VIDEOAU CAMEROUN, LA PSYCHOSE BOKO HARAM EXACERBE LES TENSIONS ENTRE NORD ET SUD
Yaoundé, 10 sept 2014 (AFP) - Dignitaires du nord accusés de complicité avec Boko Haram, enrôlements de jeunes recrues sur le sol camerounais: la multiplication des attaques des islamistes au Cameroun réveille les vieilles querelles politiques entre nord et sud, dans un climat de psychose généralisée.
Les antagonismes régionaux ne sont certes pas nouveaux au Cameroun: il existe de nombreux ressentiments entre un sud chrétien qui concentre l'essentiel des richesses du pays et un nord musulman marqué par la pauvreté et la sécheresse, aux confins du Tchad et du Nigeria. Mais les attaques de Boko Haram les exacerbent.
"Non aux complices de Boko Haram": dans une tribune publiée début septembre, un collectif d'hommes politiques proche du pouvoir a mis le feu aux poudres, accusant ouvertement des dignitaires du nord du pays de complicité avec les islamistes nigérians de Boko Haram, et de "tentatives d'incitation à la partition du territoire national".
Les signataires prônent "une guerre totale contre la secte islamiste et étrangère Boko Haram et ses complices au Cameroun", qui se trouveraient "principalement dans les régions septentrionales (nord)".
Le brûlot, sans toutefois citer de noms, accuse ceux qui "acceptent de jouer un rôle de complices passifs ou de facilitateurs pour les agissements de cette secte" et forment "de ce fait +Boko Haram du Cameroun+".
Cet "Appel de la Lekié" rassemble plusieurs ministres et députés de ce département qui fait partie d'un vaste ensemble géographique communément appelé "Grand-Sud" - bastion du président Biya-, par opposition au "Grand-Nord". Parmi les signataires, plusieurs proches du régime, comme Henri Eyebé Ayissi, ministre en charge du Contrôle supérieur de l'Etat.
Les réactions des dignitaires du Nord Cameroun ne se sont pas fait attendre. La plus virulente est venue du président de l'Assemblée nationale, Cavaye Yeguié Djibril, qui dénonce une "tentative de +rwandisation+ du Cameroun".
"Les populations et les élites du Grand-Nord (...) s'inscrivent en faux contre de telles allégations de nature à cultiver la haine contre des compatriotes", s'est-il offusqué dans un communiqué.
Pour M. Djibril, ces accusations sont "inopportunes, dangereuses pour la cohésion du Cameroun et préjudiciables à l'unité nationale".
"Les relents de stigmatisation dont elles sont porteuses appellent plus à la partition du Cameroun qu'à sa construction ou à la mobilisation de tous pour lutter contre un ennemi commun appelé Boko Haram", a-t-il ajouté.
Dans l'opposition, d'autres voix se sont élevées pour dénoncer l'"Appel de la Lékié". Jean-Michel Nintcheu, député du Social democratic front (SDF, principal parti d'opposition) a lui "condamné avec la plus grande vigueur ces propos qui sont une incitation anticonstitutionnelle à la division ethnique et régionaliste du peuple camerounais".
-Pas de Boko Haram camerounais-
La presse camerounaise a même fait état de nombreuses rumeurs sur l'existence d'une supposée rébellion interne dans le nord, visant à destabiliser le régime de Paul Biya, 81 ans, dont 32 au pouvoir.
Le gouvernement camerounais tente depuis plusieurs jours d'éteindre le feu, affirmant qu'il "n'existe pas de Boko Haram camerounais".
Son porte-parole Issa Tchiroma Bakary a condamné la semaine dernière les "intentions malveillantes" qui font "croire que les exactions de Boko Haram contre le Cameroun sont en réalité la manifestation d'une rébellion interne à notre pays".
"Il est possible que Boko Haram ait pu recruter, dans les villages frontaliers, quelques compatriotes en situation de précarité socio-économique, a reconnu M. Tchiroma Bakary. Mais (...) il s'agit là d'un phénomène marginal".
Plusieurs centaines de jeunes camerounais ont en effet été enrôlés ces derniers mois pour rejoindre des camps d'entraînements de Boko Haram au Nigeria, selon des sources sécuritaires contactées par l'AFP.
Par ailleurs, selon un rapport récent d'International Crisis group (ICG),"plusieurs chefs traditionnels (...) sont soupçonnés d'être des complices ou des comparses de bandits locaux ayant opéré pour le compte de Boko Haram".
Selon ce rapport, certains des enlèvements d'occidentaux perpétrés dans la région depuis un an "ont été sous-traités" localement.
Les experts ont souligné à plusieurs reprises les risques de voir l'idélogie de Boko Haram se répandre, face aux frustrations d'une jeunesse abandonnée à elle-même, dans l'une des régions les plus pauvres du pays, avec un faible taux de scolarisation et un taux de chômage record.
Des liens culturels et linguistiques très forts existent entre les communautés - notamment les Kanuri - du nord-ouest du Nigeria et de l'Extrême Nord Cameroun, où les membres de mêmes familles vivent parfois de part et d'autre de la frontière, favorisant les mouvements de populations et le commerce.
"Le dirigeant actuel de Boko Haram, Abubakar Shekau, est lui-même kanuri. Ces facteurs sociologiques facilitent la pénétration et la dissimulation d'éléments de Boko Haram dans cette partie du territoire camerounais", note ICG.