ALAIN GOMIS : « Ce prix doit servir à remettre le cinéma sénégalais sur les rails »
FESPACO 2013

Samedi soir, après la cérémonie de remise des prix du 23ème Fespaco, nous avons trouvé Alain Gomis à Hôtel Splendide où il logeait, sur l’avenue Kwame Nkrumah de Ouagadougou. Entre ses mains, il avait la lourde statuette représentant l’Etalon d’or de Yennenga qu’il venait de remporter. Il s’est confié à nous.
Alain Gomis, j’imagine que vous devez être à la fois fier et heureux d’avoir rempoté l’Etalon d’or de Yennenga à l’issue du 23ème Fespaco…
« Il se passe tellement de choses en même temps que j’ai du mal à imaginer ce qui m’arrive (rires). Je suis très fier et heureux, et je pense surtout à tous ceux qui ont travaillé sur ce film, qui ont donné leur énergie, leur cœur pour qu’il se réalise. Cet Etalon d’or de Yennenga n’est pas à moi tout seul. C’est l’aboutissement d’une longue histoire, avec des gens qui, depuis des années, travaillent dans l’ombre pour que le cinéma sénégalais reste vivant alors que tous les côtés, il y avait des choses qui s’écroulaient. Je pense aussi à tous ces jeunes qui se battent pour faire des films. Ce prix n’est pas une fin, mais un début qui doit servir à remettre le cinéma sénégalais sur les rails. S’il faut juste le mettre quelque part chez soi, derrière une vitre pour le contempler, ce n’est pas la peine (rires) ».
Est-ce une lourde responsabilité d’être le premier cinéaste sénégalais à remporter ce prix prestigieux ?
« Franchement, je ne me sens pas comme le premier Sénégalais à avoir remporté l’Etalon d’or de Yennenga. Je considère que c’est juste un concours de circonstance qui fait que je suis aujourd’hui dans cette situation. Un cinéaste comme Ousmane Sembène avait décidé de ne jamais présenter ses films en compétition au Fespaco et Djibril Diop Mambéty aurait très bien pu recevoir ce prix. Les jurys, on sait ce que c’est et ce sont des bagarres à l’intérieur. Ce prix est tombé sur moi, mais je suis porté par toute une histoire cinématographique et je suis juste la main qui reçoit l’Etalon d’or, mais le corps est représenté par des générations entières de cinéastes sénégalais ».
Vous attendiez-vous à ce que votre film soit déclaré meilleur long-métrage, d’autant plus qu’il y avait de belles œuvres dans la sélection de cette année ?
« Honnêtement, je ne voulais même pas me poser cette question pour ne pas avoir des déceptions. Je considère ce prix comme un bonus et je prenais tous les jours, les uns après les autres, comme ils venaient. J’aurais été très heureux si c’était tombé sur un autre film, particulièrement celui de Moussa Touré. En tout cas, cette année était celle où le cinéma sénégalais avait plus de chance de remporter l’Etalon d’or de Yennenga et c’est formidable ».
Votre film a remporté des prix dans d’autres festivals, mais le fait d’être primé à Ouagadougou représente-il quelque chose de spécial pour vous ?
« Ici, l’émotion est multipliée par mille, c’est pourquoi en recevant le prix j’ai même dit des maladresses et oublié de le dédier à des personnes comme le regretté comédien Thierno Ndiaye Doss. J’ai également voulu rendre hommage à Idrissa Ouédraogo qui m’a beaucoup aidé à mes débuts et avec qui j’ai signé mon premier contrat. J’ai dit, en plaisantant, que c’était un mauvais contrat car j’ai signé les yeux fermés, sans réfléchir, tellement j’y tenais tellement à l’époque. Mais cette phrase a été mal interprétée par certains qui pensaient que j’ai voulu dire du mal à Idrissa, ce qui est tout à fait le contraire ».
Tu as dédié ce prix aux pionniers du cinéma sénégalais. Que représentent-ils pour toi ?
« Ces pionniers sont l’existence du 7ème art sénégalais car ce sont eux qui ont même construit la possibilité d’un cinéma au Sénégal. J’ai quelque chose de particulier avec Djibril Diop Mambéty qui est pour moi une inspiration permanente. Je me souviens, à mes débuts, j’étais allé le voir et nous avons eu des discussions très riches. Tous ces pionniers m’ont ouvert l’esprit. Ils ont ouvert des espaces pour les jeunes. En un certain moment, ils ont dit que c’est possible. Et cela, ça n’a pas de prix ».
Les années 2012 et 2013 ont été bénéfiques avec tous ces prix remportés à Carthage et à Ouagadougou…
« Disons que ce sont les années de la persévérance du cinéma sénégalais. Je suis très content d’être aux côtés de quelqu’un comme Moussa Touré qui a été d’une extrême gentillesse et d’une attention particulière envers moi. Il a montré mes films et a toujours été à mes côtés. Il méritait bien, lui aussi, de gagner l’Etalon d’or de Yennenga. Cette année, le Sénégal avait de très bons films au Fespaco et il faut continuer à pousser ensemble afin que notre cinéma aille plus en avant ».
Propos recueillis par MODOU MAMOUNE FAYE