MULTIPLE PHOTOSANNÉE DE DÉCHIRURES
On peut anticiper le moment d'émotion et penser à ce que les 100 000 spectateurs du Camp Nou vont, demain, réserver à Xavi. On s'imagine ce peuple du Barça debout pour la gloire de Xavier Hernández i Creus. Quand il sortira du tunnel, petit bout d'homme, la clameur montera pour l'ensevelir. Le Barça fêtera son titre de champion acquis dimanche dernier chez l'Atletico Madrid. Par la même occasion, il va célébrer le joueur le plus titré de l'histoire du club, un faiseur d'Histoire tout simplement.
Cette Histoire, Xavi l'a écrite tant de fois et si bien que ses 23 titres amassés en dix-sept ans de carrière professionnelle paraissent irréels.
A l'ombre de Messi, on ne devine pas l'œuvre grandiose qui est sienne. On ne peut dire que sans lui l'Autre ne serait pas devenu ce qu'il est, mais se retrouver trois fois deuxième du Ballon d'Or, derrière l'Argentin (2009, 2010, 2011) lui ouvre les portiques de la grâce. De grands joueurs de football l'ont plébiscité pour le sacre en 2011, Messi était insatiable.
Il arrive ainsi à des footballeurs de mal tomber. De débarquer dans un royaume ou le souverain, par sa gloire, éteint toutes les autres grandeurs. Mais la Fédération internationale des statistiques et de l'histoire du football a "osé" en faire le meilleur constructeur du jeu au monde en 2011. Il devançait Messi et Ronaldo.
En fait, Xavi est irréel. Le moteur du Barça, petit bout de chair dans cette colonie des 1,60 m, n'a jamais été autre chose que ce qu'il a toujours été. Un footballeur. Quitter ce qui a fait sa vie à 35 ans (il rejoint Al Saad, dans les Emirats arabes unis), après avoir régulé le Barça et ordonné le jeu de la Roja espagnole (championne du monde et deux fois championne d'Europe), est une belle échéance pour un footballeur.
On ne se doutait pas qu'il avait un tel âge. La mise en ordre du jeu barcelonais le portait à l'apothéose, gambadant sur la pelouse comme un gamin de 18 ans.
Xavi, c'est la Masia. Le pur produit barcelonais, materné, entretenu et projeté en pleine lumière à la fin des années 2000, quand il remportait sa première Ligue des champions avec Guardiola sur le banc du Barça. Possession de balle inestimable, dédoublement impressionnant, répétition des passes à l'envi et cette machine qui déroule, récitant son football comme tombé d'une autre planète, donnant envie d'entrer dans la danse pour accomplir l'acte ultime du but.
On a ainsi marqué des dizaines de fois pour le Barça, entrevoyant que ce qui se construisait ne pouvait être autre chose qu'une offrande pour les filets. Et Xavi manœuvrait, orchestrait, dansait comme un funambule fait pour servir l'avant-dernière ou l'avant avant-dernière passe…
Xavi doit être un homme heureux. Avoir fait partie de ce Barça source de tant de bonheur à travers le monde est un délice. On se demande parfois s'ils ont conscience de la grandeur de leur accomplissement, tant tout ce qui ahurit et éblouit paraît si simple sous leurs pieds de rêve.
Pour participer à cette féerie, Xavi est descendu quelque 760 fois sur la pelouse et s'en va après 17 années de carrière professionnelle.
Quand il est arrivé dans la "maison", en 1991, son compteur de vie était à onze ans. Le Barça n'avait pas la magnificence qui est sienne aujourd'hui, mais le groupe était riche de Koeman, Bakero, Laudrup, Stoitchkov, Pep Guardiola, etc.
Guardialo est revenu en 2008 pour conduire les destinées que Luis Enrique poursuit aujourd'hui. Des hommes que Xavi a connus au Barça. Le premier était dans la Dream Team avec Cruijff, le second fut son partenaire. C'est cette continuité qui fait du Barça une entité dont on porte les gênes pour entrer dans son histoire.
Xavi, on le pensait éternel. Lui aussi devait se croire, tout de peau vêtu, fait pour le cuir. Jusqu'à ce que les Pays-Bas (6-1) et le Chili (2-0) lui imposent des limites avec l'Espagne au dernier Mondial. Il avait 34 ans et sentait le monde lui échapper. Ce fut sa première retraite après 133 sélections. Demain sonne l'ultime révérence dans une carrière qu'il a consacrée au Barça, pour le meilleur qui cache tous les pires.
On ne l'a pas beaucoup vu cette année et il a senti qu'il devait partir. Al Saad l'accueille. Cela fera un superbe retraité pour ce club émirati. Un ambassadeur de charme pour quelques reportages sur quelques grandes chaines internationales. Ensuite, Xavi n'est fait pour rien d'autre que de devenir entraineur. Du Barça sans doute.
Samedi dernier, c'était Gerrard de Liverpool, demain samedi, c'est Xavi qui tourne la page. On ne sait qui viendra (peut-être Buffon de la Juve ?), mais cette année 2015 est déjà en elle-même celle de toutes les déchirures.