ABDOU DIOUF, LE RETOUR EN GRÂCE
SA MÉTHODE ET SES HOMMES INSPIRENT LE POUVOIR DE MACKY SALL

Ejecté du pouvoir en 2000, Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, récemment victime d’un malaise, est «réhabilité» par Macky Sall qui semble en faire son inspirateur.
L’ancien président de la République, Abdou Diouf et son épouse, Elisabeth, ont célébré le 22 décembre 2013 dans un hôtel dakarois leurs 50 ans de mariage. Un demi-siècle d’union, ça se fête ! C’est un exploit de longévité conjugale rare dans un pays comme le Sénégal où l’espérance de vie dépasse à peine la cinquantaine. Comme chacun sait, la fête a eu un invité de marque : Macky Sall. Il a donné à cet évènement privé une certaine notoriété.
C’est un fait assez rare de la part de Diouf d’exposer ainsi une partie de sa sphère privée. L’ancien président sénégalais avait habitué ses compatriotes au secret le plus absolu sur sa vie familiale. Pourquoi ce subit besoin chez les Diouf d’attirer la publicité sur la célébration de leur bonheur ? Diouf prend-il conscience de la fragilité des choses ? Un incident majeur est récemment survenu dans la vie du patron de la Francophonie. Début décembre, lors de la clôture du sommet France-Afrique, à Paris, Abdou Diouf a été victime d’un malaise. En plein discours, il tombe évanoui et reste inconscient pendant quelques minutes, avant d’être secouru.
«Ressuscité», Diouf savoure son bonheur. Qu’il ait choisi Dakar, où il ne vit plus depuis son départ du pouvoir en 2000 pour célébrer ces noces d’or n’est pas fortuit. Dans ce pays, il est désormais accueilli à bras ouverts. Il a été reçu en audience au Palais, le 25 décembre, au sortir de laquelle il a salué la «concordance des points de vue» avec l’actuel locataire.
En novembre prochain, le Sénégal accueille le sommet de la Francophonie. Cet évènement, le deuxième organisé à Dakar après celui de 89, coïncide avec la retraite officielle de Diouf. Il y a lieu de croire que Macky Sall va allumer à Dakar le feu d’artifice qui saluera le jubilé politique de l’ancien président sénégalais, au soir d’une carrière hors normes. En 2014, Abdou Diouf aura 79 ans. A cet âge Wade était encore au pouvoir et briguait un deuxième mandant. Il est fort possible qu’il continuera de bénéficier de l’attention présidentielle. Car, il est connu que Macky Sall consulte le secrétaire général de l’Oif sur les dossiers chauds du pays.
Les compliments et complicités
Après 19 ans au pouvoir (1981-2000), marqués par des crises aiguës, éclipsé pendant 12 ans par son éternel challenger Wade, Diouf connaît un retour en grâce. Il y a comme une réhabilitation de l’homme et de ses méthodes par Macky Sall. On ne compte plus les complicités et les compliments entre l’ancien chef de l’Etat et le pouvoir en place. Beaucoup d’actes politiques contribuent à le poser comme le grand inspirateur de l’actuel régime.
Y a-t-il chez Macky Sall une volonté d’endosser et d’assumer l’héritage de Diouf ? Malgré 12 ans d’intervalle entre les deux règnes, la continuité de l’action politique est frappante. Sans l’avoir cherché, Wade y est sans doute pour quelque chose. La gestion libérale, marquée par le vestige des scandales à milliards, à fait redécouvrir les vertus de la méthode Diouf : Sobriété, sérénité, solennité. L’empreinte des trois «S» sous le sceau desquelles est placée la deuxième alternance.
Elu le 25 mars 2012, le premier acte politique majeur de Sall est de réactiver la Cour de répression de l’enrichissement illicite, la Crei, une institution créé par Diouf. Le ministère du Plan, poste que Diouf lui-même avait occupé, est ressuscité après 12 ans d’éclipse libérale. La résurrection du Bureau organisation et méthode (Bom) marque le retour à une orthodoxie chère à l’ancien président socialiste. Quand Diouf pose l’Acte II de la décentralisation, c’est Macky qui prépare l’Acte III.
Les hommes-clés de Diouf sont en place dans l’establishment actuel. Son ancien héritier présomptif, Tanor Dieng, est une éminence grise de son Excellence Macky. Son ami Habib Thiam, a été tiré de sa retraite politique pour être consulté par le pouvoir. Son dernier Premier ministre, Mamadou Lamine Loum, est le vice président de la commission de réforme des institutions. Des rumeurs insistantes avaient annoncé son retour à la Primature. Abdoul Aziz Tall, puissant Dg de la Lonase sous le régime socialiste, dirige le cabinet présidentiel.
Quand on feuillette la trajectoire politique du Sénégal, des faits rejaillissent qui confortent le rapprochement entre les 2ème et 4ème présidents du Sénégal. Et parfois le hasard s’en mêle. Héritier de Senghor, Abdou Diouf prête serment le 1er janvier 1981 devant le premier président de la Cour suprême, Kéba Mbaye. Ce dernier l’invite à «l’ouverture politique et à la justice sociale». Des propos que Macky Sall semble avoir pris à son compte, trente ans plus tard. C’est d’ailleurs le fils de ce juge, considéré comme une autorité morale sous le régime socialiste, qu’il choisit comme Premier ministre. Le choix d’Abdou Mbaye rappelle d’ailleurs le profil d’Habib Thiam, passé par la banque avant de revenir avant la Primature en 1991.
En 1983, le Président Diouf limoge son Premier ministre. Les raisons qu’il avance annoncent curieusement les directives reçues par Mimi Touré, fraîchement nommée Premier ministre. Diouf évoque la nécessité pour le gouvernement de plus d’efficacité de rapidité et de simplicité. En somme, une autre façon «d’accélérer de la cadence» avant l’heure.
Les excès du régime libéral ont fait regretter la retenue du technocrate effacé
Avec le temps, l’image de Diouf a positivement évolué. Il n’est plus vu comme ce président qui a inspiré à ses compatriotes un violent désir de changement après 40 longues années de règne socialiste. Paradoxalement, c’est Wade qui a le plus contribué à réhabiliter son prédécesseur. Les excès de son régime ont fait regretter la retenue de ce technocrate effacé, façonné par Senghor.
La majorité des Sénégalais, ayant moins de 30 ans aujourd’hui, n’a pas vécu les crises de son règne (dévaluation du Cfa, années blanches, grèves à répétitions, etc.). Beaucoup ne retiennent de lui que son départ chevaleresque du pouvoir. Diouf a su terminer en beauté. Il avait rétabli les équilibres macro-économiques, assaini les finances publiques et laissé une croissance positive. De quoi inspirer une nostalgie légitime. Son attitude après son départ du pouvoir a renforcé son prestige…
Elu secrétaire général de la Francophonie en 2003, Abdou Diouf a observé un mutisme complet sur les affaires de son pays. Même au moment critique de l’élection présidentielle de 2012, il n’est pas sorti de sa réserve. A peine-a-t-il exprimé une inquiétude voilée au paroxysme de la crise pré-électorale : «Je prie continuellement pour mon pays», avait-il opposé aux sollicitations pressantes des médias. Au nom de ce principe, son organisation, l’Oif, s’était abstenue d’envoyer des observateurs à Dakar.
Ses fonctions internationales aux côtés des grands de ce monde, lui confèrent un surplus d’aura. Son statut fait de Diouf une figure tutélaire. Sa réaction à l’élection de Macky Sall sonne comme un adoubement politique et annonce déjà une certaine hérédité. «C’est le président qu’il faut. Pour avoir dirigé ce pays, je sais combien la tâche est difficile. Et, c’est l’homme qu’il faut au Sénégal en ce temps de crise», avait salué Diouf, dans un rare accès d’enthousiasme.
Mais en jouant sur la filiation politique avec lui, Macky crée aussi une distance critique avec son prédécesseur immédiat, Me Wade. Macky Sall aurait choisi Abdou Diouf pour l’accompagner aux funérailles de Mandela. Il a été finalement empêché par son malaise. A l’image des grands de ce monde, le Sénégal aurait donné ainsi l’image des démocraties accomplies, avec plusieurs anciens présidents.
En plus d’Obama, les Etats Unis avaient amené trois anciens locataires de la Maison Blanche (Jimmy Cater, Bill Clinton, W. Bush). Sarkozy a accompagné son tombeur Hollande à Soweto. Au-delà de l’effet Mandela, la cohabitation entre un président en exercice et les ex est aussi la marque d’une démocratie majeure, le signe d’une transmission apaisée du pouvoir. Et c’est un fait quasi inédit dans l’histoire politique du Sénégal : deux ex-présidents sont présents sur la scène publique. Mais, combien devra coûter la photo de famille qui réunira Macky Diouf, Wade ?