ALIOUNE BADARA CISSÉ
CET ABC QUE SA RONDEUR MACKY NE MAÎTRISE PAS

A l’Apr, il n’y a pas de numéro 2. Le seul numéro qui compte, c’est l’Un, collé sur le dossard de Sa Rondeur Macky Sall. C’est le nouveau refrain qui fait fureur dans les rangs de certains responsables de l’Apr depuis la disgrâce d’Alioune Badara Cissé. Pourtant, disons-le comme ça, ils chantent tous faux… Abc n’est certes pas l’alpha de l’Alliance pour la République (Apr). Mais il en est l’un des géniteurs, comme il aime à le rappeler, histoire de prouver à ses détracteurs qu’il est encore là, et pour très longtemps... Il était une fois, un électron libre.
Pourtant, aux premières heures de la victoire de Macky Sall, le 25 mars 2012, c’est son nom qui est sur toutes les lèvres des Apéristes pour le strapontin de Premier ministre. Ce n’est sans doute pas pour ses beaux yeux que ce costume de Pm lui est déjà confectionné avant l’heure. L’homme en a la carrure et le parcours. En effet, le nom de ce brillant avocat polyglotte que l’on ne présente plus au barreau de Dakar s’est imposé dans landernau politique sénégalais. Certes, les Sénégalais ont vraiment découvert l’homme politique Alioune Badara Cissé vers les années 2003-2005. «Pourtant il était bien là, avant cette période car il était déjà militant actif du Pds à Saint-Louis», rectifie un de ses proches.
Au milieu des années quatre-vingts, Il est déjà de la nuée des jeunes avocats qui tournent autour du Pape du «Sopi», tel Ousmane Ngom (le chouchou de l’époque), Souleymane Ndéné Ndiaye, Makhfouss Thioye et tant d’autres jeunes avocats qui s’étaient laissé fasciner par ce formidable tribun qu’est le Père One Man Chauve. Ndar-ndar, comme Ousmane Ngom, il faisait partie de la colonne saint-louisienne qui occupait progressivement les premiers rangs au Pds, en concurrence avec la colonne thiessoise, emmenée par Serigne Diop, ensuite Boubacar Sall, puis Idrissa Seck.
Il est déjà là, dans la troupe, durant la folle épopée de 1988 qui consacre le One Man Chauve patron incontestable de l’opposition jusqu’en 2000. C’est en 1989 qu’Alioune Badara Cissé prend ses cliques et ses claques pour parfaire son Cv aux States. Il y ouvrira même son cabinet. Jusqu’en 2000, il disparaît de la scène politique, même s’il reste un enfant de Wade. A l’Alternance, le Père Wade le convainc de fermer sa boutique américaine pour rentrer l’aider à gouverner… Il ne réfléchit pas longtemps avant de plier bagages, destination Dakar. Et patatras ! A ce moment-là, l’homme fort du régime qui fait et défait les carrières, c’est le p’tit gars de Thiès, Idrissa Seck, qui se méfie de quasiment tout ce qui est avocat saint-louisien depuis le clash avec Ousmane Ngom, parti depuis 1998 créer son parti pour faire la guerre à Wade. Abc poireaute quatre interminables années dans la salle d’attente du Pape du «Sopi» sans vraiment savoir de quoi demain sera fait. C’est la disgrâce d’Idrissa Seck qui le remet en selle. Il est de la bataille qui le déboulonne…
QUATRE INTERMINABLES ANNEES A POIREAUTER DANS L’ANTICHAMBRE DU GOUVERNEMENT
Mais Alioune Badara Cissé sort véritablement de l’ombre en 2004 avec l’avènement d’un ami : un certain Macky Sall dont il est le directeur de cabinet puis le secrétaire général du gouvernement. Des fonctions qui font très vite de cet avocat un incontournable dans la galaxie wadienne. Au point de faire des jaloux qui l’accusent d’être «hautain» et «arrogant». «A un certain moment, Alioune Badara Cissé est devenu hautain et arrogant dans le parti car il est l’ami du Premier ministre Macky Sall, le numéro 2 du Pds. Celui-ci lui taille un statut et des privilèges que beaucoup de militants du parti bien plus constants que lui n’ont pas obtenu.», fait remarquer un responsable du Pds sous le sceau de l’anonymat. Forcément, pareille aubaine, ça fait des jaloux…
Ces positions tant enviées, Alioune Badara Cissé n’y tient pas pour autant. Et lorsque le Pds fomente un complot contre Macky Sall, alors président de l’Assemblée nationale et numéro 2 du Pds pour l’éjecter du perchoir, Abc est meurtri. Il tente l’impossible avec Me Wade pour éviter le divorce. C’est peine perdue. Abdoulaye Wade et certains de ses inconditionnels, mais surtout les supporters de Karim Wade, ne veulent plus voir Macky Sall même en peinture. Leur ingratitude n’a plus de borne : il vient pourtant de faire réélire le père Wade dès le premier tour, et de conduire la coalition qui s’empare de la majorité au Parlement. On lui cherche la petite bête quand même. Et à force, on trouve…
Quand Sa Rondeur Macky Sall, éjecté du perchoir et poussé à la révolte, démissionne du Pds et de toutes ses fonctions électives, son ami Alioune Baara Cissé en fait de même. Il veut ainsi prouver sa fidélité en amitié, mais surtout la perception qu’il a de la politique. «Alioune Badara Cissé est un homme politique vertueux. Il l’a prouvé à Macky Sall et aux Sénégalais. Il aurait pu rester avec Abdoulaye Wade et ne pas suivre Macky Sall, mais, en homme de principes qui croit en certaines valeurs, il est pour lui hors de question de sacrifier Macky Sall sur l’autel de ses propres intérêts», confie un de ses proches. Ça mérite peut-être d’être dit : ce n’est pas la thèse du «P’tit Railleur», mais on lui laisse le bénéfice du doute…
Il n’a pas tout à fait tort, car quand Macky Sall crée l’Apr en 2008, Wade fait des mains et des pieds pour empêcher Alioune Badara Cissé de le suivre. «Wade promet monts et merveilles à Alioune Badara Cissé pour qu’il trahisse Macky Sall car il sait qu’Abc représente beaucoup pour ce jeune parti. Et que sa démission de l’Apr peut à ce moment précis décourager Macky Sall. Mais Abc tient bon», ajoute un fervent défenseur de l’ex-numéro 2 de l’Apr.
Et comme première récompense, Alioune Badara Cissé est élu premier adjoint au maire de Saint-Louis en mars 2009. Une fonction qu’il quitte volontairement pour mieux se mettre au service de son ami Macky Sall candidat à la présidentielle de 2012. Il devient d’ailleurs le porte parole du candidat de la coalition Macky2012.
Quand Macky accède à la magistrature suprême, tous les regards se tournent vers Abc pour occuper le fauteuil du Premier ministre. Pendant que le nouveau Président de la République consulte ses alliés pour former son premier gouvernement, son bras droit Abc reçoit les jeunes et les cadres du parti pour les placer dans les différentes directions et agences nationales. Il est donc finalement nommé ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, numéro deux du Gouvernement, jusqu'en octobre 2012. Il est défénestré à la surprise générale. Depuis lors, c’est la descente aux enfers pour celui qu’on appelait le coordonnateur national de l’Apr. Un poste qu’on ne lui a jamais contesté. Les raisons de ce limogeage ? Mystère et boule de gomme. Macky Sall n’en parle pas. Alioune Badara Cissé non plus. Dans la presse, on évoque ses accointances avec les milieux de la drogue, dont un de ses clients… Depuis lors, l’avocat politicien broie du noir. Il s’envole en France pour rencontrer des militants inconsolables qui exigent sa réhabilitation. Ils se font appeler les «Abécédaires».
SA FORTE PERSONNALITE ECRASE MACKY
En réalité, Abc n’est pas un homme qui se laisse enterrer vivant. Il parle et donne son avis sur la marche du parti, mais aussi de l’Etat. Des prises de positions qui gênent au plus haut sommet de l’Etat. Et pour le punir, le Secrétariat exécutif national de l’Apr, sous la houlette du patron, met fin à ses fonctions de Coordonnateur national de l’Apr et le relève de toutes les instances de direction du Parti (Sen et Directoire politique national). Il lui est reproché «ses attitudes et déclarations en totale contradiction avec les orientations et la politique définies par le parti».
L’ex-patron de la diplomatie sénégalaise n’en a cure. Il se fait même insulter par des responsables du parti comme Mahmout Saleh qui ne peut pas le sentir. Mais Abc s’abstient de polémiquer ou de répondre au coup de pied de l’âne. «La bave du crapaud n’atteindra jamais la blanche colombe», rétorque-t-il à ses détracteurs. Une posture qui épouse bien un de ses traits de caractère. «C’est quelqu’un de très courageux, qui ne recule pas facilement face à l’adversité, mais qui n’aime pas la polémique. Et je parie qu’il ne démissionnera pas de ce parti malgré toutes les misères qu’on lui fait. Il va rester et se battre jusqu’à ce qu’on l’exclue ou qu’on le réhabilite», prédit un des «Abécédaires»
Pourquoi Macky Sall et ses camarades sont-ils devenus subitement allergiques à Alioune Badara Cissé ? La réponse vient d’un observateur politique de la scène politique sénégalaise : «La vérité est que Macky Sall a un complexe vis-à-vis de son ami Alioune Badara Cissé qui est une forte tête et qui dégage aussi une forte personnalité. On a même l’impression qu’Abc lui faisait de l’ombre. Et naturellement les mauvaises langues ont commencé à travailler les oreilles du président de la République au point de changer son ami en ennemi». Qu’à cela ne tienne, Abc croit en son étoile. Et rien ni personne ne l’empêchera d’y croire. «Je demeure entièrement et exclusivement maître de mon destin. Je ne suivrai que l’orientation que Serigne Touba m’aura indiquée. Je ne suis pas quelqu’un qui est dans les nuages. Je sais que tout le monde a une belle étoile, il s’agit juste de savoir lire le ciel», affirme celui qui est devenu l’homme à abattre au sein de l’Alliance pour la République. Les premiers pas d’une longue marche ?