APRES L'INCENDIE DU MARCHE, LES DÉGUERPISSEMENTS
UNE COLERE NOIRE RYTHME LE QUOTIDIEN DE SANDAGA
Entre colère, consternation et désolation, les vendeurs du marché Sandaga ne savent plus à quel saint se vouer. Après une fermeture précipitée, un violent incendie aux conséquences encore incalculables, ils subissent des déguerpissements répétitifs. Le tout, sans même «une consolation» du président Macky Sall, après de lourdes pertes estimées à coup de centaines de millions.
Un bâtiment calciné, des débris de matériels et de marchandises méconnaissables au sol, une atmosphère nauséabonde qui nous prend les poumons. Impossible de respirer l’air pur, se frayer un passage. Des tas d’ordures amassés de part et d’autre. Des hommes et surtout des femmes qui s’affairent autour de leurs marchandises à même le sol, pour essayer de vendre le minimum leur pouvant assurer la dépense quotidienne. Des vendeurs sur les nerfs, mais affichant la sérénité, grâce à une foi inébranlable qui fait vivre et apaiser le cœur, même dans les conditions les plus difficiles. Sur place, l’incendie du marché alimente tous les débats. La consternation et la désolation sont les sentiments les mieux partagés, sur fond de profonds ressentiments. Rencontré sur les lieux, Sokhna Guèye, âgé d’une soixantaine d’an- nées, nous fait part de son amertume. «C’est très dur pour nous, même là où on est installés dans la rue, les commerçants sont venus sympathiser avec les policiers pour qu’ils nous fassent quitter les lieux. Qu’on nous laisse travailler jusqu’à ce qu’on nous trouve un lieu sûr. Moi, je suis une victime et mes marchandises avaient une valeur d’au moins 1 million 700 mille francs CFA. J’ai pris un crédit au- près d’une banque qui m’a prêtée de l’argent. Ils ont attendu que les gens partent célébrer la tabaski pour fer- mer le marché. A notre retour, on s’inscrivait même sur une liste et on nous accompagnait pour pouvoir prendre nos marchandises. Mais on nous a tous appelés pour nous dire que le marché a été incendié, ce n’est pas sérieux. Ce sont les femmes qui ont élu le président Macky Sall et il devrait, en retour, nous venir en aide. Nos enfants n’ont pas de travail et c’est nous qui assurons la dépense quotidienne», a soutenu cette dame. Elle regrette cependant de n’avoir «pas entendu le président de la Ré- publique s’exprimer sur cela, ne se- rait-ce que pour partager la douleur des victimes. On est là depuis plu- sieurs décennies et le site du Champ de course, vraiment, c’est trop éloigné», a-t-elle estimé.
A coté d’elle, se tient un autre vendeur qui, visiblement est très remonté contre les tenants du pouvoir. A l’en croire, «les citoyens ont des droits que l’Etat doit respecter. Le droit au travail, à la santé, au bien-être. Tous ceux qui sont là ont commencé à travailler avec des moyens modestes pour en arriver là où ils sont aujourd’hui. L’Etat devrait encadrer les gens, les accompagner et trouver une solution à cette situation.» Ce dernier de renchérir : «on y va de scandale en scandale, on dirait que ces autorités ne sont pas compétents. Nous sommes des citoyens et avant de déguerpir des gens, il faut d’abord leur trouver un site. S’ils avaient donné un délai, les gens auraient pris leurs responsabilités parce que nous sommes des patriotes. L’Etat ne crée pas d’emploi, qu’il laisse les gens travailler», soutient-il.
Même son de cloche pour la dame, Khady Ndour, présidente des femmes marchand-ambulants de Sandaga. A son avis, cet incendie a été préparé. «Avant de fermer une structure, le minimum, c’est de se concerter avec les acteurs eux- mêmes, et leur donner un délai. Autre chose, c’est qu’on ne sait même plus où on va nous installer maintenant. Le ministère de la femme aussi, on ne l’a pas vu depuis cet incendie. Qu’on laisse les femmes travailler, de grâce», en appelle Khady Ndour.
SITE LAT DIOR
«C’est un peu éloigné ». C’est l’avis de Abdoulaye, un des vendeurs trouvé sur le site de Lat Dior, initiale- ment retenu à cet effet, avant d’annoncer le recasement des vendeurs au Champ des Courses de Pompiers. Et pourtant, estime-t-il, « si on sécurise ici (Ndlr: Lat Dior), il n’y aura vrai- ment pas de problème. Il suffit juste de pointer les policiers. Si l’Etat sécurise ces lieux, personne ne pourra rien faire de mauvais ici. »
A l’en croire, « nos activités sont au ralenti et ce n’est pas toujours plaisant que l’Etat prenne des décisions sans nous avertir à temps. C’est vers 19 heures qu’on nous a amené des papiers pour nous signifier que le marché sera fermé à 00h. Une semaine après, l’incendie se déclaré. Nous avons besoin d’aide et personne ne parle de cela, pas même le président de la République. Nos autorités oublient que la moindre des choses à faire, c’est de partager la douleur de l’autre, le réconforter. »
A propos des magistrats qui avaient fait part de leur opposition à l’installation du marché Lat Dior où beaucoup de stands ont d’ailleurs été installés, Abdoulaye souligne qu’avant « de dé- ménager de l’ancien Palais de Justice, les autorités leur en avait déjà construit un nouveau, on n’a pas jeté les magistrats dans la rue. » Il devait en être de même avec les marchands qui sont aussi des citoyens et patriotes. Suffisant pour qu’il en appelle à plus de tolérance