"AMINATA TOURÉ A FABRIQUÉ DU MENSONGE"
ABDOUL MBAYE, ANCIEN PREMIER MINISTRE
Une semaine après la mise sur pied de son club de réflexion, l’ancien premier ministre Abdoul Mbaye est revenu jeudi dernier (30 octobre) avec EnQuête sur les questions brûlantes de l’heure : le dernier classement du Doing Business, les attaques de Mimi Touré relatives au procès Habré, la récente tournée économique du chef de l’Etat, la situation au Burkina Faso. Sur tous ces sujets, le président du club Vertu et Travail a répondu sans langue de bois.
Quelle lecture faites-vous du dernier classement du Doing business ?
Je crois qu’il faut s’en réjouir et surtout féliciter tous les acteurs qui ont permis au Sénégal de figurer parmi les dix meilleurs réformateurs mondiaux, je crois qu’on occupe la cinquième place. On a réussi à engager des réformes dans six des dix domaines concernés, suivis par le Doing business, et cela constitue un record. C’est un signal fort envoyé à la communauté internationale y compris d’ailleurs les investisseurs nationaux au moment où il faut mettre en œuvre le Plan Sénégal Emergent qui, en partie, repose sur un développement des investissements directs étrangers et sur les investissements nationaux.
Concrètement, comment analysez-vous le résultat du Sénégal ?
Vous savez, il y a des dates butoirs. Autant que je me souvienne, c’est la fin du mois de mars, lorsqu’on engage des réformes il faut réussir à les faire valider avant cette date et notamment pouvoir donner un effet visible par les personnes qui sont interrogées dans le cadre du Doing business. Donc, il y a eu un décalage. Mais c’est quand même le résultat de quelques années d’efforts continus, soutenus. On aurait pu aller sans doute un peu plus vite. Et il n’est pas toujours aisé d’identifier des réformes, de les mettre en œuvre et surtout de leur faire atteindre l’objectif qui leur était fixé. Mais là, il faut espérer que désormais le processus soit engagé. Les choses s’amélioreront.
Donc, vous pensez que le Sénégal est sur les bons rails ?
C’est comme ça qu’il faut le lire. Il faut être optimiste tout en sachant que le Sénégal doit chercher à améliorer son rang. Car cette position, 161 sur 189 pays classés reste encore améliorable. C’est le moins qu’on puisse dire. Et en la matière, je crois qu’il faut pouvoir se donner un objectif ambitieux et essayer de l’atteindre. Notamment le Sénégal peut apparaître et apparaît déjà géographiquement comme la porte de l’Afrique de l’Ouest. Il serait bon qu’en termes d’attractivité, le Sénégal puisse occuper une position de choix par rapport à l’ensemble des pays de l’UEMOA et de l’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, on doit pouvoir être en mesure de faire aussi bien sinon mieux que la Gambie qui est classée 138ème.
Et le Bénin, le Togo, . . .
Eh oui ! Avant le Sénégal il y a le Mali, le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, autant de pays qu’il va falloir dépasser. Mais c’est bien. Je crois qu’il est intéressant de pouvoir se mettre en compétition avec des voisins pour, comme je vous l’indiquais tout à l’heure, être les meilleurs en terme d’attractivité.
Donc, vous pensez qu’on peut améliorer le rang actuel ?
C’est certain. Avec les bonnes réformes, c’est toujours possible. Pourquoi ne pas viser à intégrer les 100 premiers et au-delà, se mettre dans une perspective visant à intégrer le top 50.
L’actuel Premier ministre vous a récemment rendu hommage pour le rôle que vous avez eu à jouer dans ces réformes. Quel commentaire vous inspire un tel acte ?
D’abord je souhaiterais l’en remercier. C’est vrai que j’ai été surpris par ces propos mais ils ne m’ont pas étonné car j’ai eu l’occasion d’apprécier M. Le Premier ministre dans d’autres circonstances. C’est un homme généreux, objectif, honnête. Il aurait pu ne pas faire ce commentaire. Il l’a fait à présent, cela m’a touché. Il s’est souvenu de ce qu’il a présenté comme étant mon rôle dans mes fonctions de Premier ministre après avoir hérité d’une situation financière, budgétaire difficile. Je pense que le gouvernement que j’ai eu à diriger a pu redresser les choses, rétablir les fondamentaux de notre économie. Et le Premier ministre s’est souvenu des rôles qu’avaient été les miens dans mes fonctions de directeur général de banque dans le cadre de la mise en place du bureau de mise à niveau, et ensuite au sein du conseil présidentiel pour l’investissement.
Contrairement à M. Mahammad Dionne, votre successeur, en l’occurrence Mme Aminata Touré, vous a accusé de manquer de courage dans le pilotage du dossier Habré. Que répondez-vous à de telles allégations ?
C’est quelque chose d’un peu difficile à commenter. Ce que je constate d’abord, c’est que le procédé n’est pas très élégant. Il consiste à fabriquer du mensonge, à le mettre dans ma bouche, à dire ce qu’on veut en dire en se présentant comme un procureur. Non je n’ai jamais dit que nous n’aurions pas dû organiser le procès Habré. C’est totalement faux. Par contre, ce procès, nous l’avons organisé. C’est un procès à risque pour une raison bien simple : Les victimes, les organisations des droits de l’Homme, la communauté internationale, bref, tout le monde se soucie de l’organisation d’un procès équitable. Un procès équitable qui ne vise pas seulement le Président Habré mais le ou les responsables des crimes qui ont été commis durant le règne de Hissein Habré à la tête du Tchad. Le ou les responsables doivent être cherchés dans le cadre d’une globalité de la chaîne de commandement. Par contre, dès qu’on commence à saucissonner, à considérer que certains doivent être jugés au Tchad et d’autres par les chambres africaines, il se pose un réel problème. C’est pourquoi j’ai dit que c’est un procès à risque.
Compte tenu des difficultés que vous venez d’énumérer, pensez-vous que le procès aura lieu ?
(Il marque une pause) Je ne suis pas madame Soleil mais le vrai problème, c’est moins la tenue du procès que la tenue d’un procès équitable. Et encore une fois, pour que le procès soit équitable, il sera nécessaire de pouvoir entendre l’ensemble des témoins concernés par cette affaire. Mais également, l’ensemble des personnes identifiées comme ayant fait partie de la chaîne de commandement. Je me souviens avoir lu dans l’hebdomadaire Jeune Afrique, qu’il y aurait eu 40 mille victimes. Je vois mal le président de la République Hissein Habré se mettant tous les jours à égorger autant de milliers de personnes, de Tchadiens et à les torturer. Je crois donc qu’il y a eu une chaîne de commandement qu’il est indispensable d’identifier.
Quel commentaire faites-vous de la situation actuelle au Burkina Faso ?
Un commentaire triste parce que ce qui se passe au Burkina Faso était prévisible. Manipuler les constitutions pour pouvoir rester plus longtemps au pouvoir, dans ce cas particulier après 27 années d’exercice de pouvoir, est quelque chose de terrible. Je pense que le président Compaoré a peut-être été mal conseillé ou a eu une mauvaise appréciation de la maturité politique de son peuple. Mais d’une manière générale, ce qu’il faut en tirer comme leçon, c’est que désormais en Afrique, de telles attitudes, seront de moins en moins tolérées car les modifications tous azimuts des constitutions pour rester au pouvoir ne seront plus acceptées par les peuples. Alors évidemment, on va regretter que cela se passe avec pour conséquences des morts et des destructions de biens.
Revenons au Sénégal, votre idée de privatiser la SENELEC n’a pas été bien appréciée par une certaine frange de la population. Certains vous accusent même de ne pas connaître les réalités du pays. Est-ce que vous ne vous êtes pas trompé sur cette question précise ?
J’ai exprimé une position personnelle ; d’ailleurs il faut que ça soit très clair. Ce n’est pas encore une position du club Travail et Vertu, c’est une position personnelle. J’ai bâti cette opinion par des constats. La gestion publique a des limites, surtout la gestion publique de l’entreprise de production. La gestion privée est sans doute celle qui peut permettre à des organisations complexes de parvenir à des résultats conformes à l’objet qui leur est assigné. J’en veux pour preuve le cas de la SONATEL qui, après sa privatisation,a pu se hisser au rang de numéro 1 au Sénégal et tient le haut du pavé sur l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest.
Mais la situation de la SENELEC n’est pas comparable à celle de la SONATEL...
Je pars d’un principe simple : la SENELEC est une entreprise ; elle a un objectif : fournir de l’électricité au coût le plus bas possible aux populations sénégalaises. Quand je dis populations, je veux parler aussi bien de personnes physiques que morales. C’est dire que les entreprises sont également concernées. Donc le système productif du Sénégal. Et pour atteindre cet objectif, on n’a pas besoin de recourir à une gestion de type public. Malheureusement, c’est le cas. Depuis sa création et en toute sincérité, il y a des problèmes à la SENELEC, vous allez accepter cela avec moi. Dans d’autres pays et même dans le nôtre, on a réussi à inverser des tendances par le biais de privatisation partielle. C’est pourquoi je faisais ce parallèle avec la SONATEL. Ceci dit compte tenu du caractère stratégique de cette entreprise, il est quand même indispensable de laisser l’Etat dans un rôle de régulation et de contrôle. Egalement de ne pas l’exclure totalement du capital. Mais la préoccupation principale visant à transformer la SENELEC en une entreprise performante capable de fournir de l’énergie au meilleur prix possible à l’ensemble de l’économie sénégalaise, je pense que cet objectif là est plus facile à réaliser par le recours à une gestion de type privé.
Vous avez été Premier ministre, est-ce qu’à l’époque, vous aviez émis cette idée ?
Nous nous sommes interrogés sur le type de gestion institutionnelle qu’il fallait pour la SENELEC, et la privatisation avait été au moins retenue pour la partie production. Je suis aujourd’hui un peu plus libre dans mes propos, c’est évident. Les propos que je suis amené à tenir n’engagent qu’Abdoul Mbaye. A l’époque quand même, c’était un Premier ministre qui était chargé de mettre en œuvre une politique gouvernementale, de la nation, définie par le président de la République.
Le chef de l’Etat vient de terminer une tournée économique dans la vallée et dans le Sénégal oriental, quelle appréciation faites-vous de cette initiative ?
Une belle appréciation, c’est une très bonne initiative. Je me souviens dans mes échanges avec Monsieur le président de la République avoir été marqué par cette sensibilité qu’il avait à l’égard du pays profond. Une situation qui découle des nombreuses visites à l’intérieur du pays que le candidat à la présidentielle qu’il était avait pu organiser. Je crois qu’il est important pour le chef d’un Etat de prendre régulièrement le pouls du pays profond, et c’est ce qu’il vient de faire. Il faut s’en féliciter. Je crois d’ailleurs, d’une manière générale, qu’il faut davantage voyager à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.
Durant ce périple, il a été surtout question d’autosuffisance alimentaire. Pensez -vous comme le président de la République que l’autosuffisance en riz est possible en 2017 ?
Le chef de l’Etat émet des objectifs et ces objectifs doivent être ambitieux pour mobiliser. 2017 est sans doute trop proche, mais à une ou deux années près, je pense que le Sénégal pourrait être en mesure d’atteindre son autosuffisance en riz à condition évidemment d’y mettre tous les moyens nécessaires. J’ai la certitude que Monsieur le président de la République est décidé à mettre le paquet afin d’accélérer la mise à disposition de périmètres irriguées pour la culture du riz, aussi bien par les exploitations familiales que par de grandes fermes. Donc, il ne fait pas l’ombre d’un doute que les moyens seront dégagés dans le cadre de ce projet. Et si nous arrivons à organiser l’autosuffisance en riz du Sénégal, même dans quatre, cinq voire six ans, on ne pourra que s’en féliciter.
Depuis la mise sur les fonts baptismaux de votre club de réflexion, l’on a constaté que la plupart des réactions sont d’ordre politique. Cela vous surprend-il ?
On s’y attendait, on l’avait prévu. Vous savez, les réactions sont d’ordre politique, d’abord par habitude. Donc nous ne sommes pas surpris par la tonalité de certaines réactions. On savait bien qu’en condamnant la transhumance politique, et une certaine manière de faire de la politique uniquement pour avoir un poste, les transhumants, les politiciens professionnels allaient s’en prendre à nous. Mais cela ne nous empêchera pas de poursuivre notre projet. Nul ne sera en mesure de nous interdire de réfléchir pour le bien de notre pays. D’ailleurs au moment où je parle, nous nous apprêtons à tenir le conseil d’Administration du club et faire le point sur les nombreuses demandes d’adhésion que nous avons déjà reçues. Ce qui prouve que nombreux sont les Sénégalais qui ne se retrouvent plus dans l’espace politique. Et qui souhaitent quelque chose de nouveau pour pouvoir participer à la construction de la démocratie dans notre pays.