AU-DELÀ DE "BARÇA OU BARSAKH"
À l'heure du PSE un changement de paradigmes s'impose. Celui-ci passe par le dépassement de l'approche sécuritaire de la gestion des flux migratoires et la reconnaissance de l'apport du migrant dans le développement territorial

Le Sénégal, à l'instar de la communauté internationale, vient de célébrer la Journée internationale du migrant le 18 décembre 2014. Au-delà de l'aspect commémoratif, la question de la migration reste encore incontestablement un enjeu de développement mal appréhendé par nos gouvernants. La vision répressive et «courtermiste» qui a longtemps prévalu dans la prise en charge de ces questions cohabite depuis peu avec des éléments disparates d'une politique migratoire encore à l'état balbutiant.
Au Sénégal, le cadre juridique, les programmes mis en place par le gouvernement, peinent encore à donner une réponse adaptée à ce phénomène, qui constitue un enjeu de société à la fois lié à la mondialisation récente et vieux comme le monde.
Cette récurrente célébration de la Journée internationale des migrants dérive de l'adoption par l'Assemblée générale de l'Onu, le 18 décembre 1990, de la Convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles. Cette convention internationale est entrée en vigueur le 1 er juillet 2003. Elle est composée de 93 articles touchant un vaste champ d'application.
Mais force est de constater que sa mise en application reste encore problématique et ceci aussi bien dans les pays du Nord que du Sud. À côté de cet instrument juridique onusien, il existe aussi les législations régionales, communautaires. Parmi cet arsenal juridique complémentaire, on peut citer entre autres la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, le Traité de la Cedeao, la Convention européenne relative au statut du travailleur migrant du 24 novembre 1977, le règlement de la Cee du 15 octobre 1968.
Ce cadre juridique international est aussi complété par les accords bilatéraux et les différentes législations nationales. Au Sénégal, par exemple, les conditions d'entrée et de séjour des étrangers sont régies par la loi du 25 janvier 1971.
Sur le plan pratique, malgré cette pléthore de lois, les droits des migrants sont quotidiennement bafoués partout dans le monde et que le droit des migrants peine à intégrer la Jurisprudence des droits de l'homme.
Au Sénégal, comme partout en Afrique, la migration internationale est vécue comme une alternative à la pauvreté et est liée à une quête de mieux-être individuel, collectif et social. En sus de cela, force est de constater que chez les jeunes et moins jeunes, l'Occident, l'Europe en particulier, malgré la récession économique qui la tenaille, reste encore attractif.
Chez nous au Sénégal, cette envie de «Barça» est entretenue et renforcée entre autres par l'existence d'une diaspora forte de 3 millions d'âmes capables de transférer 700 milliards de francs Cfa annuellement (Bceao), montant qui du reste, dépasse largement l'aide publique au développement. Vu l'importance de ces sommes et les enjeux multiples de la migration, il est paradoxal de constater qu'un pays comme le nôtre ne dispose pas de politique migratoire digne de ce nom. Tout au plus on peut constater l'existence d'éléments de politique migratoire matérialisés par une Lettre de politique sectorielle, des instruments au demeurant fort politisés comme le Fonds d'appui à l'investissement des Sénégalais de l'extérieur (FAISE), un Fonds destiné aux femmes de la diaspora, les programmes de coopération bilatérale comme la PLASEPRI, le PAISD, les défunts Plans REVA et TOKTEN, entre autres.
Ces instruments mal coordonnés entre eux ont eu un impact très réduit sur le vécu des migrants en général et ont produit l'effet inverse et pernicieux de créer et d'entretenir une vraie caste de "courtiers de la migration" qui, au demeurant, n'ont parfois jamais vécu à l'étranger, ne représentent qu'eux-mêmes et sont parfaitement outillés pour siphonner l'aide internationale avec la bénédiction des agences de coopération, des chancelleries occidentales, des institutions internationales et étatiques, tout en monopolisant le débat sur la migration et ceci à la place des vrais acteurs que sont les migrants eux-mêmes.
Au niveau institutionnel, la cacophonie existant entre la Direction générale des Sénégalais de l'extérieur dépendant du ministère des Affaires étrangères et le secrétariat des Sénégalais de l'extérieur n'est pas pour faciliter les choses. Ces différentes structures gouvernementales gagneraient en efficacité en étant regroupées dans un unique ministère.
À l'heure du PSE un changement de paradigmes s'impose et cette rupture passe nécessairement par le dépassement de l'approche sécuritaire de la gestion des flux migratoires et la reconnaissance de l'apport du migrant dans le développement territorial.
QUELLE POLITIQUE MIGRATOIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT AU SÉNÉGAL ?
Les migrants de tous bords pensent que pour une bonne gouvernance de la chose migratoire, arrimée aux objectifs d'émergence économique de notre pays, il faudrait avant tout faire de la migration internationale un levier de développement et un relais de croissance inclusive. Ceci passe in primis par une réduction des coûts du transfert d'argent.
Selon la Banque mondiale une réduction des frais de transfert d'argent générerait une augmentation des fonds envoyés de 3,5 milliards de dollars (1750 milliards de francs Cfa) par an vers les pays du Sud.
En outre, cette manne financière essentiellement destinée à la consommation des ménages devrait être mieux valorisée et canalisée vers les secteurs productifs et servir à booster le développement local. Dans ce sens les programmes "Tres por uno" du gouvernement mexicain ou le "Diaspora Bond" en vigueur au Nigeria pourraient servir d'exemples.
L'intégration de la Diaspora dans les politiques d'investissement et de privatisation des entreprises nationales avec des produits financés comme "l'Épargne co-développement" et- pourquoi pas ?- une Banque d'investissement de la diaspora capable de capter et de canaliser les transferts vers la création de PME et la prise de participations dans les sociétés nationales. Ceci serait un premier pas vers un patriotisme économique tant souhaité et vers l'émergence d'une nouvelle classe entrepreneuriale, condition sine qua none au décollage économique du pays. À ce titre s'instruire de l'expérience d'un pays émergent comme l'Inde serait bénéfique.
Ma conviction est que la diplomatie classique issue d'une école élitiste comme l'Ena n'est pas en mesure d'appréhender la question migratoire et de dialoguer avec le "Modou Modou" issu généralement du Sénégal des profondeurs. De Milan à Libreville, les relations entre les migrants sénégalais et ceux qui sont censés les représenter sont difficiles et tendues et ceci pas seulement pour des questions de Passeport ou d'exigüité de locaux.
D'où l'urgence d'un plaidoyer pour l'émergence d'un nouveau corps professionnel que je nommerai "conseiller aux questions migratoires", capable d'accompagner le migrant du début à la fin de la chaîne migratoire, et ceci dans une optique de triple win, au profit du migrant, du pays d'accueil et du Sénégal.
Une bonne politique migratoire ne saurait faire l'économie du renforcement des capacités des vrais et sains associations et réseaux de migrants ainsi qu'une Loi d'orientation sur la migration internationale. Le développement économique étant tributaire du développement juridique, un renouveau du cadre juridique, qui passe avant tout par la suppression dans le Droit positif sénégalais de la migration de l'hérésie judiciaire que constitue le délit d'Emigration clandestine et la Consécration et le Respect d'un Droit fondamental pour tous et toutes une mobilité soutenable.
Mouhamadou A. Mbengue dit Saliss
Maitrise en Droit des Affaires UCAD/Master2 en Politiques sociales et Direction stratégique pour le Développement du Territoire de l'Université de Bologne.
Coordonnateur du Réseau international des Pikinois de la Diaspora pour le Développement
Email: mbenguesalissyahoo.com
Tel 00221 781092864 / 00393318624412