VIDEO ABDERRAHMANE SISSAKO, LE RÉALISATEUR DE "TIMBUKTU", "ASSUME" FACE AUX CRITIQUES
FESPACO 2015
Ouagadougou, 7 mars 2015 (AFP) - Porté au pinacle puis voué aux gémonies après le succès triomphal de son film "Timbuktu", le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako dit "assumer" face aux critiques qui lui sont adressées, notamment sur sa proximité avec le président Aziz.
"Timbuktu" a reçu sept Césars français et une nomination aux Oscars. C'est aussi l'un des films favoris pour l'Etalon de Yennenga, le trophée majeur du Fespaco, l'un des principaux festivals de cinéma africain, qui sera décerné samedi à Ouagadougou. La non-programmation de cette fiction, qui raconte la vie quotidienne dans le nord du Mali sous la coupe des jihadistes, avait un temps été envisagée pour des raisons sécuritaires.
QUESTION : "Timbuktu", diffusé au Fespaco, ce n'était pas du tout évident au départ. Comment appréciez-vous l'accueil du public jeudi pour sa première diffusion ?
REPONSE : "Le film a eu un accueil extraordinaire. L'attente a été j'imagine longue parce que l'Afrique a attendu un peu trop longtemps le film qui existe depuis quelque temps et circule dans le monde. Le Fespaco est pour moi une vitrine extrêmement importante. C'est comme un miroir sur l'Afrique. Cette projection avait un sens et a un sens très important pour moi. Et le public l'a rendu de la plus grande et la plus belle des manières par son accueil."
Q : L'Afrique fait de plus en plus face à la montée de l'islamisme radical. "Timbuktu" est-il un message pour la jeunesse du continent ?
R : "Absolument. C'était une urgence pour moi de raconter le drame de notre pays, le drame surtout de la ville de Tombouctou, qui a été prise en otage par des jeunes avec des valeurs qui ne sont partagées ni dans le pays, ni dans la sous-région, ni dans l'islam tout simplement. En quelque sorte, c'est aussi l'islam qui est pris en otage par ces gens. C'est la dignité humaine qui est défendue à travers les gens de Tombouctou. Faire un film sur la résistance pacifique, c'est important parce que ça met en valeur des gens qui se sont libérés.
Car la libération de Tombouctou, ce n'est pas que Serval (l'opération militaire française qui a libéré le nord Mali des djihadistes, ndlr). Elle a été aussi faite par celles et ceux qui, de façon parfois silencieuse, ont bravé la mort pour arriver à cette libération parce qu'ils y croyaient. Ils y croyaient parce que Tombouctou est un creuset de valeurs humanistes qui ne peuvent être tuées par ces gens venus d'ailleurs. J'ai joué mon rôle, je ne suis ni courageux ni autre chose."
Q : On dit que vous avez évité de faire un film sur l'esclavage des Noirs dans votre pays la Mauritanie pour faire un film d'actualité sur le jihadisme, peut-être moins polémique ...
R : "On peut faire un film sur tout, il y a des milliers de sujets. Moi, j'ai des sujets qui ne me plaisent pas, j'ai des sujets sur lesquels je compte travailler. Il ne s'agit pas d'accuser, c'est trop facile quelque part. Moi je suis un homme d'action. Que ce soit +Timbuktu+ ou +Bamako+ avant, je ne les ai faits ni pour glorifier, ni pour magnifier le continent. Ce n'est pas moi le porte-parole de l'Afrique. Celui qui pense qu'il peut faire d'autres sujets n'a qu'à les réaliser."
Q : On vous critique beaucoup pour avoir accepté le poste de conseiller culturel auprès du président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz.
R : "Pour moi, ce n'est pas une polémique. Ma légitimité en tant que personne, au-delà des fonctions que j'occupe, ne se justifie pas à travers des articles de presse. Mon peuple accepte ma fonction, mon pays l'accepte, c'est le plus important pour moi. Je l'assume et le fais."