ADMIRÉ PAR WADE, SNOBÉ PAR MACKY
MODOU FALL, PRÉSIDENT DE "SÉNÉGAL PROPRE"

Depuis huit ans, il sillonne Dakar avec son balai, sa pelle et ses sacs poubelles. Sa mission ? Rendre la capitale propre. Protéger l’environnement. Sans un sou en retour. Modou Fall est à la tête de ‘’Sénégal propre’’, une association qui regroupe aujourd’hui 210 volontaires.
Son accoutrement de la tête aux pieds est un tas d’ordures. Un chapeau fait de tasses jetables reliées à des sachets plastiques masque son visage au teint foncé et aux traits marqués. Un lourd manteau de bouts de cartons, de morceaux de tissus et divers objets usés enveloppe sa mince silhouette élancée. Lors des grands évènements où le luxe se la dispute avec le raffinement, ses fréquentes irruptions inopinées interpellent.
‘’Un tas d’ordures au milieu de la luxure attire naturellement l’attention, opine Modou Fall, fondateur de ‘’Sénégal propre’’, une association comptant 210 volontaires engagés dans la lutte contre la saleté. Mais quand ce tas d’ordures se déplace, il suscite la curiosité, des questionnements, parfois la peur et souvent le dégout. La pitié et l’incompréhension quand les autres finissent par se rendre compte que c’est un être humain qui se pare de déchets, pour mener un combat.’’
Soldat aux ordres… durs
Depuis huit ans qu’il mène sa campagne de sensibilisation contre les ordures et les agressions contre l’environnement, Modou Fall croise sur sa route ses divers sentiments qui découlent du regard des autres. Mais cette curiosité qu’il suscite ne le fait pas dévier de sa route. Tous les jours, avec les 210 membres de son association, il sillonne la ville pour balayer, astiquer et transporter jusqu’à Mbeubeuss les ordures qui jonchent les trottoirs.
Tel un soldat sous les ordres durs de sa conscience, il accomplit sa mission sans aucune contrepartie financière. Lors des grands rassemblements publics, lui et ses hommes se pointent au moment où tout le monde tourne les talons. Ils ramassent les sachets plastiques, les petites bouteilles et les autres déchets abandonnés sur le sol. En fonction de la nature et de la quantité des ordures, ils les brulent sur place ou les acheminent au dépotoir de Mbeubeuss.
Tout a commencé en 2006. Modou Fall, 44 ans et père de deux enfants, était vendeur dans une boutique à Sandaga, pour le compte d’un Libanais. Constatant un jour que le marché n’était pas très bien nettoyé, les commerçants avaient refusé de payer la patente journalière. Les autorités laissèrent alors les ordures envahir Sandaga. L’odeur pestilentielle devient insupportable pour les commerçants et les clients. Modou Fall décide de prendre les choses en main.
Il va d’abord voir les délégués du marché pour qu’ils organisent une journée ‘’Set Setal’’. Il se heurte au refus de ces derniers de s’investir. Déçu par l’attitude de ces responsables, il décide, seul, de nettoyer le marché. ‘’Pendant 13 jours j’ai fermé ma boutique pour rendre propre le marché.’’
Chemin de croix
En se lançant ce grand défi, il ne pensait pas qu’il n’allait pas retourner à son commerce. Qu’il se lançait dans une aventure qui allait mobilisait son énergie et ses maigres économies. Pour les années à venir. ‘’Pour acheter le matériel (pour le nettoyage du marché), j’ai déboursé 300 000 francs Cfa, confie-t-il. Nous sommes 210 volontaires et chacun de nous assure son transport pour accomplir sa mission. Il m’arrive de payer des tickets pour 5 000 et 10 000 francs Cfa pour sensibiliser sur notre action en espérant que la population portera ce combat un jour.’’
Dans sa croisade contre l’insalubrité, Modou Fall a tout vu. Les promesses non tenues des autorités, les regards de dédain, les humiliations et les interdictions d’accès à certaines manifestations. Parfois, il est pris pour un fou. Même par des membres de sa famille. Il raconte : ‘’Un jour une tante m’a croisé en pleine manifestation. J’étais habillé en mode ‘’ordure’’ comme chaque fois que pour une manifestation publique. Quand elle m’a reconnu, elle s’est approché de moi et m’a appelé par mon nom. Sa voix tremblait, elle s’approcha encore plus de moi comme si elle ne voulait pas que les gens autour entendent ce qu’elle allait me dire. Elle me demande si c’est bien moi. À ma réponse affirmative, elle réplique par des sanglots.’’
Malgré les explications de son neveu, la tante de Modou Fall n’arrive pas à comprendre un tel ‘’revirement brutal’’. Elle tente de l’éloigner de son combat en lui proposant notamment un séjour aux États-Unis. C’est peine perdue. La tête de file de ‘’Sénégal propre’’ n’entend pas changer de cap. Même sa femme, qui ne cesse de l’y inviter, est comme confrontée à un mur d’obstination. ‘’Je ne peux plus abandonner parce qu’il y a des gens qui comptent sur moi’’, justifie-t-il.
Encouragé par Wade, snobé par Macky
Si une armée de volontaire l’a fait général en acceptant de se mettre sous ses ordres, Modou Fall ne sent pas encore l’appui des autorités publiques. L’ancien président Abdoulaye Wade l’avait félicité en lui envoyant une note et le mettant en rapport avec l’Aprosen, pour un maigre soutien (quatre cartons de produits de nettoyage, alors qu’il était question de brouettes, pelles, fourchettes, etc.), mais son successeur, Macky Sall, le snobe jusqu’à présent.
‘’Le nouveau régime n’a répondu a aucune de mes nombreuses correspondances. Pire ils m’ont chassé comme un malpropre à l’ouverture de la Fidak de 2012, fulmine-t-il. J’ai été bousculé et contraint de sortir de l’enceinte du CICES. J’ai été humilié parce que je voulais sensibiliser.’’
Sa consolation, ce sont les quelques victoires glanées sur le chemin de la lutte contre les ordures. La reconnaissance de certains acteurs du secteur, comme le ministre Aly Haidar à qui il avait confectionné une tenue faite d’ordures, comme la sienne, lors d’une marche de sensibilisation. Les félicitations de Wade. L’engagement des volontaires de ‘’Sénégal propre’’. Les encouragements de certains de ses concitoyens qui ont compris le sens de son combat. Autant de petits riens qui lui redonnent le souffle lorsqu’il est asphyxié par les épreuves dans sa croisade contre la saleté, pour la propreté.