Attention aux illusions !
BARACK OBAMA EN AFRIQUE
Par ses origines, Barack Obama, Barry Obama à l’origine, incarne le rêve de retrouvailles tant espérées entre l’Afrique et l’Amérique noire. Mais le mythe se heurte à la réalité : la supposée fraternité entre les « Africains-américains » et leur continent d’origine repose sur bien des malentendus. Notre chroniqueur propose ici une lecture de l’africanité d’Obama.
Barack Obama est attendu dans notre capitale ce mercredi 26 juin 2013, pour la première étape d’un périple qui le mènera ensuite en Tanzanie et en Afrique du sud. Le premier Président noir des USA connaît les subtilités du débat sur la race et les limites du discours sur l’identité noire. Il sait, depuis qu’il a découvert l’Afrique, terre de son père, que la « négritude », conscience et culture qui uniraient les Noirs d’Amérique et d’Afrique, peut n’être qu’une posture dans les ghettos de Chicago. De retour de ses voyages au Kenya, qui lui révélèrent sa part d’africanité, il constata, amer : « Les Noirs américains ont toujours eu une relation ambiguë avec l’Afrique. Aujourd’hui nous portons des vêtements Kente, célébrons le Kwanza et collons des posters de Nelson Mandela sur nos murs. Et quand nous voyageons en Afrique et découvrons que tout n’est pas beau et brillant, nous en revenons souvent profondément déçus ».
Obama l’Africain ?
Il était venu une première fois en Afrique en 1987, voyage initiatique raconté dans son autobiographie Dreams of my Father et lors duquel il découvrit véritablement sa parenté africaine, immortalisée par une photographie de famille, où on note l’absence de celui qui estl’âme et le trait d’union. Le grand absent est en effet Hussein, le père dont Barack Obama tient tant à se réclamer lorsqu’il est en Afrique. Obama partage sans doute une expérience personnelle sincère lorsqu’il étreint devant la caméra les membres de sa famille et évoque sa fibre africaine, concluant sa visite par un « I love you guys and Uriti uru [good bye] ». Mais il sait mettre à profit ces symboles d’africanité.
Ainsi, lorsqu’il visite le bidonville de Kibera, le plus grand du continent, il joue d’un intertexte avec les harangues qu’il a pu tenir dans les ghettos de Chicago, assurant qu’il travaillera personnellement avec le gouvernement pour améliorer leur sort. Mais il ajoute quelque chose qu’il n’aurait jamais dit dans le South Side : « vous êtes tous mes frères et mes sœurs ». Obama l’Africain d’Amérique est « rentré » et il veut que l’on sache qu’il est d’ici. Son message relève d’un double langage subtil.
Il envoie tout d’abord un message implicite aux Noirs américains en ravivant le rêve pan-africain qui devait réunir les fils exilés de l’Afrique au continent-mère. Lorsqu’il va en Afrique avec sa femme en 1995, ou en 2007 pour aller voir sa grand-mère demeurée dans son village de Nyangoma-Kogelo, il rappelle le lien de parenté entre les Noirs d’Amérique et l’Afrique, et se présente comme l’un des leurs. Un tel signifiant n’est pas inutile car nombre d’Africains-américains lui ont reproché de ne pas être « assez noir », c’est-à-dire de ne pas posséder cet élément essentiel de l’identité afro-américaine : la mémoire de l’esclavage.
Un Barack africain est bien plus acceptable qu’un Obama issu du ghetto. Dans le sillage de nouvelles vagues d’immigration venues d’Afrique, une sympathie et un respect particuliers se sont en effet fait jour pour ces immigrés dont on loue les vertus et l’éthique, celles-là même qui font – dans l’esprit de l’Amérique moyenne blanche – tant défaut aux Noirs américains. Il y a certes une réalité derrière cette vision bien commode : 40 % des Africains qui émigrent aux Etats-Unis ont un diplôme universitaire et leur revenu moyen, une fois installés, est supérieur de 30 % à celui des Afro-américains. Obama apparaît donc comme l’« autre Noir », non pas celui qui réclame des réparations pour l’esclavage et la ségrégation, mais comme l’Africain éduqué et travailleur, comme on en rencontre de plus en plus dans le pays.
Une Afrique si proche si loin
L’Afrique, lorsqu’elle cesse d’être un mythe lointain, est donc la source d’une grande désillusion et témoigne d’un grand malentendu pour les Noirs américains. Mais l’inverse est également vrai. Lorsqu’il est allé au Kenya, une amie de son père révèle à Barack le chiasme qui brisa l’unité symbolique : « les jeunes Américains ont une vision romantique de l’Afrique alors que, pour ton père comme pour moi c’était l’inverse, nous espérions trouver toutes les réponses en Amérique. » . Or, les centaines de milliers d’Africains qui migrent aux États-Unis (leur croissance démographique est la plus forte parmi toutes les minorités de New York) découvrent non seulement le racisme d’une société majoritairement blanche, mais également l’hostilité des Afro-américains.
Cette dernière trouve sa source à la fois dans le registre classique des stéréotypes liés à « l’arriération » de l’Afrique (discours né dans la bouche des Blancs mais qu’ils ont intégré) mais aussi dans le ressentiment et la mémoire douloureuse de l’esclavage. « Vous nous avez vendus ! » est le reproche que certains Noirs américains expriment à demi-mot. Le fait de ne pas avoir été déportés et réduit en esclavage aux Amériques exclurait de facto les Africains de la communauté noire.
De Barry à Barack
Dans la littérature contemporaine, un nom symbolise pourtant cette conscience irréductible, malgré le déracinement et l’américanisation forcée, d’une identité africaine des Noirs d’Amérique : Kunta Kinte. Personnage central du roman Roots d’Alex Haley, qui donna lieu dans les années 1970 à une série télévisée dont l’impact fut considérable chez les Noirs américains, mais aussi chez de nombreux Africains. Capturé en Afrique où il était un membre valeureux de l’ethnie Mandika, devenu esclave dans les colonies américaines, Kunta Kinte a dû renoncer à son nom africain afin que les propriétaires d’esclaves lui imposent, dans un baptême de sang, le prénom humiliant de « Toby ».
En refusant longtemps, malgré les coups de fouets, de perdre son nom et donc son âme, Kunta Kinte est devenu une icône et un symbole de la résistance des Noirs à l’oppression blanche. Avec le temps, il est même devenu objet de dérision des Afro-américains les plus sarcastiques, comme le comédien Richard Pryor qui raillait dans un de ses sketchs le martyre grotesque d’un Noir qui s’entête à se dire africain.
En 2008, le magazine Newsweek, dans un numéro intitulé « When Barry became Barack», relate l’histoire d’un jeune garçon qui décida vers l’âge de 20 ans que son surnom américain « Barry » était une imposture et qu’il redeviendrait lui-même en retrouvant son nom africain, Barack. Obama-Kinte est donc parvenu à imposer sa légende et, avant de parvenir à unir Blancs et Noirs derrière sa candidature, à rassembler les Afro-américains entre eux et aussi à réconcilier, pour un temps, les Noirs des deux côtés de l’Atlantique. Suffisant pour entrer dans l’histoire d’un renouveau des relations Afrique-Usa ? Time will tell !