AU-DELÀ DE LA PRISE D'OTAGE
La prise d’otages des démineurs travaillant pour le compte de la société sud-africaine de déminage dénommée Mechem, par le chef de guerre du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), César Atout Badiate, est loin d’être anodine. Aussi ne doit-elle pas être lue seulement comme une simple volonté d’attirer l’attention des autorités étatiques sénégalaises sur lui et ses hommes de la base de Cassolol ( à 30 km de Sao Domingos, en Guinée-Bissau). Au moment où le Président Macky Sall et son gouvernement semblaient privilégier le chef rebelle Salif Sadio et ses éléments qui se trouvent à la frontière gambienne, l’acte que César Atout Badiate et ses hommes ont posé est une manière de signifier aux plus hautes autorités de l’Etat, l’importance qu’il y a à prendre en considération la position géostratégique de la Guinée Bissau dans le conflit casamançais. Macky Sall et son gouvernement n’ignorent pas la médiation engagée par ce pays frère pour obtenir la libération des douze démineurs. Si trois d’entre eux, Fatoumata Diaw, Fatou Gueye et Sophie Aidara, ont pu être libérées, c’est précisément grâce à l’entregent de la Guinée-Bissau. Ce n’est pas innocent, qu’après leur libération, le lundi 27 mai dernier, les trois otages ont été acheminés à Bissau, pour ensuite être remis aux autorités diplomatiques sénégalaises.
Un acte de haute signification politique. Du reste, Bissau n’a pas attendu ce dossier des démineurs pour s’impliquer dans ce conflit. Déjà, pour remonter non loin dans le temps, à l’avènement, en 2000, du Président Coumba Yalla, l’Etat Bissau-Guinéen avait déclaré qu’il ne tolérerait plus une présence rebelle (Mfdc) sur son territoire. Il avait massé le long de la frontière son armée pour veiller à la circulation des biens et des personnes. Nul n’ignore aussi le rôle que Bissau a joué dans le conflit qui avait opposé le camp de César Atout Badiate à celui de Salif Sadio dans la base de Cassolol. Que dire du premier accord de paix signé entre l’Etat du Sénégal et le Mfdc en territoire Bissau-Guinéen ?
Tout comme Salif Sadio dont la prise d’otages avait permis de mettre en selle la Gambie, César Atout Badiate veut replacer la Guinée-Bissau au cœur du conflit casamançais. Et Macky Sall qui a tout intérêt à pérenniser certains acquis, se doit de mettre la Gambie et la Guinée-Bissau sur un pied d’égalité dans la gestion de la crise casamançaise. Toute autre démarche qui consisterait - comme c’est le cas présentement – à sous-estimer la Guinée-Bissau, serait contre-productive. Le Président Macky Sall doit rassurer le gouvernement bissau-guinéen en lui demandant, au cours d’une visite officielle, d’aider au règlement du conflit, comme il l’a fait avec la Gambie. D’autant que les deux grandes bases du Mfdc se trouvent de part et d’autre des deux frontières de la Gambie et de la Guinée Bissau.
Si d’un autre côté, l’on peut comprendre l’empressement du Chef de l’Etat, Macky Sall, à répondre à la main tendue de Salif Sadio qui détenait des prisonniers de guerre, on peut se poser la question de savoir si une telle spontanéité n’a pas quelque peu brouillé les cartes dans la gestion de ce dossier dont la complexité n’a plus à démontrer. Une réalité demeure : accepter de négocier avec une seule faction, avec toute la publicité qui l’accompagne, n’est pas de nature à favoriser la quiétude et la sérénité dans la gestion de ce dossier. Toutes les factions doivent au contraire bénéficier de la même considération : Salif Sadio, César Atout Badiate et Compas (qui a remplacé Ousmane Nianthan Diatta) doivent être traités avec les mêmes égards.
La dépollution (déminage) de la région de Casamance en proie à un conflit trentenaire fait remonter à la surface le business de la guerre dans cette zone. Que ce soit les Ong, l’armée, les combattants, l’Etat, les civils, chacun à eu sa part du «gâteau» ensanglanté.
De toute évidence, l’Ong Handicap International - qui avait gagné le marché de la dépollution, suite à l’acceptation du chef rebelle César Atout Badiate de voir les opérations de déminage se faire dans la zone qu’il contrôle - n’était pas contente d’avoir été laissée en rade au profit de Mechem, une société sud-africaine. Pourtant, de l’avis de certains observateurs, Handicap International aurait rempli avec brio sa mission de dépollution en Casamance jusqu’en septembre 2012. Question : Qu’est-ce qui avait donc pu amener le gouvernement à renoncer aux services de cette Ong dont le professionnalisme est connu de tous ? Une histoire de gros sous ? Voire. Il est donc aisé d’imaginer que l’arrestation des douze démineurs à tout l’air d’une protestation contre les autorités gouvernementales qui ont jeté leur dévolu sur la société sud-africaine de déminage au détriment de Handicap International.
C’est dire que la complexité de la crise casamançaise doit pousser les autorités sénégalaises à montrer une ferme volonté de règlement de ce conflit trentenaire, en ne laissant aucune partie prenante du conflit sur le bord du chemin et montrant la même considération aux pays frontaliers que sont la Gambie et la Guinée et qui servent de bases arrières aux combattants du Mfdc .