamais, mais il avait l’étoffe du héros malheureux. Lui que Senghor aida à acheter une Porsche pour participer au 24 Heures du Mans en 1975…
Jusqu’en 2007, les 6 Heures de Dakar ont régné sur l’autoroute, le temps d’un weekend. C’était facile dans ces années 1970 où Pikine était le commencement de l’«au-delà» et que les excroissances urbaines de Dakar s’arrêtaient au rond-point de la Patte d’Oie. Progressivement, fermer le «tuyau» d’évacuation de la ville est devenu suicidaire.
C’est ainsi qu’après un transit sur la Vdn, le 6 Heures de Dakar est allé se «perdre» au milieu des baobabs de Sindian. Le rapatrier à Dakar serait un superbe coup d’accélérateur pour le remettre dans le cœur des Sénégalais. Mais il n’y a pratiquement pas d’espoir pour remonter à ces temps où les courses automobiles étaient un sport populaire. Pas qu’il soit difficile de caler un «circuit» quelque part, entre le Cap Manuel et un point de convenance. Mais juste que Dakar n’est pas Monaco. On verrait vite que le wax sa xalaat n’en a rien à cirer d’un hobby de riches qui peuvent flamber une centaine de millions de francs pour faire de la fumée et du bruit.
Il y a toujours une raison, directe ou non, à une décadence. Le 6 Heures de Dakar a perdu l’occasion d’une seconde jeunesse en manquant de s’arrimer au Paris-Dakar, quand la désaffection avait commencé à s’installer autour du circuit Colombani, avec le retrait des pilotes mythiques.
Certes, les «vaisseaux du désert» équipés pour surfer sur le sable et rebondir sur la pierraille ne s’adaptent pas aux particularités des circuits. Quand les concurrents du Dakar arrivaient à bon port, c’était aussi pour rêver d’une douche, d’un bon lit, de soleil, de plage, etc. ; que de s’offrir une prolongation.
Malgré tout, il était bien possible d’ajouter au cahier des charges de cette épreuve quelque chose de plus significatif qu’une arrivée touristique au Lac rose. L’idée a été agitée un moment, mais sans conviction. La municipalité de Dakar était déjà rassasiée par le fait de voir le nom de Dakar porté aux quatre coins du monde. Et voilà ce qu’il en reste quand on manque de prospective et de perspective.
Pour autant, Sindia n’est pas un trou perdu où le 6 Heures de attendrait l’échéance du compte à rebours fatal. Un bon circuit, dans la zone balnéaire de la Petite Côte, cela peut bien égayer le calendrier touristique. Mais l’auto-moto est un de ces sports de prestige pour lesquels la passion ne suffit pas à nourrir le rêve.
Le 6 Heures de Dakar ne vrombit plus. On n’entend guère davantage ces courses mythiques que furent le rallye de Bandama en Côte d’Ivoire où les safaris rallyes qui traversaient l’Afrique de l’Est. On n’en a que plus de respect pour ceux qui continuent à faire rouler les mécaniques.