ABDOU FALL ÉCRIT À MIMI TOURÉ
EXCLUSIF SenePlus : IL Y A TROP DE DÉSORDRES AU SEIN DE VOTRE COALITION . IL VOUS SERA DIFFICILE DE DONNER UN NOUVEL ÉLAN AU PAYS SI MACKY SALL NE VOUS ACCORDE LES MOYENS D'UN MINIMUM DE COHÉRENCE, DE DISCIPLINE ET DE STABILITÉ
Madame le premier ministre, le président Macky Sall a investi sa confiance en vous en vous nommant chef du gouvernement. Vous pouvez me compter parmi le bon nombre de nos compatriotes qui ont accueilli cette nomination avec plaisir et auprès de qui elle a suscité le réel espoir de donner un nouvel élan à la marche du pays. (...)
De Senghor à Wade, en passant par Diouf, les nouveaux dirigeants ayant accédé à la direction du Sénégal se sont attachés à d'abord marquer leur espace de pouvoir soit en supprimant purement et simplement la fonction de chef de gouvernement, soit en s'aménageant un délai de conquête de cet espace lorsque les circonstances et les rapports de force politique ne s'y prêtaient pas.
Le président Senghor a supprimé la fonction de chef du gouvernement à la faveur de la reforme constitutionnelle de 1963, suite à la crise de 1962 l'ayant opposé au président du Conseil Mamadou dia, pour régner en maître absolu sur le Sénégal de 1963 à 1970.
Le président Abdou Diouf en fera autant en 1981 en confiant au premier Moustapha Niasse la mission de soumettre à l'Assemblée nationale le projet de loi constitutionnelle devant effacer la fonction qui lui était lui-même dévolue afin de mettre son chef d'alors dans les conditions de marquer son territoire et d'asseoir son autorité sur les institutions, le pays et les hommes.
Le rôle historique des Premiers ministres au Sénégal depuis Senghor
Si Senghor et Diouf ont pu y arriver, c'est parce qu'ils étaient adossés à un parti socialiste hégémonique qui dominait largement la scène politique et exerçait un contrôle absolu sur une Assemblée nationale qu'au sortir de la crise de 1962 le président Senghor avait quasiment réduit en appendice du pouvoir exécutif marqué par un hyper présidentialisme sans limite.
Les contextes politiques ayant considérablement changé depuis lors ni Wade, ni Macky ayant tous les deux accédé au pouvoir à la faveur de larges coalitions étaient condamnés à gérer un processus de transition le temps de se donner les moyens politiques de leur émancipation d'alliances non construites sur la base de convergences minimales en matière de gouvernance.
Et chacun a géré sa transition dans son style et selon le contexte. Le président Wade ne s'est pas gêné à inviter le Premier ministre Moustapha Niasse à dissoudre son parti dans le PDS pour pouvoir continuer de justifier cette cohabitation qui ne disait pas son nom au sommet de l'Etat. Ne l'ayant pas accepté, Niasse était déjà préparé à une séparation qui n'a pas tardée, encouragée par ailleurs par la jeune garde wadiste d'alors pressée de prendre les commandes.
Dans un style plus soft, le président Macky Sall a préfère quant a lui s'attacher d'emblée les services d'un technocrate bon teint qu'il s'empressa de dissuader de toute velléité d'engagement en politique, lui signifiant par la, pour qui sait lire, que monsieur Mbaye était à la tête d'une équipe de transition le temps que le président se donne les moyens d'un compromis qui soit gage de stabilité et de durabilité de son régime dans un contexte de coalition gouvernante manquant notoirement de cohérence .
Le président Macky Sall a été Premier ministre avant d'avoir été président de la République. Personne n'est donc mieux placé que lui pour savoir que la fonction de chef de gouvernement est éminemment politique ! Rien de tout cela ne pouvait échapper à Abdoul Mbaye qui a eu maintes occasions de nous gratifier de sa culture, de son intelligence et de son brio .
Et c'est certainement ce qui a justifie la sérénité et l'élégance avec lesquels il a organisé son départ de la primature. (...)
Madame le Premier ministre, on en arrive à une nouvelle étape dans le processus de mise en œuvre du "projet Macky Sall ". Si votre nomination a suscité des espoirs réels dans de larges franges de l'opinion, c'est parce que vous êtes distinguée dans l'équipe gouvernementale sortante comme celle ayant porté avec détermination et courage un projet de rupture dans le secteur qui vous était confie. J'ai, pour ma part, beaucoup de réserves sur la manière dont ce projet a été mis en œuvre. Mais ceci n'est pas pour l'heure l'objet de mon propos.
Ce que je retiens d'essentiel, c'est le courage, la détermination, l'esprit de suite et la cohérence dans la perspective qui était la vôtre. Qu'on la partage ou pas, l'honnêteté commande qu'on vous accorde crédit et respect. Autrement dit, je suis de ceux qui pensent que vous avez toutes les qualités pour réussir la mission qui vous est confiée. Mais autant ces qualités sont absolument nécessaires pour vous faire mériter la fonction, autant elles sont bien loin d'être suffisantes pour vous garantir le succès.
Trop de désordre pour pouvoir gouverner sereinement
Je me permets de vous le dire en toute franchise et en toute amitié. Le président de la République vous aurait davantage mise a l'aise s'il avait fait précéder votre nomination d'une large consultation politique. Je dis bien "consultation" et non" concertation " pour ne pas donner l'impression d'empiéter de quelque manière que ce soit dans son entière prérogative constitutionnelle de nommer qui il veut aux charges publiques.
Mais je pense qu'en l'état actuel du pays où le doute et le scepticisme gagnent de larges secteurs de l'opinion impatients de voir les réformes structurelles engagées, il eut été indiqué qu'un préalable d'une vigoureuse reprise en main de la coalition au pouvoir permette une convergence minimales sur les objectifs politiques et une mise en cohérence des stratégies entre principales forces au pouvoir. Ceci aurait donné davantage de clarté dans la perspective qui est celle de son équipe dont nous saluons en passant la qualité de la plupart des hommes et femmes qui la constituent.
Il y a eu trop de désordres au sein de votre coalition. Il vous sera difficile de donner un nouvel élan au pays si le président Macky Sall ne vous accorde les moyens d'un minimum de cohérence, de discipline et de stabilité dans l'attelage que vous gouvernez. D'abord au sein de l'APR, entre l' APR et Macky 2012 d'une part , entre cette entité et la coalition Bokk Yakaar d'autre part, il y a bien des ajustements à faire et des équilibres à renégocier .
Vous êtes mieux placé que moi pour en appréhender les contours et les enjeux, il n'en reste pas moins que nous avons notre mot à dire car il est ici question de notre pays et de son devenir.
Permettez moi aussi de me payer le luxe du rêve en vous disant que vous auriez été encore bien plus armé pour entreprendre et conduire les réformes si l'autre préalable des chantiers institutionnels avait été réalisé. A moins qu'il ne doive vous revenir la mission d'en accélérer la cadence !
Je souligne simplement qu'il vous faut constamment garder à l'esprit une donnée de notre environnement politique. Les oppositions redoutables sont celles incrustées au sein des majorités politiques. Autant le président Diouf que le président Wade ont perdu le pouvoir du fait de contradictions internes non maîtrisées au sein de leurs régimes respectifs.
Des familles socialistes et libérales éclatées ont jeté hors du pouvoir leurs leaders les plus emblématiques pour ouvrir la voie à leurs adversaires les plus habiles. N'ayant pas fait en amont tous ces réajustements qui s'imposent au sein de l'actuelle majorité, nous osons espérer que la préparation de votre prochain discours de politique générale devant l'Assemblée nationale sera l'occasion de cet exercice salutaire pour la crédibilité et la stabilité de l'équipe qui nous gouverne.
Et précisément cette concertation préalable devra, à mon humble avis, dépasser la seule sphère des politiques pour embrasser le secteur privé et la société civile qui nous donnerait les moyens d'une convergence minimale sur nos priorités de développement ainsi que les moyens de négociation des conditions de pacification de l'espace politique et sociale comme gage d'efficacité et de succès.
Nous ne rappellerons jamais assez, madame le Premier ministre, que plus d'un demi siècle après notre indépendance, notre pays n'arrive pas encore à réaliser son autosuffisance alimentaire , encore moins son indépendance énergétique. Les rendements de notre système éducatif restent faibles et notre système de sécurité sociale continue d'exclure près de 80% de la population du droit à des soins de santé de qualité, le temps que votre politique d'assurance maladie universelle ne se mette en place.
Alors que tous ses fondamentaux et d'autres encore sans lesquels aucune politique de croissance durable n'est possible ne sont encore réalisés, vous avez à faire face à des urgences sociales, notamment le coût de la vie et les perspectives pour l'emploi des jeunes entre autres sur-priorités.
C'est dans l'unité, la cohésion, le consensus minimale avec le secteur privé, les travailleurs et la société civile et dans pratique de la concertation et de la consultation des personnalités de bon conseil que vous trouverez assurément les moyens d'une majorité d'idées qui transcende réellement les clivages partisans et les jeux des lobbies et groupes d'intérêts pour construire un large élan mobilisateur au service exclusif du Sénégal et des Sénégalais.
La rupture attendue par les Sénégalais
Tout cela pour vous dire madame le Premier ministre que vous pouvez bien y arriver à condition que le président de la République, chef de la majorité qui nous gouverne, vous donne les moyens politiques, je dis bien politiques, de votre succès qui sera le sien et celui du pays . Mais il vous appartiendra par contre d'être le maitre d'œuvre de toute cette démarche de rupture sur laquelle le nouveau régime est attendu depuis 18 mois.
La rupture que les sénégalais attendent c'est d'avec une conception élitisme et prétentieuse du pouvoir pour mettre en lieu et place une stratégie qui met les acteurs du développement et le citoyen au cœur des politiques de changement. Le changement sera l'œuvre de nos compatriotes qui ne demandent qu’à être écoutés, associés, mis en confiance et responsabilisés.
La rupture sera aussi dans votre détermination à tirer le meilleur parti de la coopération avec nos voisins, nos frères, sœurs et partenaires de la sous-région et du continent dans la construction d'un marché sous régionale viable et à la promotion d'une Afrique unie, démocratique et solidaire.
En résume et au total, les clés de votre succès qui se confondent au demeurant avec celui du pays sont dans votre capacité à négocier avec le président de la République, et sur la base de la confiance qu'il vous a accordé, les mandats qu'il faut pour dialoguer avec tous, y compris l'opposition dans une perspective qui nous éloigne de la société de méfiance et de défiance dans laquelle nous sommes plongés depuis de longues années pour construire ensemble la société de confiance sans laquelle nous ne saurions gagner le pari de l'efficacité et du succès .
Abdou fall - Président du Mouvement politique citoyen "Andu Nawle" - Paris, le 9 septembre 2013