ASSISES DE LA PRESSE FRANCOPHONE : ''LA BELLE AUBAINE !''
Le Sénégal renoue avec la Francophonie. Pas moins de trois cent journalistes sont attendus pour prendre part aux Assises de la Presse francophone.
L’événement est important puisque le monde aura les yeux braqués sur Dakar qui vit déjà à l’heure du village planétaire avec le débarquement en feu continu des équipes de médias. En prélude au sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement, prévu du 29 au 30, s’ouvrent dès le 19 et pour quatre jours, ces rencontres de la Presse.
Au menu des débats, figure un sujet central : les jeunes face au numérique. Ils concentrent le regard du monde et les feux de l’action et drainent en même temps le flux des grandes chaînes d’in- formation sur Internet pour « aller à la rencontre des jeunes » qui ont délaissé – question de génération- les canaux traditionnels de diffusion.
Plusieurs spécialistes chevronnés des médias font le déplacement de Dakar. Utilisateurs, usagers, managers, acteurs issus des pôles et des métiers, tous œuvrent ensemble pour une optimisation de la francophonie (présence plus assumée et figure tutélaire plus affirmée). Ils s’investissent pour répandre et « incarner » une vision du monde tout en donnant une perspective culturelle stratégique au dessein de la francophonie.
Au-delà du projet d’abord technique puis politique avec la transformation de la Francophonie en une organisation internationale, la presse qui relève d’un tout autre ordre de perception, nourrit l’ambition d’articuler des rôles pour peser en termes de prévention, de critique et d’alerte, en impulsant une dynamique positive.
Mais le préalable au succès de cette ambition c’est le besoin de se parler. En vérité, les occasions de se parler ne manquent pas. Mais se parle-t-on vraiment ? Sérieusement ?
S’agit-il, dès lors, d’agréger les atouts pour devenir une force vectorielle ? Autrement dit, « parler au monde et être écouté du monde ». Nous en sommes loin hélas ; tant les disparités sont abyssales entre les différentes régions ayant en partage le français qui devrait, à tout le moins, être un formidable instrument de proximité, donc de solidarité entre les locuteurs.
En Afrique, le journalisme est une profession largement ouverte à la concurrence. Même sauvage ! Cela obéit au seul fait qu’elle est la moins réglementée des professions. Qui plus est l’accès au journalisme ne connaît aucun numérus clausus.
De cet apport, le journalisme devrait tirer avantage par la diversité et la richesse des ressources mais il peine à exister. Dépouillé de ses atouts, le métier traverse aujourd’hui une sévère crise de fonctionnalité alors qu’il est à une étape cruciale de transition professionnelle.
Le monde a changé. Il n’est plus celui des années 60. La réa- lité des pratiques humaines accentue cette perspective. Quand bien même plus de mobilité et moins d’entraves caractérisent
le commerce entre les hommes censés réduire leur déplacement au strict minimum avec l’essor des technologies. Il n’en est rien cependant : puisque à l’échelle du monde, près 1,5 milliard de personnes voyagent à l’année, selon des estimations de l’OMT. Le monde francophone, quant à lui, est peuplé de près de 950 millions de locuteurs.
Dans ce magma d’échanges, l’Afrique occupe une place incongrue. Le continent est toujours relégué dans le chaos, « trop compliqué », selon les afro-pessimistes, « du fait de l’enchevêtrement de situations » inextricables au demeurant et où règnent la maladie, les conflits, la misère, la pauvreté, l’instabilité. Ce n’est pas disculper l’Afrique en affectant de croire que ce n’est pas de sa faute.
Elle est perçue comme çà ! Notamment dans les médias occidentaux qui se complaisent dans le jugement facile (à l’emporte pièce) et refusent tout effort de discernement pour comprendre les dynamiques en cours : croissance durable, transformation structurelle des économies en progression, gouvernance accrue, alternances démocratiques notables, pluralisme des opinions et foisonnement médiatique (radios, journaux, télé, Internet). L’inégal ni- veau de leur expansion traduit l’état de développement des pays.
On a vu les médias français défendre, avec acharnement, le chocolat tricolore, « emblème d’un art français séculaire » menacé aux Etats-Unis par des lobbies.
Des équipes pluridisciplinaires ont été mobilisées à cette fin pour « aller à l’assaut des forteresses américaines ». Mais à aucun moment ces médias n’ont associé le paysan ivoirien ou ghanéen à ce combat.
A quoi ressembleront les médias dans dix, quinze voire vingt ans ? Il est prématuré d’y répondre de façon péremptoire. En revanche, la musique, le cinéma et la télévision ont donné le ton avec l’avenir des contenus qui seront dématérialisés et en accès illimité.
Il suffit de regarder l’usage qu’en font nos enfants. Si les offres marchent, c’est parce qu’elles répondent à des attentes. En clair, le marché est le seul arbitre. Exit donc les grands courants de pensée et les doctrines qui justifiaient l’avènement des communications.
Il est vrai que la consommation classique des médias a encore de beaux jours devant nous mais le surgissement des nouvelles technologies et leur adoubement par les jeunes bouleverse la donne en préfigurant ce que demain va être, pour ces secteurs en mutation. A cet égard, la francophonie représente-t-elle un espace de viabilité économique en dépit des disparités géographiques ?
La mosaïque de titres, d’organes ou de groupes de presse à travers l’Europe, l’Amérique, l’Asie, l’Océanie et Afrique atteste d’un bouillonnement d’initiatives dans un secteur en évolution constante. Le journalisme est particulière- ment affecté par la fulgurance d’Internet. Autant dire que le numérique transforme tout.
Les spécialistes s’accordent ainsi pour affirmer que la presse est l’un des premiers médias touchés par la révolution en cours. Scénario 1 : elle donne la priorité au Web et au mobile, comme « relais de croissance ». Problème : la transformation en revenus n’est pas encore au rendez-vous.
Scénario 2 : le papier ne meurt pas. Pas si vite en tout cas. En voyant son périmètre ramené à des proportions plus réduites, le « papier » se recentre et devient « haut de gamme » destiné aux élites ou aux gens à haut revenus.
Dès lors, il épouse les contours d’un média d’influence et s’organise pour une offre conséquente avec un contenu « à valeur ajoutée affinée ».
On le voit, les rapprochements sont inéluctables entre groupe de presse écrite et les médias audiovisuels dans l’optique de densifier le contenu des sites d’information, assurément des viviers de croissance (demain, c’est déjà aujourd’hui).
Toutefois, la percée est timide en Europe. Quelque 15 % des entreprises françaises possèdent leur site en propre contre 50 % aux Etats-Unis. Les statistiques sont quasi inexistantes pour l’Afrique ce qui, ajouté à la faiblesse financière des titres, à la précarité des conditions des journalistes et à l’absence de modèle économique performant pour séduire les banques, brouille l’horizon au même moment où les grands groupes de presse de la France, de la Suisse, de la Grande Bretagne,
du Canada ou des Etats-Unis s’apprêtent à envahir le continent. Des fusions sont en vue entre des entités éditrices des versions papier et numérique dont le format reste encore à l’étude dans la plupart des rédactions en survie. Le journal français du soir Le Monde, qui perçoit le mouvement a déjà lancé un nouvel espace Web destiné aux classes moyennes et supérieure d’Afrique francophones.
Il en est de même des hebdomadaires Le Point, L’Express, Le Nouvel Observateur pour ne citer que ceux- là. S’appuyant sur des données qui renseignent sur le profil des internautes, ils ont pu, grâce à des ciblages pointus, lancer des campagnes marketing parfaitement maîtrisées.
Ces nouveaux conquérants sont outillés pour s’imposer : force de frappe financière impressionnante pour recruter et puissance éditoriale (combinée à des modes de récit enjoués) pour légitimer une présence.
L’attrait qu’exercent ses matières premières fait de l’Afrique un marché (en expansion) forte- ment convoité par les grands groupes industriels ou financiers. De ce point de vue, le continent gagne en visibilité. Mais, car il y a ... un mais, le soupçon de chaos le fige encore dans un rejet rédhibitoire.
Sauf pour la Chine, perçue désormais comme un « partenaire de confiance » qui fait non seulement jeu égal avec les puissances occidentales mais s’octroie un rôle proéminent dans l’investissement et la construction d’infrastructures d’intégration.
La bataille qui s’intensifie déjà sera âprement disputée pour la conquête de positions au sein d’une Afrique où le réveil des opinions coïncide avec l’accroissement de revenus, donc de pouvoir d’achat de classes moyennes de plus en plus conscientes des enjeux de pouvoir et d’influence.
Pour ne prendre que l’exemple de la chaîne de télévision israélienne, I24News, ses propriétaires lui dictent leur volonté de couvrir l’actualité mondiale avec... un regard israélien. Tout un programme ! En 93, il n’y avait pas plus de 5 chaînes d’informations internationales. Aujourd’hui, elles sont plus de 200 ! Soit deux à trois lancement par an depuis cinq ans...
Cette frénésie de création de chaînes contredit les règles élémentaires de l’économie des médias dont la prospérité est fonction de la vitalité du marché publicitaire, qui ne croît pas en proportion.
L’univers de la concurrence élargit son périmètre à Internet qui n’est plus un champ clos de rivalité mortelle mais la « nouvelle frontière » d’expansion même si des projets de reconstitution de monopoles dans le Numérique sont à craindre.