ACTE 3 DE LA DÉCENTRALISATION ET PLAN SÉNÉGAL ÉMERGENT
La problématique du profil des élus locaux et des acteurs directs de la décentralisation peut-elle induire une relecture de certaines dispositions de l’acte 3 de la décentralisation, cadre opératoire du Plan Sénégal émergent (Pse) ?
Le Sénégal a toujours opté pour une politique de décentralisation prudente et progressive, mais irréversible. Cette option stratégique des pouvoirs publics, réaffirmée à travers le titre XI de la loi constitutionnelle du 22 janvier 2002 adoptée par référendum, contribue à mieux impulser un environnement politico-administratif propice au progrès de la qualité et de la quantité des services techniques déconcentrés.
Aujourd’hui, les différentes réformes induites par l’Acte 3 de la décentralisation, à travers la loi n 2013-10 du 28-12-2013, s’inscrivent dans cette dynamique et marquent un tournant décisif dans la consécration d’une gouvernance au Sénégal avec l’avènement de territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable.
Dans cette optique, le nouveau dispositif décentralisé nous offre, aujourd’hui, 602 collectivités dont 42 départements et 560 communes pour 2 340 élus au niveau départemental tandis qu’au niveau communal, l’on note 25 mille 688 élus dont 356 issus des 3 communes de Ville de la région de Dakar.
Conscients de l’envergure et de l’importance des charges dévolues à la gestion et au management des collectivités locales, les pouvoirs publics ont voulu résoudre les éventuels écueils liés au défi de la formation par l’article.12 : «Les élus des collectivités locales ont droit à une formation adaptée à leur fonction.» (Article 12, Al 1, Ch. II, Titre I du Code général des collectivités locales.) Ce droit inédit depuis le 22 mars 1996 (...) est d’essence constitutionnelle et garantit le droit à l’éducation et à la formation à tout citoyen.
Cependant, cette volonté d’accompagner le processus de décentralisation par la formation ne nous semble pas constituer un gage suffisant permettant d’avoir une nouvelle génération de leaders mieux outillés, mieux formés et dotés de compétences managériales et de gestion en raison de la conjonction de plusieurs facteurs dont voici quelques exemples.
1. La standardisation des sessions de formation et ses effets induits
D’abord, les plans de formation souvent déroulés sont standardisés et ne prennent pas en compte les profils d’entrée de chaque élu pris individuellement en dépit des niveaux très hétérogènes voire disparates : existence d’acteurs locaux peu lettrés en français issus pour la plupart de la communalisation radicale (ou intégrale) des 385 communautés rurales du Sénégal.
Ensuite, l’approche modulaire spécifique notée dans les programmes, plus adaptés à des niveaux académiques avancés, en sus de la brièveté des sessions sur des problématiques très pointues, axées principalement sur la fiscalité locale et les procédures de gestion foncière et domaniale, par exemple, témoignent de la complexité des problèmes à résoudre pour relever le défi de la formation...
A son application en 1996, 80% des 14 mille 050 élus étaient analphabètes. Combien de milliards a coûté la mise en œuvre de la totalité des programmes de formation des élus, entre autres, projets comme le Pnir, le Psidel, le Padelu et l’Objectif stratégique n°2 Etat du Sénégal et gouvernement des Usa à travers l’Usaid ?
Quels ont été les impacts de toutes ces formations sur le management et la gestion des «Affaires locales» ? Quelles ont été les dérives de gestion corrigées par les formations ?
Et si le management et la gestion des collectivités étaient l’affaire de compétences avérées avec des profils préalablement formés, à la gestion du développement local pour nous épargner autant de séminaires voire de «séminérites» comme dans les exemples expérimentés avec des succès probants en Tunisie et au Rwanda ?
Cette option, loin d’être une politique d’exclusion visà-vis de certains types de Sénégalais, est une mesure de sécurité et d’optimisation de la gestion dans un contexte de raréfaction de nos ressources budgétaires, correspondant à une période marquée par l’avènement de nouvelles relations basées sur des opportunités du Partenariat public privé (Ppp) et des emprunts obligataires au-delà de simples contrats d’affermage ou de concession comme stipulé dans l’ancien Code de 1996.
2. Langue de communication et de gouvernance des «Affaires locales» : le français, une langue élitiste et bourgeoise et, paradoxalement, seul outil de communication et de gestion au Sénégal
Au regard de l’Art. 92 alinéa 3, Ch. III, Titre III, Code général des Cl : «Les membres du bureau (du Conseil municipal) en raison des responsabilités qui leur sont dévolues, doivent savoir lire et écrire (dans la langue officielle).» Cette disposition pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. «Savoir lire et écrire en français» est-il un critère pertinent d’évaluation des compétences et habiletés techniques d’un élu préposé voire exposé à des actes de gestion qui demandent des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être ?
Pis encore, cet alinéa 3 a été modifié, à l’Assemblée nationale, par 38 députés contre 2 désapprobations, suite à la vague de protestations ayant conduit le législateur à reconsidérer ces dispositions par «savoir lire et écrire» (tout court), tant pour les exécutifs des conseils communaux que départementaux (articles 31, 92 et 95).
N’est-ce pas finalement une grosse pirouette et un paravent au profit d’une clientèle politique insuffisamment outillée en gestion et management, mais très, très influente ? Cette modification constitue, incontestablement, un net recul par rapport au Code de 1996.
Si administrer c’est écrire, comment peut-on parler de gestion administrative et financière dans un contexte d’analphabétisme ou d’une très faible maîtrise du français, langue élitiste et bourgeoise certes, mais paradoxalement seul et unique outil de gouvernance des collectivités où toutes les lois et procédures sont écrites et déroulées dans cette même langue ?
Ces problématiques seront davantage corsées dans la phase 2 de l’Acte 3 par le transfert possible de nouvelles compétences dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’hydraulique et du tourisme. Des charges qui induisent la gestion et l’arbitrage de contentieux (les forages, par exemple), des mécanismes financiers innovants et la promotion d’une véritable gouvernance budgétaire.
Face à ce paradoxe, une alternative réaliste : l’alphabétisation et la reconnaissance des langues nationales comme langues de gouvernement et de «gouvernabilité» des pouvoirs locaux, la traduction des principaux textes et la formation modulaire spécifique des élus.
Cette option aurait le mérite de dérouler des sessions dites «formations à la carte» étalées au cours de la mandature des cinq années dévolues aux collectivités et administrées sur la base d’une pédagogie différenciée qui privilégie, entre autres critères, la composition de cohortes homogènes prenant en compte les langues nationales.
Un antidote aux séminaires voire «séminérites» interminables avec des élus aux profils hétérogènes et disparates partageant un même plan de formation, la même approche modulaire ainsi que les mêmes stratégies de formation. Cette standardisation radicale des formations est inappropriée, inopérante, et gaspilleuse de ressources.
La réussite de l’Acte 3 est à ce prix : l’investissement (rationnel) sur le développement du capital humain, idée si chère au Président Macky Sall ; socle érigé dans le Pse en Pilier n 3 intitulé «Gouvernance, institutions, paix et sécurité».
3. Pour l’avènement d’une nouvelle génération de leaders-manageurs des conseils élus
Pour ce faire, dans les départements et certaines communes dont le budget atteint un montant arrêté par décret, il urge d’exiger un quotient d’élus dans les listes d’investiture des potentiels candidats (on pourrait échelonner les taux entre 30et50%)d’unniveaubac+2ou3 suivant les cas. Les fonctions de membres de bureau d’un conseil élu, fussent-elles électives, doivent privilégier le choix de profils adéquats soumis à des obligations de rendre compte et de résultats à partir d’évaluations à mi-parcours.
C’est dire que la composition des conseils, dès la phase investiture, mérite d’être encadrée par des réformes pertinentes exigeant la présence sur les listes de chaque Parti d’un pourcentage (à déterminer par la loi) de personnes ressources techniques au niveau de tous les départements et des communes économiquement fortes.
A défaut, nos entités porteraient en elles-mêmes les stigmates et les tares de leur auto-développement avant même le démarrage des exercices budgétaires.
Ainsi, les personnes ne répondant pas aux critères prédéfinis, quel que soit leur niveau d’influence et de leadership tant au niveau local que national, pourraient continuer à participer à la gestion des «affaires locales» dans des commissions et autres organes consultatifs mis en place pour accompagner le développement local dans une démarche dynamique, participative, inclusive et itérative.
Si la vraie motivation est de servir la communauté, cette station est réaliste voire enviable pour ceux qui entendent servir sans desservir, servir sans se servir. Pourquoi ne donnons-nous pas l’occasion aux citoyens-électeurs contribuables la possibilité de choisir leur maire, leur président du Conseil départemental ou leur manageur du pôle territoire (en cas d’achèvement de la phase 2 de la réforme) en permettant aux potentiels candidats de se dévoiler, dans les investitures, au niveau de la liste majoritaire, par exemple ?
Cette idée avait été agitée sans succès avant les Locales de 2013.
4. Statut de l’élu local / Valorisation de la fonction
La fonction est sacerdotale et pleine de contraintes. Ainsi, les différentes Associations d’élus regroupées au sein de l’Uael avaient élaboré, dans un mémorandum, des orientations axées principalement sur la nécessite de leur garantir, entre autres privilèges, une plus grande sécurité, une meilleure protection judiciaire, un rang protocolaire juste et des avantages comme le passeport diplomatique, l’accès au salon d’honneur.
A cela, nous pouvons ajouter la sécurisation de leurs postes pour ceux qui exercent des emplois rémunérés dans certains établissements, le renforcement de leurs pouvoirs de police, le privilège de juridiction pour les présidents de Conseil départemental et, ultérieurement, les manageurs des pôles territoires ; leur prise en charge médicale, éventuellement et, enfin, une retraite municipale à l’instar des députés.
5. Fonction publique locale / Profil du personnel
Le statut des travailleurs des collectivités locales a déjà fait l’objet d’une loi et d’un décret. Il reste indéniable que la mise en place d’une Fonction publique locale est l’un des gages essentiels pour la réussite de la réforme. Il importe cependant de mieux professionnaliser les modalités de recrutement en définissant au préalable les fiches de poste et les référentiels de compétence subséquents.
Les ministères en charge du recrutement pourraient constituer un répertoire fiable sur les demandeurs d’emploi répondant aux profils dans la Fonction publique locale à charge pour les Collectivités territoriales de lancer des annonces publiques de recrutement en relation avec leurs possibilités budgétaires.
Ces préalables garantissent, comme dans le secteur privé, outre la saine compétition et la transparence, l’obligation de résultats des agents recrutés prioritairement parmi les résidents de la Collectivité demanderesse. L’établissement de feuille de temps mensuelle et des tableaux de bord permettrait de mieux évaluer le niveau de performance de chaque agent.
Cette exigence pourrait être étendue à toute l’Administration publique pour créer les véritables conditions de rupture en passant, «d’une logique de commandement à une dynamique de développement», comme suggéré par le Président Sall, lors du Forum sur le financement des Partenariats de type public-privé (Ppp). Cette mutation constitue les fondamentaux des obligations de performance et de résultats devant régir les relations partenariales entre administrateurs et citoyens-usagers payeurs.
6. Rapports entre maires ordonnateurs et comptables publics-receveurs payeurs.
Les relations sont organisées par de nombreuses dispositions dont l’article 13 du décret 66-510 du 04 juillet 1966 portant régime financier des Cl ainsi que les articles 268-269 du Code général des Cl. Ces deux acteurs de la gouvernance économique et budgétaire sont appelés à avoir des relations partenariales apaisées et transparentes, préalables au développement des collectivités locales.
D’où la nécessité d’un allègement des procédures de décaissement en cas d’urgence (catastrophes naturelles, incendie, etc.) et d’un appui-conseil pertinent des comptables en lieu et place de contentieux souvent diffus ou larvés constamment décriés (...)